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Citations de Josef Winkler (25)


Parmi les chefs du kolkhoze, en plus du holova kolhospou ou du holova silrady, il y avait l’oupolnomotchenyl, le commissaire délégué, qui pouvait recourir à la force pour imposer la collectivisation. Il avait le droit d’exproprier les paysans, de le chasser de chez eux, de les envoyer en Sibérie, de les pendre ou de les faire abattre séance tenante s’ils n’obtempéraient pas. L’oupolnomotchenyl était parfois un criminel condamné auquel on avait confié les pleins pouvoirs. S’il arrivait à collectiviser un village, on considérait qu’il avait purgé le reste de sa peine.
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En mars 1943, ma sœur Lidia Vassilievna Iliachenko et moi-même, Nietotchka Vassilievna Iliachenko, avons été arrêtées par des policiers dans la maison de nos parents à Doubynka, un petit village d'Ukraine non loin de Tcherkassy. Il était à peu près deux heures du matin quand un policier me donna un coup dans les côtes avec le canon de son fusil. On nous a mises avec d’autres gens dans un wagon à bestiaux et envoyées travailler en Carinthie.
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Dans les montagnes on s'assoit près du lit de mort d'un vieux paysan émacié, à la ville on s'installe dans une carrosserie de voiture.La mort est pressée, elle dépasse la vie.(p.35)
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Préface de l'auteur à l'édition française

En 1981, je passai une année entière à Mooswald en Carinthie dans la famille Steiner, dite Starzer.(..)
Partout les chambres étaient déjà louées aux touristes,seule Mme Valentina Steiner,que je croisai par hasard devant sa maison, me dit que je pourrais emménager quand je voudrais.On l'appelait la "Starzer Vale".Je savais qu'elle venait de Russie, rien de plus.
Quelques semaines plus tard, j'arrivai à sa ferme avec ma valise et le coffret noir, en plan incliné, de ma machine à écrire électrique Olivetti. (..)
A cette époque, plus de neuf mois durant lesquels je travaillai au roman"Langue maternelle", elle me racontait régulièrement le soir son enfance ukrainienne et sa déportation jusqu'en Carinthie en 1943 alors qu'elle avait quatorze ans.Au commencement,je ne pris pas de notes.Soir après soir,je l'écoutais. Elle attirait souvent mon attention sur le fait qu'elle m'avait logé dans cette même chambre où elle l'avait été elle aussi après avoir été transportée de force en Carinthie et où des années durant elle avait dû dormir près d'une servante.

