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Critiques de Juan Carlos Onetti (35)
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Le Chantier

Un chantier qui n'en finira jamais, c'est le triste constat d'une société sans but, sans objectif précis, sans axe de réussite. Le détournement du chantier se veut l'allégorie du silence porté par la dictature et la répression. Des vies enchaînées à leur sort politique sans issue possible, sans procédés pour mettre fin à cet infini chantier.
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A une tombe anonyme

A une tombe anonyme est une nouvelle étonnante, déroutante, où l'on suit un médecin racontant son lot quotidien dans la ville de Santa Maria, où les enterrements suivent une scénographie bien précise et respectée par tous...Jusqu'au jour où il doit accompagner le cortège funéraire d'une femme, d'un jeune homme et d'un bouc.



Tableau macabre ou comique ? Le narrateur tente de démêler les fils de l'histoire (des histoires !) que lui raconte celui qui décide de payer l'enterrement, et l'on navigue entre Buenos Aires et Santa Maria, entre propriétaires terriens et prostituées, entre gares et chambres obscures, entre étreintes volées et frustrations non assumées.



L'auteur suscite avec brio un malaise chez son lecteur, tant du point de vue de l'histoire qui ne semble pas tenir debout que dans la saleté et la misère qu'il décrit ; la symbolique autour du personnage du bouc est tout aussi dérangeante, sans que l'on ne parvienne à savoir qui personnifie l'animal : les hommes qui exploitent les prostituées ? Le vice en lui-même ? Un cocktail plutôt décousu et difficile à lire, et un récit dans lequel, peut-être par défense, on répugne à entrer. Drôle d'expérience !
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La vie brève

LA VIE BRÈVE de JUAN CARLOS ONETTI

La vie est brève, « et le pire n’est pas qu’elle refuse ce qu’on désire, c’est que l’ayant donné, elle le reprend «

Un homme, Braumsen, dans sa chambre attend sa femme qui va revenir de l’hôpital après l’ablation d’un sein. Encore une trahison de la vie.

Dans la chambre contiguë, vit une prostituée qui travaille chez elle, la cloison est si mince que Braumsen a déjà l’impression de la connaître bien qu’il ne l’ait jamais vue.

Braumsen hésite entre suicide et meurtre; pour essayer de s’en sortir, il va progressivement créer un personnage qui va prendre vie et devenir plus vivant que lui, Diaz Grey.

Le roman va évoluer sur ces trois plans, Braumsen et sa femme, la putain et Ernesto, Diaz Grey, le médecin, sa création. Les trois vont s’imbriquer de façon inextricable au point de n’a plus savoir qui existe ou qui est une illusion.

Incroyable roman qui nous emporte dans un tourbillon créatif, où nous perdons rapidement nos repères dans ce pessimisme ambiant.

Ce livre fait partie avec Ramasse-Vioques et Le Chantier d’une trilogie romanesque dans laquelle Onetti crée la ville de Santa Maria, le Médecin Diaz Grey et d’autres intervenants.
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Ramasse-vioques

RAMASSE-VIOQUES de JUAN CARLOS ONETTI

Santa Maria, petite ville au bord du Rio de la Plata.

Jorge Malabia sera le témoin narrateur de cette arrivée de Ramasse-Vioques et de ses 3 femmes dans cette colonie où ils vont s’installer dans une maison aux volets bleus. Des années d’attente et un accord inattendu entre le docteur, le pharmacien et le conseil municipal pour l’ouverture officielle d’une maison close, d’un bordel!! D’un chapitre à l’autre Jorge va rendre compte de l’évolution de cette arrivée sur la vie de Santa Maria, des discussions houleuses que ce changement va susciter et il va nous faire partager ses états d’âme personnels. Agé de 16 ans il vient de perdre son frère marié à Juanita, la belle et folle Juanita, qui dans ses délires nocturnes remplace son mari par Jorge. Alors Jorge va nous immerger dans la montée des lettres anonymes qui dénoncent, qui va au bordel, à quelle heure et combien de temps. C’est l’action de la guilde pour la morale, on croit que ce sont de vieilles filles guindées qui sont à l’œuvre mais non….le curé veille, les esprits s’échauffent et Ramasse-Vioques s’interroge. Un curieux personnage à découvrir dans ce passionnant roman de Juan Carlos Onetti, auteur qui m’était totalement inconnu et que je vous recommande vivement. Un style brillant.

