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Critiques de Juan Carlos Onetti (35)
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Demain sera un autre jour

Dès les années trente naît, en Amérique latine, une nouvelle littérature issue d'un espace socio-économique neuf : la grande ville, accaparée par une haute bourgeoisie, concentrant réfugiés, exilés, étrangers, paysans sans terre, marginaux et hors la loi.

Si Roberto Arlt scrute les bas-fonds et ses exclus absolus de Buenos Aires, avec une énergie atomique, la conclusion de cette dissection menant à la folie et la dépossession de soi, Juan Carlos Onetti décortique ici magistralement les mêmes recalés sociaux, mais à Montevideo.

Dans une écriture lapidaire et élégante, Onetti aborde la déshumanisation des exclus et des marginaux en une série de quinze nouvelles, où la décadence gangrène les âmes, les coeurs et les destinées : une humanité autant anéantie par la vie que par le recours au rêve. Eternelle voie sans issue.

Juan Carlos Onetti n'est pourtant pas pessimiste, mais déconcerté et inquiet. Et fasciné de cette inquiétude. Onetti disait : ma littérature est une littérature de bonté. En effet, sous le cynisme et la vénalité de ses personnages aux défaites interchangeables, pointe la compassion d'un auteur toujours en quête d'une « écriture innocente », subjective, où les liens tissés entre auteur, narrateur et personnages sont étonnamment emmêlés de complexité : Onetti est décoiffant.
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Les bas-fonds du rêve

Juan Carlos Onetti signe treize récits étincelants, tous affiliés à la ville imaginaire de Santa Maria, non-lieu archétypal de l’espace urbain exotique, à l’orée de l’enfer. Il trace les trajectoires de personnages louches aux contours décalés et à l’identité trouble que le narrateur observe et fréquente dans les lieux chers à la littérature d’Onetti : les bas-fonds, leurs vices, leur dénuement et leur perdition.

Juan Carlos Onetti décortique ici la construction de la fiction, scrute l’origine de la création et le pouvoir de la narration au sein même des bas-fonds de l’âme, là où rien ne compte, où tout est possible. D’un puzzle morcelé de rêves débridés, Onetti empile, recolle, joint, change, superpose jusqu’à la brume, le flou, la contradiction, l’anéantissement de l’histoire : il propose de dessiner l’anatomie de la création littéraire.
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La vie brève

Onetti place au centre de son récit un protagoniste-narrateur qui s'invente un monde imaginaire pour mieux transcender sa propre vie, monde fictif qui devient le seul lieu où il lui est possible d'exister. Le lien de cause à effet qui le relie au réel finit par s'inverser jusqu'à ce que fiction et réalité se prolongent l'une et l'autre.



Trois temps rythmés par la désolation et la désespérance structurent le récit : la première partie évoque un publicitaire dans la ville de Buenos Aires au printemps, songeant en même temps à sa femme amputée d'un sein et à un film, alors qu'une tempête menace. La seconde concerne un généraliste installé dans une ville proche de la frontière argentine, et dont l'une des patientes est le double de l'épouse du publicitaire. le troisième temps narre l'histoire d'un client d'une prostituée, dont le pseudonyme cache l'identité du publicitaire de la première histoire, et qui prémédite d'assassiner la fille de joie. Il est cependant devancé dans son projet par un client de la dame.

Trois temps narratifs s'entrecroisent jusqu'au double dénouement final : certains fuiront vers Santa Maria, ville rêvée, donc vers la fiction, d'autres vers le réel. La ligne de démarcation entre fiction et réalité étant mouvante, elle rend possible la suite du cycle romanesque qu'Onetti poursuivra dans trois autres romans.



Paru en 1950, cette oeuvre inaugure le cycle de la ville portuaire fictionnelle de Santa Maria. Indubitablement influencé par Céline, Hammet et Faulkner, Onetti joue à intriquer le réel dans la fiction. On retrouve dans ce récit fondateur l'errance, la solitude, la nostalgie et l'abandon qui ont marqué la vie intime tumultueuse de l'auteur, sa façon inimitable de plonger dans le désarroi par le biais de la fiction, son obsession des mondes parallèles aux dédoublements coupables pour mieux se fuir soi-même.

