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Citations de José Luís Peixoto (80)


Mon père, comme son père avant lui, avait passé des années à faire des portes et des fenêtres parce qu'il ne parvenait pas à vivre en réparant seulement des pianos. Aussi, la plupart du temps, mon père faisait-il des portes et des fenêtres, des sièges pour s'asseoir, des tables qui attendaient les assiettes de soupe que les gens y poseraient. Mais, dans toutes ses songeries, il écoutait des pianos, comme s'il écoutait des amours impossibles. Et quand il venait de réparer un piano, seul, sans savoir une note, mon père s'enfermait dans la menuiserie pour jouer des musiques qu'il connaissait ou inventait. Peut-être aurait-il aimé être pianiste, mais même au temps où il n'avait pas renoncé à tous ses rêves, il ne s'en fût pas permis de cette grandeur. Mon oncle fixa son oeil gauche sur moi pour s'assurer que je n'oublierais pas et dit :
"Quand ton père parlait de pianos, quand il pensait à des pianos, il y avait en lui des tourbillons de musique"
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La fumée des cheminées se figea, ou si elle continua à monter ce fut selon une figure constante, sans le moindre sursaut. Même le vent, qui jusque-là s'amusait seulement avec le murmure que produisaient ses caresses sur les choses, donna l'impression de se contenir. Le silence fut absolu au point qu'il suspendit l'action du monde. Comme si le temps avait poussé un sanglot, Galveias et l'espace partageaient la même soudaine immobilité. p 15
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Dans l'entrée de la menuiserie, sur la droite, il y avait une porte fermée à clef, condamnée par le temps et par des chaises privées d'une jambe, par des plateaux de tables et autres vestiges accumulés en un tas désordonné. En ce début d'après-midi, mon oncle et moi écartâmes tout cela et, faute de savoir où se trouvait la clef, j'enfonçai la porte avec deux coups de pied au niveau de la serrure.
Le cimetière de pianos. Ma mère évitait de parler de cette pièce fermée de l'atelier. Si elle le faisait, c'était toujours pour dire qu'il n'y avait rien là qui pût m'intéresser. Quand cette explication cessa de me suffire, elle me parla de peurs. Elle me dit :
"Il y a des peurs là-dedans."
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Le temps entremêle la vérité et le mensonge. Ce qui s’est vraiment passé s’entremêle à ce que je voudrais s’être passé, ce qu’on m’a dit s’être passé. Ma mémoire n’est pas la mienne. Ma mémoire, c’est moi déformé par le temps et mélangé avec moi-même : avec ma peur et mon sens de la faute, et avec mon repentir.

(p. 172)
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Si dans une conversation, quelqu’un dit : tous les jours, ma femme pense à une succession infinie de lundis. Vendredi est la veille de la fin de semaine, et, pour cette raison, c’est un jour différent.Les samedis et les dimanches sont aussi des jours différents. Les mardis, mercredis et jeudis sont des jours spécifiques, où il arrive des choses spécifiques aux mardis, mercredis et jeudis. Les lundis sont des jours courants, anonymes. Ils sont tous les jours.

(Bernard Grasset, p. 315)
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Le canal reflétait le ciel et les arbres. Dans les eaux du canal, il y avait une ville différente, où seul existait le ciel, avec toute sa paix, et les arbres, penchés sur ce regard. Chiang Mai accélérait sur les routes parallèles au canal, son urgence n'ignorait pas ce tableau, elle se mêlait à lui - Chiang Mai et les eaux du canal s'équilibraient mutuellement.
J'étais sur une place avec beaucoup de gens qui cuisinaient et qui parlaient fort, il était midi passé, c'était la deuxième fois que je venais en Thaïlande et la première fois que j'étais à Chiang Mai.
En dissonance avec les odeurs et les couleurs, les voix, il y avait une mélancolie qui atténuait mes gestes, mes pensées, la façon dont je voyais ce qui m'entourait. C'est peut-être pour cela que je déployais mon regard vers l'animation de la route et que je cherchais le canal - lent, pondéré. Je n'étais pas triste, j'étais solennel.