Né en 1909, écrivain uruguayen, mort en 1994 il était considéré par Marquez comme l’initiateur du nouveau roman sud américain et il a reçu le Prix Cervantes la plus haute distinction pour un écrivain en langue espagnole, MUTIS, Paz, Mendoza, Fuentes ou Carpentier font aussi partie de ses lauréats.
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Le Chantier

LE CHANTIER de JUAN CARLOS ONETTI

Larsen, personnage principal de ce roman, revient à Santa Maria, la ville référence d’ ONETTI dans ses œuvres romanesques. Plus exactement, il revient à Port Chantier, société en faillite depuis plusieurs années. Il va prendre contact avec Petrus, le patron, persuadé que le tribunal va statuer pour la reprise d’activité et que des actionnaires vont injecter 30 millions de pesos dans l’affaire. Larsen rencontre les 2 survivants de l’entreprise, Gálvez et Kunz qui survivent en vendant ce qui reste de la faillite, et Larsen se fait nommer sous directeur à 5000 pesos mensuels. Salaire virtuel bien sûr, qui s’inscrit dans une colonne comptable dont chacun sait qu’aucun peso ne sortira jamais. Et puis il y a les femmes, deux femmes, Angelica, gravement débile, mais qui croit que Larsen va l’épouser et sa domestique qui rêve de coucher avec lui. Dans cet univers glauque et poisseux, désespéré où tout n’est qu’illusion et virtualité, entre une entreprise fantomatique et des personnages désabusés, ONETTI nous fait naviguer entre concret et absurde au sein d’une vie irréelle.

Un auteur à découvrir.
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A une tombe anonyme

Un bien étrange petit bouquin que voilà... Issu de mes achats frénétiques de Folio 2e d'il y a quelques années, il était temps de l'évincer de ma PAL, et de découvrir par la même occasion son auteur.



Dans une ville d'Amérique latine, Santa María, notre narrateur, un médecin, croise un cortège pour le moins étrange: un jeune homme et un bouc suivant un cercueil sur son attelage. Et c'est l'histoire de la femme dans le cercueil, de sa vie et de son bouc, que l'on va découvrir par l'intermédiaire d'échanges entre le médecin et ce fameux jeune homme.



Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce court texte est totalement décousu. Par une volonté de l'auteur, tout d'abord, le jeune Jorge morcelant son histoire au travers d'échanges espacés de plusieurs mois, mais pas que. On perd pied parfois, peinant à suivre les nombreuses digressions de l'auteur, du conteur, et du narrateur. Une accumulation assez néfaste impactant le rythme et la fluidité de l'oeuvre, et évidemment notre plaisir de lecture.



C'est dommage, car beaucoup de points positifs ressortent malgré tout de cette lecture. Un style très intéressant tout d'abord, mêlant une plume poétique à des réflexions philosophiques et sociétales plutôt bien orientées. Les personnages, également, sont intéressants par bien des aspects. L'aura mystérieuse émanant d'eux inspire au récit une touche particulière, mais le potentiel semble au final mal exploité. On ne s'accroche pas à eux et les interrogations qu'ils provoquent resteront pour beaucoup sans réponses.



Une lecture bizarre donc, frustrante même, que ce soit dans le développement ou à la conclusion, mais la découverte d'une plume envoûtante, dépeignant à sa façon une Amérique du sud crue et enivrante. Je laisserai probablement une seconde chance à Onetti, et si vous avez des suggestions, d'ailleurs, je suis preneur!
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Ramasse-vioques

Ca commence comme une étude sociale, de moeurs, de pionniers (dans le cadre d'un bourg) et on se croirait presque dans une série télévisée de bonne qualité.

Mais, c'est sans compter sur le pessimisme, la tristesse, un certain misérabilisme typique de la littérature latino-américaine qui, immanquablement, produit sur le récit, selon mon ressenti, un amoindrissement significatif.
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Le Chantier

Au cours d'une carrière de 50 ans, Onetti a dépeint l'Uruguay dans des nouvelles et des romans comme un endroit marqué par la mesquinerie, l'idiotie et la misère - une province gogolienne sous les tropiques - et peuplé de personnages généralement déséquilibrés. Aussi peu flatteur soit-il, le portrait de son pays est celui dans lequel les Uruguayens se reconnaissent. Comme le disait le président Sanguinetti, résigné au refus d'Onetti de rentrer chez lui après son exil, en 1985, "Heureusement, il y a de nombreuses années, nous, les Uruguayens, sommes entrés dans ses romans, sommes devenus ses personnages et nous nous lisons en lui".