C'est ardu et magnifique.
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Quand plus rien n'aura d'importance

Voici un livre qui plaira certainement aux amateurs de la prose d'Enrique Villa-Matas. Un conte purement onirique, loin de la réalité, pour la beauté d'un texte qui s'égare dans d'innombrables méandres, avec un héros perdu à lui-même.



Ce livre remplit certainement le critère de l'auteur espagnol selon lequel un auteur, au sens où il l'entend, se doit de réserver son oeuvre aux lecteurs qu'il appelle exigeants. Ces deux cents pages ne se lisent pas d'une traite loin de là, mais petit à petit. On est loin d'un "page turner" mais quel univers littéraire ! Fantastique !
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A une tombe anonyme

Un bien étrange petit bouquin que voilà... Issu de mes achats frénétiques de Folio 2e d'il y a quelques années, il était temps de l'évincer de ma PAL, et de découvrir par la même occasion son auteur.



Dans une ville d'Amérique latine, Santa María, notre narrateur, un médecin, croise un cortège pour le moins étrange: un jeune homme et un bouc suivant un cercueil sur son attelage. Et c'est l'histoire de la femme dans le cercueil, de sa vie et de son bouc, que l'on va découvrir par l'intermédiaire d'échanges entre le médecin et ce fameux jeune homme.



Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce court texte est totalement décousu. Par une volonté de l'auteur, tout d'abord, le jeune Jorge morcelant son histoire au travers d'échanges espacés de plusieurs mois, mais pas que. On perd pied parfois, peinant à suivre les nombreuses digressions de l'auteur, du conteur, et du narrateur. Une accumulation assez néfaste impactant le rythme et la fluidité de l'oeuvre, et évidemment notre plaisir de lecture.



C'est dommage, car beaucoup de points positifs ressortent malgré tout de cette lecture. Un style très intéressant tout d'abord, mêlant une plume poétique à des réflexions philosophiques et sociétales plutôt bien orientées. Les personnages, également, sont intéressants par bien des aspects. L'aura mystérieuse émanant d'eux inspire au récit une touche particulière, mais le potentiel semble au final mal exploité. On ne s'accroche pas à eux et les interrogations qu'ils provoquent resteront pour beaucoup sans réponses.



Une lecture bizarre donc, frustrante même, que ce soit dans le développement ou à la conclusion, mais la découverte d'une plume envoûtante, dépeignant à sa façon une Amérique du sud crue et enivrante. Je laisserai probablement une seconde chance à Onetti, et si vous avez des suggestions, d'ailleurs, je suis preneur!
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Le Chantier

Après être revenu à Santa Maria – ville imaginaire du Rio de la Plata – c’est à Port-Chantier que débarque Larsen, une ville fantôme dont la prospérité semble avoir été liée à celle de la compagnie de Jérémias Pétrus, laquelle n’affiche plus, en attendant un improbable salut, qu’une activité dérisoire. Port-chantier est une ville des espoirs déçus, où la vie s’écoule, cependant, avec ses illusions et ses désirs, au milieu de mauvaises herbes et de la rouille qui ont repris le dessus. Et c’est là que Larsen, désabusé, vieillissant, marqué par l’embonpoint et les ans, sorte d’exilé sinon d’étranger, espère se refaire, en acceptant un poste de sous-directeur dans ladite compagnie, tandis que Pétrus recherche les fonds qui lui manquent. Le Chantier est présenté par l’auteur lui-même comme une farce, un roman de l’absurde à l’atmosphère pourtant envoûtante, rythmée par quelques airs de tango.
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Cuentos completos

Dès les années trente naît, en Amérique latine, une nouvelle littérature issue d'un espace socio-économique neuf : la grande ville, accaparée par une haute bourgeoisie, concentrant réfugiés, exilés, étrangers, paysans sans terre, marginaux et hors la loi.

Si Roberto Arlt scrute les bas-fonds et ses exclus absolus de Buenos Aires, avec une énergie atomique, la conclusion de cette dissection menant à la folie et la dépossession de soi, Juan Carlos Onetti décortique ici magistralement les mêmes recalés sociaux, mais à Montevideo.

