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Citations de Juan Carlos Onetti (37)


Juan Carlos Onetti
La nuit était aux fenêtres et se taisait,
le vaste monde aurait pu être mis en doute

(Le Chantier)
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Il était vieux, incrédule, sentimental, fonder un bordel c'était maintenant, essentiellement, comme de se marier in articulo mortis, comme de croire aux fantômes, comme d'agir pour Dieu.
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Il était à la fois sujet et objet, il se regardait vivre, prêt à s'étonner, incapable de déterminer quels actes lui appartenaient en propre, et lesquels étaient empruntés ou réalisés par pur caprice.
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Exactement ça: un cactus, le mur du cimetière en pierres sèches, un mugissement répété sur le fond invisible de l'après-midi; et l'été encore indécis avec son soleil blanc et tâtonnant, le bourdonnement des mouches, l'odeur d'essence qui me venait de la voiture, indolente; l'été, la sueur comme de la rosée, la paresse.
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Je me souviens, surtout, d’avoir évoqué une chose simple: une prostituée me montrant son épaule gauche, rougie, avec la peau presque fendue, qui me disait: « Tu te rends compte, ces sales chiens! Il en arrive vingt par jour et pas un ne se rase. »
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"Le malheur, c'est ça", pensa-t-il, "non pas la malchance qui arrive, insiste, puis, infidèle, s'en va, mais le malheur, vieux, froid, verdâtre. Il n'a pas besoin, lui d'arriver et de s'installer, c'est autre chose, cela n'a rien à voir avec les événements, bien qu'il les utilise pour se manifester. Le malheur ne vient pas, il est.
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il s'installa dans son bureau et s'en fut en ligne droite regarder le morceau de vitre que n'arrivait pas à couvrir le rideau de la fenêtre, reconnaissant d'avoir retrouvé le sens langoureux de la nuit, à nouveau sûr de lui et calme, regardant le morceau de ciel noir devant lequel il avait souffert pour Béatrice, pensant maintenant que, quand tout serait fini, à n'importe quelle heure, le lendemain, il pourrait retourner chez lui, monter sans bruit les marches et la retrouver endormie ou éveillée et récupérer d'un geste de la main le temps perdu, ou tout perdre pour toujours et se libérer de l'inévitable tourbillon où elle nageait, avec la flamme tremblotante de la bougie, le visage de l'image, l'inquiétude des chiots dans le panier et l'air chargé de culpabilité et de haine du passé qui l'effondrait sans force dans le fauteuil.
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Déjà le rêve échappe à ton sommeil lointain et obstiné. Comme la lumière grise qui vainc les rideaux, les choses étranges et les personnages fous qui te remplissent débordent désormais dans la chambre.
"Des pousses lentes se gonflent et croissent, enlacent les meubles, frottent les coins de leurs énormes yeux aveugles. Nous, le matin, l'air que tu as bercé dans la nuit, la main perdue sur le drap, le bout de ton sein lie-de-vin, replié en-dedans, nous sommes ton rêve. (..."
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Dans le balancement de sa coupole noire et luisante, le corbillard gravissait lentement la rue, traîné par un attelage incolore. J'aperçus la croix sombre, le haut-de-forme du cocher et sa petite tête penchée, les chevaux rétifs, d'une couleur scandaleuse, presque des mules en train de tirer une charrue. Ensuite, solidifié par le soleil, brun et doré, suivait mollement le nuage de poussière. Et tout de suite après sa mort, immédiatement après, quand la lumière occupa de nouveau, sans se presser, la région de terre remuée, je les vis, je mesurai leur approche maladive. Je vis les deux petits nuages indépendants qui s'élevaient en se renouvelant, pour leur donner un fond, sans se rejoindre. Entre-temps, le visage du cocher penché sur le siège surélevé du corbillard, son expression de patience offensée, s'approchait de moi.