La plupart des nouvelles et romans se déroulent à Santa María, une ville fictive - vaguement imitée de Montevideo, mais incorporant des éléments d'autres endroits de la région du Río de la Plata.



Santa María est une sorte de ville fantôme hantée par tout ce qui lui manque : une histoire, de grandes familles, des rêves et des passions, une politique qui a du sens, une source viable de développement.



Cette apathie est son grand thème, et elle donne à ses histoires leur forme insolite. Plutôt que de dramatiser les événements, Onetti montre des personnes se remémorant et réfléchissant sur les non-événements de leur vie, ou, plus généralement, sur la vie des autres, en essayant de leur donner un sens et du glamour.

Comme l'observe Larsen, l'anti-héros d'Onetti , aucun des citoyens de Santa María n'a "le temps de vivre parce qu'ils regardent toujours tout le monde vivre".



Lorsque Onetti a commencé à publier dans les années 1930, la fiction en Amérique du Sud était en grande partie axée sur l'intrigue, bourrée d'actions, se déroulant dans les provinces.

Une partie de ce qui rendait ses livres si excitants pour ses contemporains était qu'il s'était détourné de ce genre de drame pour se concentrer sur la réflexion et l'humeur.

Il s'intéresse particulièrement à la psychologie des citadins aliénés, et le malaise de ses personnages frise souvent l'existentiel. "Il n'y avait plus d'expériences", raconte le narrateur à propos d'un homme âgé qui a gâché une rencontre amoureuse ratée depuis sa jeunesse.



C'est une langue foisonnante dans un monde désespérant,

tous les livres d'Onetti sont grands...


Lien : http://holophernes.over-blog..
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Le Chantier

Quand on parle d'armée mexicaine on évoque des régiments avec plus de généraux que de soldats, quand on parlera de chantiers argentins il faudra désormais les imaginer avec des directeurs mais sans ouvriers.

Le héros Larsen est embauché comme sous-directeur d'un chantier à l'arrêt depuis des années, il est affublé d'un directeur technique et d'un directeur administratif qui n'ont pas plus de travail que lui et qui eux non plus ne touchent pas de paie. Mais ce petit monde travaille avec ardeur ou plutôt fait semblant avec acharnement, notant consciencieusement les montants qui leur seront surement versés un jour à la reprise du chantier. En attendant comme il faut vivre les subordonnés de Larsen vendent sous le manteau ce qu'il reste de ferrailles rouillées.

Larsen cherche aussi mollement l'amour auprès de la fille du propriétaire du chantier dont la santé mentale est fragile et en tournant autour de la compagne d'un de ses employés, sa quête sera aussi efficace que son labeur au chantier.

Larsen croise du monde, les personnages parlent, ils semblent échanger mais chacun reste dans son univers fermé aux autres, ce ne sont que des monologues partagés.

On l'aura compris il s'agit d'une parabole sur la vie humaine, passer son temps à travailler même pour un salaire est ce moins absurde que de faire semblant ? Comme Larsen nous sommes tous dans l'attente de quelque chose qui ne viendra pas ou trop tard. Il ne se sépare pas d'un révolver, la tentation du suicide n'est jamais loin, c'est la porte de sortie de chacun mais il est difficile de quitter son chemin solitaire et tout tracé.



Le problème c'est que l'on s'ennuie ferme tout au long de ce roman de l'échec qui n'aurait dû être qu'une nouvelle. Une fois la métaphore éventée il ne reste plus grand-chose si ce n'est attendre la fin, après tout, la vie aussi est fastidieuse mais dans cet esprit il vaut mieux relire le désert des tartares.

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La vie brève

Onetti place au centre de son récit un protagoniste-narrateur qui s'invente un monde imaginaire pour mieux transcender sa propre vie, monde fictif qui devient le seul lieu où il lui est possible d'exister. Le lien de cause à effet qui le relie au réel finit par s'inverser jusqu'à ce que fiction et réalité se prolongent l'une et l'autre.