Dans une écriture lapidaire et élégante, Onetti aborde la déshumanisation des exclus et des marginaux en une série de quinze nouvelles, où la décadence gangrène les âmes, les coeurs et les destinées : une humanité autant anéantie par la vie que par le recours au rêve. Eternelle voie sans issue.

Juan Carlos Onetti n'est pourtant pas pessimiste, mais déconcerté et inquiet. Et fasciné de cette inquiétude. Onetti disait : ma littérature est une littérature de bonté. En effet, sous le cynisme et la vénalité de ses personnages aux défaites interchangeables, pointe la compassion d'un auteur toujours en quête d'une « écriture innocente », subjective, où les liens tissés entre auteur, narrateur et personnages sont étonnamment emmêlés de complexité : Onetti est décoiffant.
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Tan triste como ella y otros cuentos

Juan Carlos Onetti signe treize récits étincelants, tous affiliés à la ville imaginaire de Santa Maria, non-lieu archétypal de l'espace urbain exotique, à l'orée de l'enfer. Il trace les trajectoires de personnages louches aux contours décalés et à l'identité trouble que le narrateur observe et fréquente dans les lieux chers à la littérature d'Onetti : les bas-fonds, leurs vices, leur dénuement et leur perdition.

Juan Carlos Onetti décortique ici la construction de la fiction, scrute l'origine de la création et le pouvoir de la narration au sein même des bas-fonds de l'âme, là où rien ne compte, où tout est possible. D'un puzzle morcelé de rêves débridés, Onetti empile, recolle, joint, change, superpose jusqu'à la brume, le flou, la contradiction, l'anéantissement de l'histoire : il propose de dessiner l'anatomie de la création littéraire.
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Quand plus rien n'aura d'importance

QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE est son dernier roman, mais après tout, ceci non plus n'a probablement aucune importance...

Pourquoi ? Parce qu'à partir du début des années 50, Juan Carlos Onetti, né en 1909 à Montevideo et décédé en 1994 à Madrid, semble avoir été l'auteur d'un même et unique livre. Pratiquement tous ses romans et nouvelles postérieures au roman «La Vie Brève», publié en 1950, furent situés dans une même ville imaginaire, Santamaría, décor urbain vague et anonyme («toute l'Amérique du Sud et centrale était parsemée de villes ou de villages portant ce nom-là») – paysage invariable, neutre par excellence, coincé «entre un fleuve et des exploitations agricoles» ; aussi, d'un livre à l'autre, ses personnages aux étranges patronymes dépourvus la plupart du temps de toute consonance hispanique ou autochtone (Carr, Paley, Brausen, Larsen,...), furent eux-aussi quasiment les mêmes, se relayant au fil de romans ou de recueils de nouvelles, ressurgissant à tour de rôle, implicite ou explicitement, parfois totalement absents de l'histoire mais évoqués cependant dans les souvenirs et les conversations de ces hommes et femmes ayant en commun le fait d'avoir espéré trouver un refuge à Santamaría, ou d'y avoir échoué par hasard et d'y déployer librement un besoin viscéral de solitude, une désespérance détachée ou une révolte stérile et désabusée. .

Considéré comme un des grands maîtres de la modernité littéraire latino-américaine, père spirituel, entre autres, d'un Cortázar ou d'un Bolaño, salué par Mario Vargas Llosa comme «un authentique créateur dont les oeuvres réussissent à transcender le temps», à l'occasion d'un essai dithyrambique qu'il lui consacra («Voyage vers la fiction : le monde de Juan Carlos Onetti»), on pourrait affirmer que l'essentiel de l'oeuvre de l'auteur uruguayen consiste donc en des fragments d'un même et unique grand livre-puzzle, qui s'additionnent, se complètent et se répondent au fil du temps et d'un ouvrage à l'autre, ce jusqu'à ce crépusculaire QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE.