A une tombe anonyme
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Le poète prétendait avoir visité un cimetière dans lequel il avait vu une jolie petite Japonaise accroupie qui agitait, inlassablement, un grand éventail sur la terre d'une tombe. Poussé par la curiosité, mère du savoir et de la poésie, Ki no s'était approché de la jeune fille et, après avoir fait les trois révérences d'usage, s'était risqué à l'interroger. Aussi bien sans avoir eu besoin de recourir aux mots, avec uniquement l'air interrogateur de son visage. La fillette - toutes les jolies femmes traversent les années comme d'éternelles adolescentes - mit un terme au va-et-vient de son poignet, leva les yeux tout en arborant un sourire nippon hésitant et figé. Puis elle dit avec tristesse : "Mon mari m'a fait jurer, sur son lit de mort, de lui rester fidèle tant que la terre de sa tombe serait humide. Et l'automne a été si pluvieux !"
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Voilà la nuit. Je vais m'étendre sur le lit, le corps refroidi, mort de fatigue, espérant pouvoir m'endormir avant que n'arrive le matin, sans plus aucune force pour attendre le corps humide de la jeune fille dans la vieille cabane en rondins.
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Nous ne parlons jamais. Tout doucement sans cesser de la regarder, je m'assieds sur le bord du lit et fixe mes yeux sur le triangle noir où brille encore la tempête. C'est exactement à ce moment-là que commence l'histoire.
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Le gardien du cimetière avait une matraque inutile qui pendait à son bras. Il sortit dans la rue et regarda des deux côtés. Moi je fumais, assis sur une pierre ; les deux types en bras de chemise se taisaient, adossés au mur, les bras ballants, les mains dans les poches ou dans la ceinture du pantalon. Exactement ça : un cactus, le mur du cimetière en pierres sèches, un mugissement répété sur le fond invisible de l’après-midi ; et l’été encore indécis avec son soleil blanc et tâtonnant, le bourdonnement des mouches, l’odeur d’essence qui me venait de la voiture, indolente ; l’été, la sueur comme de la rosée, la paresse. Le vieux toussa à ma place et finit par émettre quelques jurons. Alors je me levai pour me détendre, j’aperçus le chemin dénudé, je regardai sur ma gauche et j’esquissai lentement une grimace de haine et de méfiance. (« À une tombe anonyme », traduction Abel Gerschenfeld)
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Ils vivaient aux Casuarines, exilés de Santa Maria et du monde. Mais certains jours, une ou deux fois la semaine, ils allaient faire des courses en ville dans l’incertaine Chevrolet de la vieille.
Les plus anciens habitants de Santa Maria pouvaient alors évoquer la brève et lointaine existence du bordel sur la côte, les courses que les filles venaient faire le lundi dans le centre. Malgré les années, les modes et la démographie, les habitants de la ville étaient toujours les mêmes. Timorés et vaniteux, obligés de juger pour se donner confiance, et jugeant toujours par envie ou par peur. Le plus clair à dire sur eux était qu’ils étaient dépourvus de joie et de spontanéité, qu’ils ne pouvaient être que des amis tièdes, des ivrognes agressifs, des femmes qui ne cherchaient que la sécurité et étaient interchangeables comme des jumelles, des hommes frustrés et solitaires. Je parle des Sanmariniens ; peut-être les voyageurs ont-ils aussi constaté que la fraternité humaine est, dans les circonstances défavorables, une vérité décevante et étonnante. (« Histoire du chevalier à la rose et de la vierge enceinte qui venait de Lilliput », traduction Laure Bataillon)