Trois temps rythmés par la désolation et la désespérance structurent le récit : la première partie évoque un publicitaire dans la ville de Buenos Aires au printemps, songeant en même temps à sa femme amputée d'un sein et à un film, alors qu'une tempête menace. La seconde concerne un généraliste installé dans une ville proche de la frontière argentine, et dont l'une des patientes est le double de l'épouse du publicitaire. le troisième temps narre l'histoire d'un client d'une prostituée, dont le pseudonyme cache l'identité du publicitaire de la première histoire, et qui prémédite d'assassiner la fille de joie. Il est cependant devancé dans son projet par un client de la dame.

Trois temps narratifs s'entrecroisent jusqu'au double dénouement final : certains fuiront vers Santa Maria, ville rêvée, donc vers la fiction, d'autres vers le réel. La ligne de démarcation entre fiction et réalité étant mouvante, elle rend possible la suite du cycle romanesque qu'Onetti poursuivra dans trois autres romans.



Paru en 1950, cette oeuvre inaugure le cycle de la ville portuaire fictionnelle de Santa Maria. Indubitablement influencé par Céline, Hammet et Faulkner, Onetti joue à intriquer le réel dans la fiction. On retrouve dans ce récit fondateur l'errance, la solitude, la nostalgie et l'abandon qui ont marqué la vie intime tumultueuse de l'auteur, sa façon inimitable de plonger dans le désarroi par le biais de la fiction, son obsession des mondes parallèles aux dédoublements coupables pour mieux se fuir soi-même.

C'est ardu et magnifique.
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Le Puits/Les Adieux

Voici 2 nouvelles de cet auteur uruguayen que je découvre.



Assez courtes (60 et 80 pages).



Une très belle plume mais je ne suis toujours pas sûr d'avoir compris ce dont l'auteur voulait parler. Voilà vraisemblablement un trait onettien !



Le puits est une succession de petits tableaux écrits à la 1ère personne. C'est assez sombre, avec peu de dialogues, mais quelques passages intéressants, notamment sur les prostituées. Il s'agit de son 1er livre publié en 1939.



Les adieux a été publié 15 ans plus tard et me semble plus abouti, beaucoup plus intéressant, de mon humble avis.

Le narrateur témoin, qui se trouve dans une situation similaire à celle du lecteur, c’est-à-dire qu’il ne connaît rien du protagoniste quand il le voit pour la première fois déclare : « J’aurais préféré ne voir de l’homme que ses mains, la première fois qu’il entra au bistrot ; des mains lentes, hésitantes et maladroites, qui bougeaient sans conviction, longues et pâles, s’excusant de leur nonchalance. ». Ainsi commence le récit, et de quelle belle manière. Cela plante le tableau !

Le narrateur de Los adioses raconte une brève histoire qui commence par l’arrivée d’un homme atteint de tuberculose dans un village des montagnes de la Sierra. Comme le narrateur, l’homme n’a pas de nom ni de prénom. Il ne veut pas s’identifier aux autres malades, et mène une vie solitaire et taciturne. Il ne vit que pour les lettres qu’il reçoit de deux personnes différentes. Il aura aussi plusieurs visites, de deux femmes. On induit un sentiment de duplicité tout du long du récit. Duplicité voire ambiguïté, qui sera érigée en intention esthétique. L’énigme persiste à la fin du récit et il nous reste une vision dénaturée et une histoire inachevée.



Autant je suis assez réservé sur la nouvelle du puits, autant j’ai apprécié les adieux. J’ai donc mis une note moyenne de 3. Le reste de l’œuvre d’Onetti doit valoir le détour, mais son style ambigu et froid, dépersonnalisé, me font hésiter à poursuivre…

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Quand plus rien n'aura d'importance

QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE est son dernier roman, mais après tout, ceci non plus n'a probablement aucune importance...

Pourquoi ? Parce qu'à partir du début des années 50, Juan Carlos Onetti, né en 1909 à Montevideo et décédé en 1994 à Madrid, semble avoir été l'auteur d'un même et unique livre. Pratiquement tous ses romans et nouvelles postérieures au roman «La Vie Brève», publié en 1950, furent situés dans une même ville imaginaire, Santamaría, décor urbain vague et anonyme («toute l'Amérique du Sud et centrale était parsemée de villes ou de villages portant ce nom-là») – paysage invariable, neutre par excellence, coincé «entre un fleuve et des exploitations agricoles» ; aussi, d'un livre à l'autre, ses personnages aux étranges patronymes dépourvus la plupart du temps de toute consonance hispanique ou autochtone (Carr, Paley, Brausen, Larsen,...), furent eux-aussi quasiment les mêmes, se relayant au fil de romans ou de recueils de nouvelles, ressurgissant à tour de rôle, implicite ou explicitement, parfois totalement absents de l'histoire mais évoqués cependant dans les souvenirs et les conversations de ces hommes et femmes ayant en commun le fait d'avoir espéré trouver un refuge à Santamaría, ou d'y avoir échoué par hasard et d'y déployer librement un besoin viscéral de solitude, une désespérance détachée ou une révolte stérile et désabusée. .