La ville de Santamaría, à la lecture on s'en rendra compte assez rapidement, n'a cependant rien à voir avec la mythique Macondo, bigarrée et protéiforme, née de la plume de Gabriel Garcia Marquez. Là, on serait plutôt dans une sorte de jumelage maudit avec d'autres villes et autrement célèbres, bibliques comme Babylone ou Gomorrhe par exemple, ou bien la Mahagonny de Brecht/Weill, cette cité de tous les vices et trafics, où la morale cède régulièrement le pas à la corruption et au relâchement des moeurs, à l'indifférence générale et à la cupidité, ville frontalière et dangereuse, carrefour propice aux manigances et aux contrebandes de toutes sortes, et où, enfin, la monotonie et la moiteur des saisons humides favorisent chez certains des fantasmes inavoués, des pulsions sexuelles impérieuses, des perversions contre-nature, voire parfois incestueuses.

Oeuvre d'une radicalité farouche, volontairement fragmentaire, refusant tout souci particulier de description, d'explication ou d'exactitude vis-à-vis des faits et des gestes de ses personnages, QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE risque de déstabiliser fortement le lecteur non-averti. A mon sens, Onetti fait partie de ces auteurs dont l'oeuvre nécessite un minimum de préparation avant toute tentative de s'y lancer, une certaine disponibilité ou tout au moins ou un état d'esprit particulier. On ne peut pas, n'est-ce pas, en tout cas il vaudrait mieux pas à mon sens, si on veut se donner un minimum de conditions et de chances de pouvoir les apprécier à leur juste valeur, se dire, par exemple et en toute simplicité : «Tiens, comme je n'ai rien d'autre à lire, pourquoi pas ce Finnegans Wake de Joyce, ou cette Phénoménologie de l'Esprit de Husserl qui traînent déjà depuis un moment dans ma bibliothèque?. De même, pour QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE : il me paraît tout à fait judicieux, avant de s'y aventurer, de prendre très au sérieux ces mots choisis par Onetti lui-même et mis en exergue au tout début de son livre : «Seront inculpés tous ceux qui chercheront à trouver une finalité à ce récit ; seront exilés ceux qui chercheront à en tirer un enseignement moral; seront fusillés ceux qui y chercheront une intrigue romanesque»!

Bien avant les premières oeuvres emblématiques du nouveau roman, qui ne verraient le jour en France qu'au milieu des années 50, Juan Carlos Onetti prônait déjà, dans une série d'articles de critique littéraire publiés en 1939 dans l'hebdomadaire uruguayen «La Marcha», une «intériorisation de la littérature au détriment de la couleur locale».Le refus délibéré de tout style à visée réaliste, soucieux de reproduire avec exactitude un environnement particulier pour ensuite y inscrire une série d'événements et de faits dans une temporalité et dans un espace bien circonscrits, censés pouvoir par ailleurs permettre d'interagir et d'éclairer la psychologie, les attitudes et comportement des personnages, ce refus qui est tout aussi radical chez Onetti, le rapproche indiscutablement de l'esprit iconoclaste qui imprégnera quelques années plus tard le mouvement du «nouveau roman» en France.

Chez lui aussi, pas de traces d'une réalité univoque, mais plutôt des réalités possibles, plus ou moins disloquées selon les moments, aucun souci particulier non plus à vouloir raconter dans le détail et avec une relative exactitude, des événements qui resteront au contraire la plupart du temps irrésolus, suspendus, mais plutôt celui de décrire des états de conscience passagers plus ou moins en lien avec la réalité factuelle; pas de temporalité linéaire, enfin, mais ce qu'Onetti évoquera à un moment donné comme «un brassage de tant de jours, tant de mois, voire tant d'années confondus les uns avec les autres, hors de cette gradation chronologique qui nous permet, sans que nous le sachions, de croire un peu que règne une certaine harmonie dans cette inépuisable et répétée «persuasion des jours»». Si quelques ponts seraient ainsi envisageables, que les amateurs du «roman nouveau» pur jus, fans inconditionnels d'un Robbe-Grillet, de Sarraute ou Duras, se détrompent : Juan Carlos Onetti n'aura pas «inventé» le nouveau roman avant la lettre, et son oeuvre n'est pas, tant s'en faut, représentative de ce mouvement littéraire en particulier, comme elle ne l'est non plus d'aucun autre courant littéraire identifiable : il s'agit là, indubitablement, d'un auteur à ranger parmi les «inclassables».