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Dans le temps, des dizaines de personnes avaient dû arrêter leur voiture devant l’épicerie Porfilio Frères, pour sourire aux propriétaires défunts ou à Mario, boire un verre, montrer des échantillons, des catalogues et des listes, vendre du sucre, du riz, du vin et du maïs. Mais maintenant le prince Orsini s’employait, avec des sourires, des bourrades amicales et des excuses attendries, à vendre au Turc une marchandise étrange et difficile : la peur. Alerté par la présence de la femme, averti par son souvenir et son instinct, il se borna à marchander la prudence, à essayer de négocier. (« Jacob et l’autre », traduction Abel Gerschenfeld)
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Cela fait près d’un an que je vois Bob presque tous les jours dans le même café, entouré des mêmes personnes. Quand on nous a présentés l’un à l’autre – maintenant, il s’appelle Robert -, j’ai compris que le passé n’a pas de mesure fixe et qu’hier se confond avec une date vieille de dix ans. Quelques traits flétris du visage d’Inès persistaient encore sur le visage de son frère, et un mouvement de bouche de celui-ci suffit à me faire revoir le corps svelte de la jeune fille, ses pas calmes et désinvoltes, tandis que ses yeux bleus et purs recommençaient à me regarder sous une mèche folle que traversait et retenait un ruban rouge. Absente et perdue pour toujours, elle pouvait demeurer intacte et vivante, définitivement, absolument elle-même. Mais il était difficile de fouiller le visage, les paroles et les expressions de Robert pour retrouver Bob et pouvoir le haïr. Le soir de notre première rencontre j’attendis longtemps le moment où il resterait seul ou bien sortirait, afin de pouvoir lui parler et le frapper. Tranquille et silencieux, épiant par moments son visage ou évoquant Inès sur les vitres brillantes du café, je composai minutieusement les phrases d’insulte que je lui destinais et trouvai le ton flegmatique que je prendrais pour les prononcer, puis je choisis l’endroit de son corps où je frapperais le premier coup. Mais il partit à la nuit tombante en compagnie de ses trois amis, et je décidai d’attendre – comme je l’avais fait plusieurs années auparavant – le soir propice où il se trouverait seul. (« Salut, Bob ! », traduction Claude Couffon)
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« J’ai relu ton poème », dit-il, et il leva son verre crasseux, décoré de fleurs, qui devait servir de verre à dents, ou à tisane. « Et quoi que tu en dises, il n’est pas mauvais. Il y a beaucoup de fumée, veux-tu que j’ouvre la fenêtre ? »
À Santa Maria, quand la nuit tombe, le fleuve disparaît, il recule dans l’ombre comme un tapis qu’on roule. À pas lents, la campagne envahit le paysage par la droite – à cette heure, nous sommes tous tournés vers le nord -, elle nous occupe et occupe le lit du fleuve. La solitude nocturne au-dessus de l’eau, sur les rives, peut nous offrir, sans doute, le souvenir ou le néant ou un avenir décidé. La nuit de la plaine qui peu à peu s’étend, irrésistible et ponctuelle, ne nous permet, elle, que de nous retrouver nous-mêmes, lucides et au temps présent.
« Ce n’est pas un poème », dis-je avec douceur. Tu fais croire à tes parents que tu travailles et tu t’enfermes avec des revues cochonnes, qui sont à moi, d’ailleurs. Ce n’est pas un poème, c’est l’exposition de l’idée que j’ai eue pour faire un poème, mais je n’y suis pas arrivé.
– Je te dis que c’est bon », répondit Tito, entêté, émouvant, avec un léger coup de poing sur la table.