Considéré comme un des grands maîtres de la modernité littéraire latino-américaine, père spirituel, entre autres, d'un Cortázar ou d'un Bolaño, salué par Mario Vargas Llosa comme «un authentique créateur dont les oeuvres réussissent à transcender le temps», à l'occasion d'un essai dithyrambique qu'il lui consacra («Voyage vers la fiction : le monde de Juan Carlos Onetti»), on pourrait affirmer que l'essentiel de l'oeuvre de l'auteur uruguayen consiste donc en des fragments d'un même et unique grand livre-puzzle, qui s'additionnent, se complètent et se répondent au fil du temps et d'un ouvrage à l'autre, ce jusqu'à ce crépusculaire QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE.



La ville de Santamaría, à la lecture on s'en rendra compte assez rapidement, n'a cependant rien à voir avec la mythique Macondo, bigarrée et protéiforme, née de la plume de Gabriel Garcia Marquez. Là, on serait plutôt dans une sorte de jumelage maudit avec d'autres villes et autrement célèbres, bibliques comme Babylone ou Gomorrhe par exemple, ou bien la Mahagonny de Brecht/Weill, cette cité de tous les vices et trafics, où la morale cède régulièrement le pas à la corruption et au relâchement des moeurs, à l'indifférence générale et à la cupidité, ville frontalière et dangereuse, carrefour propice aux manigances et aux contrebandes de toutes sortes, et où, enfin, la monotonie et la moiteur des saisons humides favorisent chez certains des fantasmes inavoués, des pulsions sexuelles impérieuses, des perversions contre-nature, voire parfois incestueuses.

Oeuvre d'une radicalité farouche, volontairement fragmentaire, refusant tout souci particulier de description, d'explication ou d'exactitude vis-à-vis des faits et des gestes de ses personnages, QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE risque de déstabiliser fortement le lecteur non-averti. A mon sens, Onetti fait partie de ces auteurs dont l'oeuvre nécessite un minimum de préparation avant toute tentative de s'y lancer, une certaine disponibilité ou tout au moins ou un état d'esprit particulier. On ne peut pas, n'est-ce pas, en tout cas il vaudrait mieux pas à mon sens, si on veut se donner un minimum de conditions et de chances de pouvoir les apprécier à leur juste valeur, se dire, par exemple et en toute simplicité : «Tiens, comme je n'ai rien d'autre à lire, pourquoi pas ce Finnegans Wake de Joyce, ou cette Phénoménologie de l'Esprit de Husserl qui traînent déjà depuis un moment dans ma bibliothèque?. De même, pour QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE : il me paraît tout à fait judicieux, avant de s'y aventurer, de prendre très au sérieux ces mots choisis par Onetti lui-même et mis en exergue au tout début de son livre : «Seront inculpés tous ceux qui chercheront à trouver une finalité à ce récit ; seront exilés ceux qui chercheront à en tirer un enseignement moral; seront fusillés ceux qui y chercheront une intrigue romanesque»!

Bien avant les premières oeuvres emblématiques du nouveau roman, qui ne verraient le jour en France qu'au milieu des années 50, Juan Carlos Onetti prônait déjà, dans une série d'articles de critique littéraire publiés en 1939 dans l'hebdomadaire uruguayen «La Marcha», une «intériorisation de la littérature au détriment de la couleur locale».Le refus délibéré de tout style à visée réaliste, soucieux de reproduire avec exactitude un environnement particulier pour ensuite y inscrire une série d'événements et de faits dans une temporalité et dans un espace bien circonscrits, censés pouvoir par ailleurs permettre d'interagir et d'éclairer la psychologie, les attitudes et comportement des personnages, ce refus qui est tout aussi radical chez Onetti, le rapproche indiscutablement de l'esprit iconoclaste qui imprégnera quelques années plus tard le mouvement du «nouveau roman» en France.