En tout cas, personnellement, j'ai eu moi aussi le sentiment d'avoir lu un livre «inclassable», à la fois déroutant, étrange, intériorisé et envoûtant comme peuvent l'être, il est vrai, certaines oeuvres issues du «nouveau roman», mais en même temps absolument glaçant, effroyable, terrifiant. QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE serait proche, à ce titre, d'autres ouvrages considérés «maudits», que ce soit par l'impassibilité que leurs personnages manifestent face aux forces du mal, par l'impossibilité que ceux-ci affichent à discerner clairement le vrai du faux, par leur capacité à affirmer et à nier quelque chose en même temps, par l'indifférence cruelle dont ils peuvent faire preuve les uns envers les autres, ou encore par le profond scepticisme qui habite jusqu'à leurs penchants compassionnels occasionnels, leurs élans sentimentaux ou leurs actions ponctuelles en faveur de leurs semblables.

La comparaison n'engagera, bien-sûr, que moi et mes sensations subjectives de lecteur, si je vous révèle que par moments j'ai eu l'impression de lire un roman, oui pourquoi pas d'un Claude Simon par exemple,...mais qui aurait incorporé et serait complètement possédé par l'esprit de Céline! Ne serait-ce pas, d'ailleurs, issu directement de la plume de ce dernier, ou n'aurait-il pas pu potentiellement en provenir, ce mot que le personnage central du roman, Carr, attribue au passage à «un grand ami écrivain» (?) : «Lorsqu'on me présente quelqu'un, il me suffit de savoir que c'est un être humain pour savoir qu'il ne peut pas être pire».



Je pense, au vu de tout ce qui précède, chers lecteurs Babelnautes, qu'il serait tout à fait déplacé de ma part de conseiller vivement à qui que ce soit cette lecture qui, force est de le constater, est très, très loin d'être, en soi, distrayante ou agréable...

Si vous êtes néanmoins et malgré tout tentés, n'oubliez surtout pas de bien relire l'exergue de l'auteur cité plus haut, et imprégnez-vous également de celui imaginé par le grand Dante Alighieri : «Vous qui entrez ici, laissez toute espérance». Peut-être alors pourriez-vous, éventuellement, comme moi, l'apprécier.

Comment ai-je pu l'apprécier?

Pour essayer de mieux cerner l'étrange effet que cette expérience de lecture m'a provoqué, je ne peux que m'en remettre aux mots de l'auteur lui-même. J'en trouve un drôle d'écho, dans ceux prononcés par Carr, alors qu'il essaie d'expliquer ce qui se passe en lui lorsqu'il fait l'objet de ce qu'il qualifie comme «une attaque» :

«Et soudain elle a commencé. Comme toujours, terriblement redoutée et jamais oubliée. Au départ, je pensais à mon nom en entier et je le répétais dans ma tête des milliers de fois jusqu'à ce qu'il ne fût plus mon nom, mais un nom sans signification. Toutefois, comme je continuais d'être moi-même, je devais fatalement me demander qui je suis, parce que je suis moi et personne d'autre. Puis l'incapacité de me penser, de me sentir un autre. Sans compter qu'aucun autre ne pourrait jamais comprendre si j'essayais de lui expliquer ce qui s'est passé, mon attaque. En effet un autre, connu ou hypothétique, nierait qu'il en fût un, soutiendrait, sans la moindre hésitation, qu'il est un moi (...) Je dois dire merci parce que cette catharsis m'a vidé de moi-même et je me suis senti à nouveau d'humeur enjoué.»



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Le puits

Dans ce premier roman, publié en 1939, Onetti prend le ton de la confession, celle du narrateur, Eladio, qui préfère les rêves qui surgissent la nuit à une existence qui le laisse indifférent. Le style d’Onetti est souvent déroutant, sinueux et fantomatique, créant une sorte de dédale où les choses présentent plusieurs facettes tout en conservant une part d’ambiguïté, comme s’il appartenait au lecteur d’en reconstituer les éléments ou d’en dénouer les fils. Et si le ton est souvent amer et cinglant, une tendresse émerge cependant, au milieu d’un monde hostile et étrange, fait de solitude et d’errance, avec ses personnages fardés, outranciers, tels que ces prostituées qu’ Eladio fréquente, entre marins et truands, dans un bar du port, ou simplement pathétiques comme Eladio lui-même, qu’emporte la puissance de ses rêves.
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Une nuit de chien