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C'est ton visage que je trouve. Contre nous grandit le matin, grandit le jour, grandit une lumière fine. Je te vois dans les regards.
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Le moteur du bateau était vorace. Nous glissions sur la surface du Mékong, comme si nous étions une flèche imaginaire, uniquement composé de ciel et de fleuve - ciel immense, fleuve marron. Il y avait les berges, il y avait l'horizon, mais je tournais le visage avec difficulté.
L'air me faisait sourire. Ou peut-être que j'ai souri à cause de l'éclat des eaux bourbeuses du fleuve. Enveloppé par ce moteur, par l'après-midi, par ciel et Mékong, je souriais tout seul, peut-être sans raison.
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Et Bangkok en fast-forward - bus rouges et verts, à la tôle épaisse, polie au marteau ; touk-touks effrontés comme des insectes ; personnes à l'arrêt sur le côté, qui attendent de pouvoir traverser, ou qui se lancent dans un parcours irréversible, calculé, au milieu de la circulation aléatoire ; hommes accroupis sur le trottoir, qui vendent une marchandise quelconque ; femmes en tablier et tongs, qui font frire de la nourriture, fumée dans les étals à roues de bicyclettes ; boutiques de fruits sur caisses, adossées contre des murs, sous de vieux parasols ; personnes chargées de sacs débordants ou avec des sachets enfilés au pli du doigt ; moines à sandales ; hommes assis sur des chaises en plastique, trônes en plastique, hommes en tricots de peau tenant des tapettes à mouches ; cabines téléphoniques avec le combiné décroché, pendant ou arraché ; visages parfaits sur des annonces publicitaires, peau excessivement lisse et excessivement blanche ; tas d'ordures dans des coins discrets, adossés au pied de poteaux électriques ; chantiers abandonnés sur les trottoirs, personnes pressées contournant des trous ; une affiche sur laquelle il était écrit : Hotel for sale ; plantes en survie dans des vases qui s'alimentent directement aux pots d'échappement ; agents de la circulation qui sifflent dans le vide ; personnes à moto, avec ou sans casque ; familles à moto, un tout petit bout de chou serré entre le père et la mère, qui me regarde, qui me déconcerte ; femmes assises en amazone sur des motos-taxis, leurs genoux ronds ; et stop - nous nous sommes arrêtés à un feu tricolore.
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L'air lui-même était lourd - épais, humide, chaud comme une soupe, comme une tom yam piment, citronnelle -, le ciel lui même était lourd.
La fumée de l'encens montait au ciel, se fondait en lui, le teintait. Bangkok tout entière montait au ciel - avenues débordant de circulation, millions de voix. Le temple Wat Traimit se trouve dans le chinatown, au cœur d'un labyrinthe. L'unique échappatoire, me sembla-t-il, était le ciel.
J'ai ouvert la porte de la cage. L'oiseau s'est recroquevillé quelques instants, apeuré par le firmament, il en connaissait bien mieux la vastitude que moi. Et, soudain, il a jailli. Sans laisser à Makarov le temps de prendre la photo. A ma demande, Makarov tenait l'appareil prêt pour fixer l'instant où j'allais relâcher 1'oiseau - vaniteux libérateur d'oiseaux-, mais cette seconde était passée trop vite. Nous n'avons pu que lever la tête et le voir disparaître.
Dans le bouddhisme thaïlandais, l'idée de karma a donné lieu à l'idée d'accumuler des mérites. L'idée d'accumuler des mérites a donné lieu à la libération d'oiseaux. La libération d'oiseaux engendre de la positivité qui rejaillira ultérieurement, sur son auteur.
Cette logique est dénaturée quand on sait qu'auparavant ces oiseaux étaient libres. Ils n'ont été capturés et emprisonnés que dans le but d'être vendus - cent bahts -et relâchés.
Mais, à ce moment-là, je n'y ai pas pensé.
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(Et) j'ai pensé : les hommes ne pourraient-ils mourir comme meurent les jours? Comme cela avec des oiseaux qui chantent sans soubresauts, et une clarté liquide et vitrée sur toute chose, et la fraîcheur, la suave fraîcheur, la brise légère qui fait trembler les petites feuilles des arbres, le monde inerte ou qui se meurt calmement, et puis le silence qui croît, naturel, si naturel, le silence attendu, et finalement juste, et finalement digne.