Chez lui aussi, pas de traces d'une réalité univoque, mais plutôt des réalités possibles, plus ou moins disloquées selon les moments, aucun souci particulier non plus à vouloir raconter dans le détail et avec une relative exactitude, des événements qui resteront au contraire la plupart du temps irrésolus, suspendus, mais plutôt celui de décrire des états de conscience passagers plus ou moins en lien avec la réalité factuelle; pas de temporalité linéaire, enfin, mais ce qu'Onetti évoquera à un moment donné comme «un brassage de tant de jours, tant de mois, voire tant d'années confondus les uns avec les autres, hors de cette gradation chronologique qui nous permet, sans que nous le sachions, de croire un peu que règne une certaine harmonie dans cette inépuisable et répétée «persuasion des jours»». Si quelques ponts seraient ainsi envisageables, que les amateurs du «roman nouveau» pur jus, fans inconditionnels d'un Robbe-Grillet, de Sarraute ou Duras, se détrompent : Juan Carlos Onetti n'aura pas «inventé» le nouveau roman avant la lettre, et son oeuvre n'est pas, tant s'en faut, représentative de ce mouvement littéraire en particulier, comme elle ne l'est non plus d'aucun autre courant littéraire identifiable : il s'agit là, indubitablement, d'un auteur à ranger parmi les «inclassables».

En tout cas, personnellement, j'ai eu moi aussi le sentiment d'avoir lu un livre «inclassable», à la fois déroutant, étrange, intériorisé et envoûtant comme peuvent l'être, il est vrai, certaines oeuvres issues du «nouveau roman», mais en même temps absolument glaçant, effroyable, terrifiant. QUAND PLUS RIEN N'AURA D'IMPORTANCE serait proche, à ce titre, d'autres ouvrages considérés «maudits», que ce soit par l'impassibilité que leurs personnages manifestent face aux forces du mal, par l'impossibilité que ceux-ci affichent à discerner clairement le vrai du faux, par leur capacité à affirmer et à nier quelque chose en même temps, par l'indifférence cruelle dont ils peuvent faire preuve les uns envers les autres, ou encore par le profond scepticisme qui habite jusqu'à leurs penchants compassionnels occasionnels, leurs élans sentimentaux ou leurs actions ponctuelles en faveur de leurs semblables.

La comparaison n'engagera, bien-sûr, que moi et mes sensations subjectives de lecteur, si je vous révèle que par moments j'ai eu l'impression de lire un roman, oui pourquoi pas d'un Claude Simon par exemple,...mais qui aurait incorporé et serait complètement possédé par l'esprit de Céline! Ne serait-ce pas, d'ailleurs, issu directement de la plume de ce dernier, ou n'aurait-il pas pu potentiellement en provenir, ce mot que le personnage central du roman, Carr, attribue au passage à «un grand ami écrivain» (?) : «Lorsqu'on me présente quelqu'un, il me suffit de savoir que c'est un être humain pour savoir qu'il ne peut pas être pire».



Je pense, au vu de tout ce qui précède, chers lecteurs Babelnautes, qu'il serait tout à fait déplacé de ma part de conseiller vivement à qui que ce soit cette lecture qui, force est de le constater, est très, très loin d'être, en soi, distrayante ou agréable...

Si vous êtes néanmoins et malgré tout tentés, n'oubliez surtout pas de bien relire l'exergue de l'auteur cité plus haut, et imprégnez-vous également de celui imaginé par le grand Dante Alighieri : «Vous qui entrez ici, laissez toute espérance». Peut-être alors pourriez-vous, éventuellement, comme moi, l'apprécier.

Comment ai-je pu l'apprécier?

Pour essayer de mieux cerner l'étrange effet que cette expérience de lecture m'a provoqué, je ne peux que m'en remettre aux mots de l'auteur lui-même. J'en trouve un drôle d'écho, dans ceux prononcés par Carr, alors qu'il essaie d'expliquer ce qui se passe en lui lorsqu'il fait l'objet de ce qu'il qualifie comme «une attaque» :

«Et soudain elle a commencé. Comme toujours, terriblement redoutée et jamais oubliée. Au départ, je pensais à mon nom en entier et je le répétais dans ma tête des milliers de fois jusqu'à ce qu'il ne fût plus mon nom, mais un nom sans signification. Toutefois, comme je continuais d'être moi-même, je devais fatalement me demander qui je suis, parce que je suis moi et personne d'autre. Puis l'incapacité de me penser, de me sentir un autre. Sans compter qu'aucun autre ne pourrait jamais comprendre si j'essayais de lui expliquer ce qui s'est passé, mon attaque. En effet un autre, connu ou hypothétique, nierait qu'il en fût un, soutiendrait, sans la moindre hésitation, qu'il est un moi (...) Je dois dire merci parce que cette catharsis m'a vidé de moi-même et je me suis senti à nouveau d'humeur enjoué.»