Tout se passe en une nuit, une nuit irréelle et brutale, où toute une ville plonge dans le chaos d'une répression sanglante et dans laquelle vont s'enfoncer de façon inexorable les principaux personnages. Une nuit de haine et de désespoir, de peur et de sang, aux mystères insondables. Une nuit animale faite de complots et de trahisons où surgissent, presque comme des paradoxes, au milieu des décombres, des actes de compassion; car, si la plume d'Onetti, si acérée, si onirique, presque hynotique, descend si souvent dans les ténèbres, c'est toujours en sauvegardant un peu d'espoir, tout en gardant l'ambiguïté qui la caractérise. Ce livre emprunte beaucoup au roman noir américain - Onetti appréciait Faulkner mais aussi Chandler et Hammett - avec ses personnages glauques et violents, ses intrigues parfois retorses. Il y a ajouté des éléments politiques tirés d'épisodes tragiques de la guerre d'Espagne, dans le contexte de la seconde guerre mondiale et après le triomphe de Péron en Argentine, ainsi que son gout pour les longues introspections dans un style poétique formant maints motifs aux fils parfois invisibles.
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Les bas-fonds du rêve

Le monde d'Onetti est celui des gargotes où traînent des ivrognes et des filles, de petits escrocs, toutes sortes de naufragés qu'une ville a engloutis, Santa Maria, une ville imaginaire du Rio de la Plata. Le ton est donc plutôt au sarcasme et au cynisme, mais c'est peut-être trompeur, car il y a, dans ce monde qui semble contaminé par le mal, des gestes étonnants de pitié et aussi parfois la volonté, même illusoire, de reconquérir son destin. Onetti aime brouiller les pistes, fausser le sens des situations, en usant des ressorts de la fiction. Ses histoires, le plus souvent, ne nous arrivent que par bribes et ne se révèlent pas toujours en entier, en sorte que le lecteur est amené à les remodeler à l'infini, comme dans un jeu. Son style nous envoûte de sa puissante mélancolie, où tous les sens, cependant, sont éveillés et où une humanité vibre et résiste, au milieu des excès et de la décomposition.
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Ramasse-vioques

Ca commence comme une étude sociale, de moeurs, de pionniers (dans le cadre d'un bourg) et on se croirait presque dans une série télévisée de bonne qualité.

Mais, c'est sans compter sur le pessimisme, la tristesse, un certain misérabilisme typique de la littérature latino-américaine qui, immanquablement, produit sur le récit, selon mon ressenti, un amoindrissement significatif.
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Le Chantier

Au cours d'une carrière de 50 ans, Onetti a dépeint l'Uruguay dans des nouvelles et des romans comme un endroit marqué par la mesquinerie, l'idiotie et la misère - une province gogolienne sous les tropiques - et peuplé de personnages généralement déséquilibrés. Aussi peu flatteur soit-il, le portrait de son pays est celui dans lequel les Uruguayens se reconnaissent. Comme le disait le président Sanguinetti, résigné au refus d'Onetti de rentrer chez lui après son exil, en 1985, "Heureusement, il y a de nombreuses années, nous, les Uruguayens, sommes entrés dans ses romans, sommes devenus ses personnages et nous nous lisons en lui".

La plupart des nouvelles et romans se déroulent à Santa María, une ville fictive - vaguement imitée de Montevideo, mais incorporant des éléments d'autres endroits de la région du Río de la Plata.



Santa María est une sorte de ville fantôme hantée par tout ce qui lui manque : une histoire, de grandes familles, des rêves et des passions, une politique qui a du sens, une source viable de développement.



Cette apathie est son grand thème, et elle donne à ses histoires leur forme insolite. Plutôt que de dramatiser les événements, Onetti montre des personnes se remémorant et réfléchissant sur les non-événements de leur vie, ou, plus généralement, sur la vie des autres, en essayant de leur donner un sens et du glamour.

Comme l'observe Larsen, l'anti-héros d'Onetti , aucun des citoyens de Santa María n'a "le temps de vivre parce qu'ils regardent toujours tout le monde vivre".