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On a l'habitude d'appeler silence les sons tels que ceux-là - le chant transparent d'un oiseau ; l'existence universelle des insectes, inséparable de tout ; une brise très ténue qui passe à la surface des étendues de riz.
Le vert se mêlait au jaune dans le lointain. Le son de mes pas dans le riz, dans les broussailles, c'était également du silence. Mon poids s'affaissait lentement sur ce sol capitonné. J'ai saisi un brin entre les doigts. Ils étaient gros ces grains de riz, enveloppés d'une gousse verte, ils étaient délicats au toucher.
Au fond, loin, on distinguait quelques maisons entre les arbres - on aurait dit qu'elles se cachaient. Ces rizières sentaient la terre, elles étaient traversées par une route fine sur laquelle un vélo pourrait à peine passer.
J'aurais pu rester là pour toujours, spectateur du passage de lourdes gouttes ; puis l'air plus chaud et sec ; ensuite, plus frais, presque frais. Comme les rizières, moi aussi je me mettrais a l'heure de cet état d'être. La vie ne serait pas seulement facile, elle ne l'est jamais, mais il m'a semblé un instant qu'elle serait plus simple.
Là - sans touk-touks, sans autels, sans pad thaï, sans plages de cette couleur ou mer de cette couleur, sans les multitudes qui veulent la même chose -, c'était aussi la Thaïlande.
Ce silence, c'était aussi la Thaïlande.
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A cette heure du début de la nuit, dans Bangla Road, à quelques mètres de la plage de Patong, à Phuket, il y avait de l'euphorie sur ces visages brûlés par le soleil, rouges, certains avec la marque des lunettes noires dessinée autour des yeux. Les enfants étaient effrayés par la jeune femme recouverte de scorpions, derrière un seau pour les pièces de monnaie. Les majeurs - femmes et hommes - étaient impressionnés par les bars grands ouverts sur la rue, les jeunes femmes presque nues perchées sur les comptoirs, les ladyboys presque nues, perchées sur les comptoirs, la suggestion de la sensualité, sexualité, pornographie, le bruit de la musique qui rendait tout plus théâtral, et les lumières tapageuses qui rendaient tout plus féérique.
Traversant ces courants, se frayant un chemin, des ladyboys ou de jeunes femmes trop maquillées, jupes courtes, chaussures à talon haut, émergeaient de la foule. Elles se baissaient jusqu'à s'accroupir devant un moine qui était assis en bordure du trottoir, entre des gobelets en plastique vides et des ordures, avec une petite statuette dorée de Bouddha devant lui.
À côté de la foule qui passait, ils étaient seuls. Ensevelis par le bruit, ils demeuraient dans un silence absolu. Elles. tête baissée, tenant des bâtons d'encens entre les doigts. ou juste les mains jointes, le moine remuant les lèvres en bénédictions - illuminés tour à tour de pourpre, rouge et bleu.
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Un des moines rasait la tête aux autres. Il leur passait du savon à barbe sur la tête et faisait glisser la lame lentement - il avait beaucoup de temps. Là, non loin de la montagne Doi Sudep, la ville paraissait lointaine. A l'ombre d'arbres très hauts - ciel d'arbres -, les coqs flânaient sur des statues brisées de Bouddha et des racines grises, parmi les branches de jeunes plantes qui perçaient dans les intervalles entre les pierres - morceaux de Bouddha en position du lotus, sans tronc, ou sans bras, ou sans tête, recouverts de mousse.
La grande majorité des garçons thaïlandais sont ordonnés moines pendant un ou deux mois ou, plus rarement. pendant un ou deux ans. Encore enfants - moines novices - ou plus âgés, avant de se marier, ils passent par la rigueur monastique. C'est leur manière de faire montre de gratitude pour l'éducation qu'ils ont reçue et de faire des mérites pour leurs parents - surtout pour leurs mères étant donné qu'il n'y a pas de nonnes bouddhistes en Thaïlande et qu'elles ne peuvent donc pas accumuler ces mérites par elles-mêmes.