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La vie brève

Onetti est vu par beaucoup comme un des fondateurs du nouveau-roman latino-américain. Cela en dit long à la fois sur l'originalité indéniable de construction de l'intrigue mais également sur l'aridité épuisante de sa déconstruction. Des perles de beautés semées ici ou là, des analyses psychologiques parfois très fines, mais la lecture est dans l'ensemble extrêmement laborieuse. le souvenir qu'il en reste quelques semaines après est semblable à celui d'un rendez-vous amoureux aux promesses chatoyantes mais auquel l'élue ne se serait jamais présentée, laissant au fil des heures la soif se dissoudre dans le sable du désert...
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Le Chantier

Il paraitra totalement logique de dire que Onetti a une place à part dans l'Histoire du boom latino-américain. Logique puisque chaque écrivain a une place à part. Ce qui fait le statut de quasi-miracle de l'explosion littéraire simultanée dans une demi-douzaine de pays qui partagent une langue et, parfois, une Histoire commune.



Stoppons là tout net les conneries sur le contexte, le porqué du cómo, du comment en est-on arrivés là, d'où vient ce personnage, où est-on exactement, etc.

Ce livre est un chantier. Une vaste farce absurde, où l'on aura très peu la chance de voir ce qu'on pense être la couleur locale de l'Amérique du Sud. Tout est gris, pluvieux, sombre, pessimiste.



Larsen (ça ne s'invente pas) survit dans un chantier permanent qui, s'il existe bel et bien factuellement (chantier d'une ville fantôme dont il devient sous-directeur), est surtout celui de sa vie, des personnages infâmes qui la peuplent, des sourires mensonger, des bouches difformes que l'on voit tantôt suçant jusqu'à la sécheresse le contenu d'une calebasse à mate, tantôt fixant béatement les autres sagouins qui peuplent Santa-Maria (la grossièreté de l'espoir, comme dirait Larsen).

La grande nouvelle que nous amène ce roman, c'est que si tout est absolument idiot, insane et vulgaire, c'est que le pessimiste a pour lui la révolte. Il est mouvant. A force de côtoyer la rouille, on finit par vouloir se faire équarrir ou, au mieux, dans un futur pas trop lointain, se dégourdir les jointures.

L'optimiste, lui, dans sa grande bêtise, il lui reste la surprise (mauvaise, évidemment).



Attention. Une forme de lyrisme confinant au beau se dégage de l’œuvre. Ce n'est pas un hymne avilissant. Pas Drieu la Rochelle, pas les Canti de Leopardi. On retrouve avec Onetti ce qui fera le sel du projet de Roberto Bolaño quelques décennies plus tard. Ou dans ses poèmes. quelques années plus tard, je n'en sais rien. Ils sont hors de prix.

A savoir qu'à force d'accumuler, touche après touche, des aplats de gris foncé et de de noir un peu partout, à force de se faire Soulages et non pas Gustavo Ortiz (je sais pas, là. J'aime bien ce qu'il fait), quand arrive du gris clair, on a tout le spectre lumineux qui apparait fugacement. C'est ce qui fait la force de la chose que vous aurez entre les mains si je vends bien la chose.

On parle de boue, de pluie, de gris, de rouille, de paperasse a n'en plus finir, de collection idiote de timbres, d'amour de façade, de paraitre, de demeurer, de décadence, et pourtant, pas de malaise, pas de vertige. Une envie d'être du côté du moins con. De celui qui sait ce qu'il ne sait pas, qui ose pleurer quand il est perdu, comme dans un Pynchon, mais qui réagit. Qui différencie la malchance du malheur.