Lorsque Onetti a commencé à publier dans les années 1930, la fiction en Amérique du Sud était en grande partie axée sur l'intrigue, bourrée d'actions, se déroulant dans les provinces.

Une partie de ce qui rendait ses livres si excitants pour ses contemporains était qu'il s'était détourné de ce genre de drame pour se concentrer sur la réflexion et l'humeur.

Il s'intéresse particulièrement à la psychologie des citadins aliénés, et le malaise de ses personnages frise souvent l'existentiel. "Il n'y avait plus d'expériences", raconte le narrateur à propos d'un homme âgé qui a gâché une rencontre amoureuse ratée depuis sa jeunesse.



C'est une langue foisonnante dans un monde désespérant,

tous les livres d'Onetti sont grands...


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La vie brève

Onetti est vu par beaucoup comme un des fondateurs du nouveau-roman latino-américain. Cela en dit long à la fois sur l'originalité indéniable de construction de l'intrigue mais également sur l'aridité épuisante de sa déconstruction. Des perles de beautés semées ici ou là, des analyses psychologiques parfois très fines, mais la lecture est dans l'ensemble extrêmement laborieuse. le souvenir qu'il en reste quelques semaines après est semblable à celui d'un rendez-vous amoureux aux promesses chatoyantes mais auquel l'élue ne se serait jamais présentée, laissant au fil des heures la soif se dissoudre dans le sable du désert...
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A une tombe anonyme

Un livre intriguant pour le début. Un médecin assiste par inadvertance à un enterrement bizarre. Le cercueil d'une femme est suivi par un jeune homme et un vieux bouc attaché à une corde.



Le temps fera le reste créant de bref instant d'amitié entre le docteur et le jeune homme. Ce dernier se sentant obligé de raconter son histoire, ou plutôt l'histoire dans lequel il a participé, pour en finir une bonne fois pour toute.

Ce n'est pas peu dire puisque l'on découvre un jeune homme tourmenté perfectionniste ; comme il le dit lui même : " je veux faire les choses bien du premier coup car je ne serait pas satisfait si je les réussit seulement au bout de plusieurs fois". Sa personnalité et son caractère l'ont conduis à vivre une drôle d'histoire avec une jeune femme et un bouc. Ce bouc même qu'il affuble de tout les sentiments méprisables et absurdes de l'histoire qu'il raconte.

Heureusement qu'il y a toujours un ex meilleur ami pour rajuster les quelques petits détails qui font toute la différence.



Une histoire que j'ai moyennement aimé. Toute l'histoire du récit du jeune homme est un peu confuse et mélangée, comme quand on raconte quelque chose et que l'on ne sait pas par quoi commencer. Le jeune homme s'attarde des fois sur de longues phrases pas toujours utiles. Par moment on perd un peu le but des révélations, tellement certains détails sont trop dilué. En cela l'auteur s'est bien approprié le personnage de son anti-héros.

Malgrès ça, une écriture bien romancé. Cet auteur vaut la peine d'être découvert.
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A une tombe anonyme

A une tombe anonyme est une nouvelle étonnante, déroutante, où l'on suit un médecin racontant son lot quotidien dans la ville de Santa Maria, où les enterrements suivent une scénographie bien précise et respectée par tous...Jusqu'au jour où il doit accompagner le cortège funéraire d'une femme, d'un jeune homme et d'un bouc.



Tableau macabre ou comique ? Le narrateur tente de démêler les fils de l'histoire (des histoires !) que lui raconte celui qui décide de payer l'enterrement, et l'on navigue entre Buenos Aires et Santa Maria, entre propriétaires terriens et prostituées, entre gares et chambres obscures, entre étreintes volées et frustrations non assumées.