Quand vient la nuit, nous n’avons plus de fleuve, et les sirènes qui vibrent dans le port se transforment en mugissements de vaches perdues, et les tempêtes sur l’eau résonnent comme un vent parmi les blés, dans les bois rabattus. Que chaque homme demeure seul et se regarde jusqu’à ce qu’il tombe en poussière, sans mémoire et sans lendemain ; un visage sans secrets pour toute l’éternité. (« L’album », traduction Laure Bataillon)
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Presque appuyé sur l’horizon, tout petit, le bac s’était immobilisé. Je remontai vers la ville. J’avais déjà oublié la femme à la valise et je n’éprouvais plus ni amour ni curiosité pour cet appel, cette allusion que je lui avais vu établir dans l’espace qui nous séparait entre le coin du Berna et celui du Liberal. Désespéré, affamé, avalant le goût de phosphore de la pipe, je pensais : « Une mesure arbitraire, approuvée de façon inexplicable par les autorités dont nous dépendons, vient d’autoriser l’entrée de vingt-sept bushels et demi de blé dans le port de Santa Maria. Avec la même indépendance de vues qui nous a poussés à applaudir l’oeuvre réalisée par le nouveau conseil, nous nous sentons cette fois dans l’obligation d’élever une voix réprobatrice mais au-dessus de tout soupçon. »
De L’Italie Nouvelle, j’appelai maman pour lui dire que je mangerais en ville afin d’arriver à l’heure au lycée. J’étais sûr que la femme avait été repoussée ou dissoute par la sottise de Santa Maria, très exactement symbolisée par les articles de mon père. « Un véritable affront, nous n’hésitons pas à le dire, infligé par ces messieurs les conseillers aux travailleurs austères et dévoués des communes avoisinantes qui ont fécondé de leur sueur, génération après génération, la richesse enviable dont nous disposons. »
À la sortie du cours, Tito voulut aller prendre un vermouth à l’Universal (pas au Plaza de peur d’y rencontrer son père) et me faire croire à une histoire d’amour avec sa petite cousine, la maîtresse d’école ; il insista sur des détails plausibles, répondit habilement à mes questions ; il était clair qu’il avait préparé sa confidence de longue main. Je pris un air grave, je pris un air triste, je m’indignai :
« Écoute, lui dis-je en cherchant implacablement son regard, il faut que tu l’épouses. Impossible de faire autrement ; même si elle ne veut pas. Si ce que tu m’as raconté est vrai, il faut te marier ; envers et contre tout ; même si la pauvre fille a les chevilles grosses comme ses cuisses et même si elle fronce la bouche comme une vieille. »
Tito se mit à sourire et à secouer la tête ; il allait me dire que c’était une blague quand je me levai et le fis rougir de peur, de doute.
« Je ne veux ni ne peux plus te voir tant que tu n’es pas fiancé. Et paie les consommations, c’est toi qui as invité. »
Une fois seul, je n’eus de repentir que le temps de faire trois pas, le temps de traverser le trottoir du café en cachant les cahiers et le livre d’anglais dans la poche de mon imperméable. Grassouillet, rose, vaniteux, servile, les yeux mouillés peut-être à présent, idiot, mon ami. Le temps était toujours humide, tiède aux ouvertures des carrefours, indécis à l’ombre des patios, chaud au bout de cent mètres à pied. Tout en descendant vers le port, je me sentis heureux, en dépit de toute ma volonté, et je me mis à fredonner la marche innommable qui couronne les retraites sur la place, je décelai une odeur de jasmin dans l’air, je me souvins d’un été, très ancien déjà, où les jardins avaient lancé des tonnes de jasmin sur la ville et je découvris, m’arrêtant à demi, que j’avais déjà un passé. (« L’album », traduction Laure Bataillon)
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- Je ne suis pas très porté sur la lecture mais, vous, peut-être. Dites-moi, mettons que vous êtes en train de lire un livre et que vous tombez sur un type qui parle autant que moi, qu'est-ce que vous faites ? Vous refermez le livre et vous maudissez celui qui l'a écrit.
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Les pluies sont arrivées. (...) Je sais bien qu'on est toujours entouré de champs, de semailles et de récoltes, surtout de vignes, et que des milliers de personnes doivent se réjouir de cette eau bénie qui peut sauver ce qu'ils ont planté en se donnant de la peine, en attendant l'arrivée du pénible maquignonnage avec les acheteurs qui leur tomberont dessus depuis leurs villes pour les escroquer et leur faire de fausses promesses. Ils ne sont en effet rien d'autre. Derrière, il y a les entrepreneurs, les multinationales invisibles et sûres que les transactions se feront à leur avantage.
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