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Sur le bord de la route, parmi des étendues jaunies de buissons et de chardons secs, parmi des champs de blé géants, surgissent des herbes courageuses et rares, surgissent des papillons qui, du feu sanglant de leurs flammes, allument la blondeur et l'or. Des marées flavescentes brûlent. Des manteaux jaunes s'élèvent vers le ciel et vers le soleil, les transpercent et en jaillissent. Et dans le matin, déjà presque l'après-midi de ce printemps torride, il y a tant d'éclats qui éblouissent les yeux. Aveuglé, je regarde de côté et je me vois petit, il y a bien des années, quand j'étais assis sous la courroie nécessaire de la ceinture de sécurité, je me vois impatient, demandant : il y en a pour combien de temps ? De nouveau je regarde la route.
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En suspens dans l'air, ma main s'est dirigée vers ton tiroir. Et, là où tu l'as posée dans ta fatigue, ta montre t'attendait encore, les secondes passaient encore sur le cadran : une autre une autre une autre, des secondes qui se superposaient encore, même après toi, des secondes et du temps encore, comme si rien n'avait altéré le labeur ténu de tisser un fil fin et interminable, le fil menu, comme s'il ne pouvait être coupé à tout instant, comme s'il ne pouvait être coupé abruptement pour ne plus jamais être réuni, jamais plus nous réunir. J'ai ouvert la boucle du bracelet de ta montre et je l'ai refermée sur mon poignet.
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Ses yeux, l'espace d'un instant, furent un abîme où je m'enveloppai de légèreté lumineuse, où je tombai comme si je flottais : tomber à travers le ciel pour arriver au creux d'un rêve.
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On choisissait un plat sur l'un des grands plateaux en aluminium - plat rouge, plat orange, citronnelle, citron vert, lait de coco, piment, menthe, coriandre, basilic, cannelle, curcuma, cumin, ail, gingembre. Ou alors on commandait un plat à quelqu'un - une femme - qui le préparait sur-le-champ, dans un wok immense, profond, où elle cuisinait de tout, comme une machine où il suffirait de placer des ingrédients pour qu'elle les mélange, puis les serve juste après en un plat abouti.
Dans un coin, il y avait une femme aux manches retroussées, mèches de cheveux collées à la transpiration du front, qui avait un sourire affable quand des personnes s'approchaient pour lui demander de la soupe. Elle découvrait une casserole, se retrouvait enveloppée d'un nuage de vapeur, et servait des bols en plastique rose ou bleu. Puis, elle les saupoudrait de sauce piment, d'une cuillère de sauce noire, d'un brin de ciboulette haché, et les tendait avec ce même sourire bienveillant.
En montrant du doigt, j'ai demandé une de ces soupes aux nouilles. Usant également de gestes, elle m'a demandé si je voulais du piment, de la sauce, un brin de ciboulette. Je voulais tout. J'ai reçu le bol et le sourire.
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C'étaient des bottes militaires d'occasion, achetées à la Feira da Ladra - je posais la semelle de l'une des deux contre le mur où je m'adossais. Je regardais insouciant de chacun des deux côtés, au fond, comme si j'attendais quelqu'un. Je portais un jean déchiré avec soin, mon meilleur T-shirt - Iron Maiden -, j'étais un type comme les autres à la porte de Gingao, dans le Bairro Alto.
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Les couloirs du centre commercial Fonte Nova dilapidaient lumière et enthousiasme. Les vitrines des boutiques étaient prétextes à examen minutieux et débat. Mon beau-frère - les mains dans le dos -, ma soeur et moi marchions sans nous presser. Je me souviens de détails. Ce devait-être une soirée où l'on avait droit au programme complet - promenade, dîner, cinéma. Nous venions d'arriver, le meilleur nous attendait.
Lisbonne exposait la grande différence entre son âge et le mien - on était presque à la fin des années quatre-vingt, j'avais peut-être quatorze ans. Pendant des mois, je rêvais de la ville et, ensuite, je la recevais par petites doses quand j'allais dans la Baixa avec mes parents - cordonneries, quincailleries - ou avec ma soeur aînée, par des nuits comme celle-là.
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