Quand j'eus achevé le roman "Langue maternelle ", le printemps était arrivé. Elle travaillait au Jardin. Je m'asseyais non loin d'elle avec un magnétophone. Nous faisions ces enregistrements en secret,car son mari,le fermier, qui était également très porté dur l'eau-de-vie qu'il distillait chez lui,ne pouvait pas entendre ces histoires russes.Il ne voulait rien savoir.Il avait honte d'être marié à une Russe. (p.8)
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Dans notre région, il n'y avait pas beaucoup de fruits. Il y avait bien çà et là un cerisier, mais les branches étaient hautes, je n'aurais jamais pu en attraper une, ma mère ne savait pas non plus grimper aux arbres. Les autres enfants qui grimpaient aux arbres et mangeaient des cerises ne m'en lançaient pas une seule. Je rentrais voir ma mère et je disais en pleurant "Je leur ai demandé mais ils ne m'ont pas lancé une seule cerise."
Ma mère a dit "Qu'est-ce que je peux faire mon enfant ? Tu n'as pas besoin de cette cerise ! Qu'elle aille au diable!"
Ça m'a bien aidée. Si je ne pouvais pas avoir une chose, je me disais souvent que je ne devais pas forcément l'avoir, voilà comment j'ai appris à m'en passer. (P.123)
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C'est seulement plus tard,quand elle m'a écrit de Russie en Carinthie,que je me suis aperçue qu'elle savait écrire. Souvent elle n'écrivait les mots qu'à moitié, mais je me régalais à lire ces lettres,car je savais qu'elles venaient de ma mère, nous avions été séparées d'elle si violemment, ma sœur et moi.Quand je lisais les mots qu'elle avait écrits,j'avais l'impression d'entendre sa voix.(p.66)
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« Dans l’enfance aussi, il y avait des miroirs, mais à une plus grande distance. Peu à peu nous nous rapprochons de nous-mêmes, l’espace qui nous entoure s’amenuise, bientôt nous voici au plus près. Encore un pas et nous brisons le miroir à coups de poing, nous nous coupons, nous saignons. Ou nous nous immobilisons. » En lisant ces quelques phrases d’Ilse Aichinger, extraites du chapitre « Notes éparses » de son recueil Kleist, mousse, faisans, que j’emportai en Inde l’été passé et dans la lecture duquel je ne cessais de me plonger quand, à Ellora, déambulant pendant six heures à travers les sanctuaires bouddhistes, temples monolithes creusés à même la roche, nous nous octroyions quelque répit, il me revint à l’esprit – « et la parole prit son envol » – la Madonna della seggiola de Raphaël, qui surmontait les deux lits de mes parents, et se reflétait sur le mur d’en face dans ce miroir dont le large cadre, comme les armoires et les lits de la chambre, avait été ouvragé dans le bois du grand noyer qui poussait jadis devant la maison des parents de ma mère, non loin du pommier Gravenstein sous la ramure duquel, étant enfants, nous trottions en poussant notre ballon, jusqu’à ce que la tête nous tourne, ou, nous hissant sur la pointe de nos orteils, nous cueillions les pommes Gravenstein d’un jaune cireux, toutes piquetées, tavelées de carmin, marchant parfois sur les fruits pourrissants qui jonchaient le sol ou sur ces guêpes au fuselage jaune-brun qui, surgies là-haut dans le grenier de leur ballon de papier gris, nous épouvantaient tant, et que nos semelles enfouissaient dans la chair tendre et juteuse des pommes Gravenstein. C’est à l’aplomb de ce vieux miroir, le premier miroir que j’ai perçu vraiment – oui, je pris pour vraie l’image spéculaire -, où l’on voyait apparaître, légèrement déformés, La vierge à la chaise de Raphaël, avec son visage fier et débonnaire, le petit enfant Jésus qui, dans son giron, tout potelé, glisse subrepticement la main sous son châle vert pour lui palper les seins, et, à l’arrière-plan, les mains jointes en une prière, l’ange au regard affligé et soucieux – il entend déjà s’enfoncer les clous de la crucifixion -, que se trouvait, dans un petit cadre, le portrait en noir et blanc, triste et un peu flou, de ma grand-mère maternelle, morte à l’âge de soixante ans d’avoir eu le cœur brisé, quelques heures après que le médecin de famille, venu de l’autre rive de la Drave, lui eut administré une ultime piqûre au cœur, comme on disait alors, cette même grand-mère qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, perdit en une seule année trois fils encore dans la fleur de l’âge, les frères de ma mère, âgés respectivement de dix-huit, vingt et vingt-deux ans quand ils trouvèrent la mort sur les champs de bataille. « Comment ne voudrais-je pas garder le deuil, puisqu’il n’y a plus qu’en lui que je me retrouve ? » écrit Ilse Aichinger. Et : « Qu’est-ce à dire : la mort ? […] En novembre fleurissent encore des boules de neige. A quelles profondeurs sommes-nous descendus ? Sauriez-vous me dire s’il est tard, quand sonnent les dix coups ? Je ne puis pas lire l’heure. »
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Préface del'auteur à l'édition française

(...) Comme - L'Histoire de Nietotchka- décrit aussi la première année durant laquelle la jeune fille de quatorze ou quinze ans dut apprendre à vivre à la ferme montagnarde de Mooswald,dans cet univers étranger, démoniaque,loin de sa mère restée en Ukraine.,les fermiers de Mooswald et de Fresach,offensés, se détournèrent d'elle.Soudain,cette femme très appréciée et sociable n'était plus bienvenue dans les autres maisons,et les autres villageois ne lui rendaient plus visite non plus.Son mari,un ivrogne qui détestait les Russes,l'incriminait chaque jour parce qu'elle avait raconté son histoire et que figurait désormais noir sur blanc dans le journal qu'il était marié à une Russe.(p.9)
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Mes enfants, je veux vous informer que je suis encore vivante et en bonne santé, même si je suis affaiblie. J'ai été malade tout l'été, j'ai même dû passer un mois à l'hôpital et ensuite je suis restée à la maison alitée. Maintenant je vais un peu mieux mais je ne peux rien faire dans la maison et je vis avec l'aide de Dieu. C'est que j'ai déjà 73 ans. C'est difficile d'être vieux.
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18.10.1963

Une lettre de ta mère Hapa Davidovna

(...)
Valia,écris-moi et parle-moi de ta ferme,de tout ce que tu as à faire.Je ne fais plus rien.J'ai dû vendre la vache parce que je ne pouvais plus m'occuper d'elle. Ç'a a été dur de lui dire adieu,je n'arrive pas à l'écrire, elle me donnait beaucoup de joie.(...) C'est dur de vivre avec toutes ces années. Mon enfant,si seulement je pouvais vous voir au moins une fois,toi et tes enfants.(p.246)
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A l'Est de la Carinthie

Note du traducteur

(...)Winkler ,depuis un lieu perdu dans les montagnes autrichiennes, déploie dans le personnage de Nietotchka les superpositions et imbrications mémorielles de l'Europe du XXe siècle, en l'occurence plusieurs mémoires de la seconde guerre mondiale,du nazisme et du stalinisme : sa famille est victime des expropriations et de la famine voulues par le pouvoir stalinien ; l'arrivée de l'armée allemande suscite de l'espoir, mais la déportation sera son fait.Enfin,l'ukrainienne " met en évidence ce que Winkler doit à sa lecture des auteurs russes et souligne la composante slave de son oeuvre, depuis ses tout premiers livres jusqu'à "Mère et crayon" (..) et au texte qu'il a consacré à Chaïm Soutine.Et c'est à un roman de Dostoïevski qu'il emprunte le prénom Nietotchka.(p.263)
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Ma mère faisait le pain avec du millet. Quelqu'un, je ne sais plus qui, lui avait donné un petit sac de millet, mais on aurait dit que ce pain était fait avec de la sciure. J'avais une de ces faims, mais ce pain de millet, je pouvais à peine le manger, il me restait en travers du gosier.