En agissant, il conjure le mensonge. Car c'est celui-là qui confine au néant. Au désespoir total. A la déliquescence physique, mentale et morale.
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Le Chantier

Fantôme à soi-même, étranger à un monde d'une onirique dilapidation, comme flottant entre deux sentiments, trois adjectifs inaptes à saisir un état d'âme oscillant entre haine, incompréhension et dégoût, Juan Carlos Onetti plonge le lecteur dans un univers irrésolu, irritant, inquiétant. Le chantier, à travers les déambulations de Larsen dans la ville imaginaire de Santa-Maria, dépeint des êtres en quête d'un visage d'eux-mêmes, d'une certaine sincérité dans la complexité de la dissimulation qui nous tient lieu, tous, de rapport au monde.
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Demain sera un autre jour

Me voilà très ennuyée pour commenter ce recueil de nouvelles : il m'a glissé comme l'eau sur les plumes d'un canard. Je sens que, pour en parler, pour que me revienne en mémoire le souvenir d'un seul de ces textes (finis hier soir), il me faudra rouvrir le livre... Je m'y résous. Ma nouvelle préférée est sans doute "Ki No Tsurayaki" (mais je n'aurais pas retrouvé de mémoire le titre) car elle est un peu plus développer, j'ai eu le temps d'accrocher ma mémoire à une trame narrative à renversement. J'ai eu l'impression qu'il y avait des clins d’œil culturels perceptibles par des sud-américains ("Elle" évoque-t-elle la fameuse Evita ?) mais ma squelettique culture hispanique ne pouvait m'être d'aucun secours pour les saisir.



Des êtres désespérés, à bout, avilis, racontés avec une sorte de sourire amer. La nature est souvent, par contraste, splendide.
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La vie brève

D’accès difficile tous les ans j’en reprends sa lecture mais à chaque fois il me tombe des mains.
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Les bas-fonds du rêve

Treize nouvelles donnant à voir et à connaître Santa Maria, la ville fictive de toutes les failles sud-américaines.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2018/08/06/note-de-lecture-les-bas-fonds-du-reve-juan-carlos-onetti/
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Quand plus rien n'aura d'importance

Voici un livre qui plaira certainement aux amateurs de la prose d'Enrique Villa-Matas. Un conte purement onirique, loin de la réalité, pour la beauté d'un texte qui s'égare dans d'innombrables méandres, avec un héros perdu à lui-même.



Ce livre remplit certainement le critère de l'auteur espagnol selon lequel un auteur, au sens où il l'entend, se doit de réserver son oeuvre aux lecteurs qu'il appelle exigeants. Ces deux cents pages ne se lisent pas d'une traite loin de là, mais petit à petit. On est loin d'un "page turner" mais quel univers littéraire ! Fantastique !
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Les bas-fonds du rêve

Il s’agit d’un recueil de treize nouvelles qui appartient au cycle de Santa Maria, cette ville imaginaire crée par Onetti et dans laquelle il a situé nombre de ses romans ou nouvelles. Il ne précise pas dans quel pays elle se situe, il parle d’autres villes d’Amérique du Sud, mais concernant Santa Maria, les indications géographiques restent vagues, elle est au bord de la mer, il y a un fleuve, des montagnes autour, c’est une ville qui représente toutes les grandes villes d’Amérique du Sud. La ville est plus qu’un lieu, c’est le personnage principal du livre.



Les héros de ces nouvelles sont des êtres plutôt paumés, dont une partie travaille au journal local, le Libéral. Ils sont alcooliques et désabusés, le ton de ces nouvelles est plutôt cynique et c’est le récit d’échecs divers. Les héros sont des naufragés perdus dans la grande ville, ils n’attendent plus grand chose de la vie, même si parfois ils ne s’avouent pas vaincu et se battent pour sauver leur rêve. Les récits sont souvent partiels et le lecteur est libre de les compléter à sa guise car Onetti ne nous fait voir que des fragments de la vie des habitants de Santa Maria. Son monde est onirique, même si ses héros vivent plutôt une sorte de cauchemar. Son univers est en tout cas extrêmement étrange et déroutant.



Ainsi nous croiserons une courtisane sur le déclin qui attire un jeune homme dans ses filets, un ancien champion de lutte à qui son manager ne fait plus confiance, mais qui remportera son défi, un mari trompé, un couple qui voulait peut être s’emparer d’un héritage ou peut être pas ou encore une immigrée danoise qui a le mal du pays, ainsi que plusieurs autres personnages à la vie triste et naufragée.



Le sang ne coule pas, il n’y a ni assassin ni monstre assoiffé de sang, on est à des années-lumières de l’univers de Stephen King ou autre maître de l’épouvante, et pourtant j’ai eu l’impression de lire un livre d’horreur, mais d’une horreur banale et quotidienne, celle que vivent les personnes sans espoir et aux rêves brisés.




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