L'auteur suscite avec brio un malaise chez son lecteur, tant du point de vue de l'histoire qui ne semble pas tenir debout que dans la saleté et la misère qu'il décrit ; la symbolique autour du personnage du bouc est tout aussi dérangeante, sans que l'on ne parvienne à savoir qui personnifie l'animal : les hommes qui exploitent les prostituées ? Le vice en lui-même ? Un cocktail plutôt décousu et difficile à lire, et un récit dans lequel, peut-être par défense, on répugne à entrer. Drôle d'expérience !
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Demain sera un autre jour

Me voilà très ennuyée pour commenter ce recueil de nouvelles : il m'a glissé comme l'eau sur les plumes d'un canard. Je sens que, pour en parler, pour que me revienne en mémoire le souvenir d'un seul de ces textes (finis hier soir), il me faudra rouvrir le livre... Je m'y résous. Ma nouvelle préférée est sans doute "Ki No Tsurayaki" (mais je n'aurais pas retrouvé de mémoire le titre) car elle est un peu plus développer, j'ai eu le temps d'accrocher ma mémoire à une trame narrative à renversement. J'ai eu l'impression qu'il y avait des clins d’œil culturels perceptibles par des sud-américains ("Elle" évoque-t-elle la fameuse Evita ?) mais ma squelettique culture hispanique ne pouvait m'être d'aucun secours pour les saisir.



Des êtres désespérés, à bout, avilis, racontés avec une sorte de sourire amer. La nature est souvent, par contraste, splendide.
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Le Chantier

LE CHANTIER de JUAN CARLOS ONETTI

Larsen, personnage principal de ce roman, revient à Santa Maria, la ville référence d’ ONETTI dans ses œuvres romanesques. Plus exactement, il revient à Port Chantier, société en faillite depuis plusieurs années. Il va prendre contact avec Petrus, le patron, persuadé que le tribunal va statuer pour la reprise d’activité et que des actionnaires vont injecter 30 millions de pesos dans l’affaire. Larsen rencontre les 2 survivants de l’entreprise, Gálvez et Kunz qui survivent en vendant ce qui reste de la faillite, et Larsen se fait nommer sous directeur à 5000 pesos mensuels. Salaire virtuel bien sûr, qui s’inscrit dans une colonne comptable dont chacun sait qu’aucun peso ne sortira jamais. Et puis il y a les femmes, deux femmes, Angelica, gravement débile, mais qui croit que Larsen va l’épouser et sa domestique qui rêve de coucher avec lui. Dans cet univers glauque et poisseux, désespéré où tout n’est qu’illusion et virtualité, entre une entreprise fantomatique et des personnages désabusés, ONETTI nous fait naviguer entre concret et absurde au sein d’une vie irréelle.

Un auteur à découvrir.
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Le Chantier

Quand on parle d'armée mexicaine on évoque des régiments avec plus de généraux que de soldats, quand on parlera de chantiers argentins il faudra désormais les imaginer avec des directeurs mais sans ouvriers.

Le héros Larsen est embauché comme sous-directeur d'un chantier à l'arrêt depuis des années, il est affublé d'un directeur technique et d'un directeur administratif qui n'ont pas plus de travail que lui et qui eux non plus ne touchent pas de paie. Mais ce petit monde travaille avec ardeur ou plutôt fait semblant avec acharnement, notant consciencieusement les montants qui leur seront surement versés un jour à la reprise du chantier. En attendant comme il faut vivre les subordonnés de Larsen vendent sous le manteau ce qu'il reste de ferrailles rouillées.

Larsen cherche aussi mollement l'amour auprès de la fille du propriétaire du chantier dont la santé mentale est fragile et en tournant autour de la compagne d'un de ses employés, sa quête sera aussi efficace que son labeur au chantier.

Larsen croise du monde, les personnages parlent, ils semblent échanger mais chacun reste dans son univers fermé aux autres, ce ne sont que des monologues partagés.

On l'aura compris il s'agit d'une parabole sur la vie humaine, passer son temps à travailler même pour un salaire est ce moins absurde que de faire semblant ? Comme Larsen nous sommes tous dans l'attente de quelque chose qui ne viendra pas ou trop tard. Il ne se sépare pas d'un révolver, la tentation du suicide n'est jamais loin, c'est la porte de sortie de chacun mais il est difficile de quitter son chemin solitaire et tout tracé.



Le problème c'est que l'on s'ennuie ferme tout au long de ce roman de l'échec qui n'aurait dû être qu'une nouvelle. Une fois la métaphore éventée il ne reste plus grand-chose si ce n'est attendre la fin, après tout, la vie aussi est fastidieuse mais dans cet esprit il vaut mieux relire le désert des tartares.

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