Un mendiant est arrivé. Ma mère n'avait plus qu'un bout de ce pain de millet. Elle a rompu le pain de millet en deux et a donné une moitié au mendiant. J'ai dit: Mamo, pourquoi avez-vous fait ça ? Pourquoi avez-vous donné le pain au mendiant, nous aussi nous avons faim, pourquoi avez-vous fait ça ? Tu sais, jeune fille, a dit ma mère, il n'y a pas que nous, lui aussi il a faim. Si nous, nous mangeons la moitié et si le mendiant mange l'autre moitié, alors nous vivons et lui aussi il vit. Ça m'a fait un de ces effets, quand ma mère m'a expliqué ça, ça m'a tellement émue que je me suis trouvée contente du peu de pain de millet qui nous restait. Alors du coup, ma faim m'a passé. (P.109)
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Lettre d'Agafiya à ses filles Lidia et Valia

11.9.1957

Cette lettre a été postée en Ukraine (...)

Je crois que j'ai rêvé qu'une lettre de vous était arrivée et j'étais tellement heureuse que je ne savais pas quoi faire. Nous allons bien,nous ne manquons de rien.Il n'y a que l'âge qui me donne du souci,et que je serai seule quand je serai vieille. Je vous écrirai plus tard pour vous dire qui est encore vivant et qui est mort.
(p.243)
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Ensuite,quand ils ont appris que ma mère savait s'y prendre avec les vaches,les chefs du kolhoze l'ont placée à l'étable avec les vaches,mais elle devait rentrer dormir à l'autre bout du village,où nous logeons,elle n'avait pas le droit de dormir dans sa propre maison.Oui, ils ont chassé ma mère de sa propre maison .Les chefs du kolhoze l'avaient transformée en laiterie et elle devait travailler là. Tu t'imagines ce que cela voulait dire pour ma mère de voir ces gens détruire tout ce qu'elle avait.(p.164)
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Préface de l'auteur à l'édition française

A Noël, j'apportai le livre à Mme Steiner.Elle en fût très fière. Avec une joie d'enfant, nous le deposâmes au pied du sapin..Elle savait désormais qu'étaient sauvegardées l'histoire de sa mère, qu'elle n'a jamais revue,et celle de sa propre enfance ukrainienne et de sa déportation. (p.9)
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"Nietotchka Vassilievna Iliachenko m'a extirpé de mon recoin où les araignées avaient déjà tissé leurs toiles. Je suis redevenu capable de faire sentir à ceux qui me tirent dessus que, sur la peau de mon âme, qui n'est pas à l'épreuve des balles, une carapace s'est développée."
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Nous, au village,on était sacrément heureux, en fait,quand les Allemands sont arrivés, ce qui s'est révélé par la suite être une erreur. Nous les attendions impatiemment, les Allemands.Dans un premier temps,ils nous libéraient de nos propres dictateurs communistes.(p.169)
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Dans la jarre où se préparait à partir des ossements d'animaux abattus le brouet d'os à l'odeur putride dont on badigeonnait le pourtour des yeux, des oreilles, les naseaux et le ventre des chevaux pour les protéger des mouches, des taons et des moustiques, reposent, tout au fond, les os des bras, arrachés dans une tranchée sur un champ de bataille
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Alors,comme ça, j'ai fait le docteur pour son pied,j'ai appliqué aussi de l'argile,il y en avait suffisamment en Russie,de l'argile.Toutes les fins de semaine nous nettoyons le sol de la cuisine à grande eau avec de l'argile.C'est peut-être pour ça que là-bas, en Russie, les gens sont si robustes, parce que les petits enfants,quand il faisait chaud en été, dormaient sur le sol de la cuisine qu'on nettoyait à l'argile.On étendait une couverture à même le sol et on dormait dessus.( p.171)
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Le même jour, ou le jour d'après, ils ont bouclé mon père et lui ont demandé pourquoi il avait quitté le kolkhoze,pourquoi il ne voulait pas devenir communiste.Ils ont menacé de l'abattre ou de l'expédier en Sibérie. Mais ça ne servait à rien de s'en prendre à lui, il n'était pas un gros propriétaire, il avait abandonné tout le contenu de sa maison,tous les biens,tout l'argent qu'il possédait. Il ne s'était pas défendu quand on avait voulu lui prendre tout ce qu'il possédait, et ils l'ont bouclé uniquement parce qu'il avait quitté le kolkhose et ne voulait pas devenir communiste. Personne ne travaillera à ma place,disait mon père, je suis capable de travailler moi-même, je peux me nourrir, moi et ma famille. (p.148)
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