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Citations de Jurica Pavicic (139)


Ils sont douze. Principalement des Splitois, certains originaires d'Omis, de Brac, des jeunes mais aussi quelques hommes plus âgés. Avant la guerre ils avaient chacun leur vie, ils étaient tourneurs outilleurs, commerçants, ouvriers d'une cimenterie ou d'une laiterie. Certains étaient mariés, avec des grands enfants, d'autres sortaient directement du lycée, encore innocents et benêts. Qu'importe ce qu'ils ont été, ce qu'ils ont fait, ils attendent maintenant que la guerre se termine pour pouvoir rentrer chez eux et retrouver le cours de leur existence. Car tous ont mis leur vie en suspens, comme une parenthèse au milieu d'une phrase. Tous attendent que cette corvée se termine enfin, que la parenthèse se referme. Tous sauf lui, Adrijan.
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C'est vrai. Tout aurait été différent si elles n'étaient pas allées ce jour-là à l'anniversaire de Zorana. Si Suzana ce jour-là n'avait pas téléphoné pour lui proposer de l'accompagner, elle n'aurait jamais connu Frane. Si, comme elle l'avait prévu, elle était restée à la maison emmitouflée dans les couvertures, jamais de toute sa vie elle n'aurait rencontré Anka Sarié. Elle aurait avalé une aspirine et regardé Spiderman à la télévision, et Mme Sarié et elle n'auraient été que deux individus parmi la centaine de milliers d'habitants vivant dans la même chacun dans son rayon de ruche. Si elles s'étaient croisées, ça n'aurait été qu'incidemment, par hasard, dans un bus ou dans une queue à la caisse. Le regard de Bruna n'aurait noté qu'en passant ses hanches larges, ses cheveux courts et son visage anguleux. Ce visage se serait fondu dans le nerf optique, il se serait perdu dans un segment du cerveau, dans la banque de données infinies des visages sans importance qu'on voit et qu'on oublie aussitôt. Anka et elle se seraient côtoyées sans y prêter attention et auraient disparu dans l'anonymat.

Mais ça n'a pas été ainsi. Car ce jour de janvier 2006 Suzana l'a appelée et lui a proposé d'aller à un anniversaire. Bruna ne s'est pas glissée dans des frusques et n'a pas regardé Spiderman. Elle a avalé un antipyrétique, enfilé un col roulé et est sortie. Elle est allée à la fête de Zorana.

Et c'est pour cette raison qu'elle est là maintenant. Assise dans un coin d'une cuisine où elle pèle des pommes de terre pour les frites de ce soir. À la maison centrale de Poiega, depuis onze ans déjà.

Pages 9-10, Agullo 2022.
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Chez nous, les gens sont comme ils sont – ils aiment se mêler des affaires des autres. Ils guignent dans les cours, surveillent les arbres fruitiers, les vignes et les porte-monnaie. Ça les intéresse de savoir qui a combien, qui est brouillé avec qui, à quel prix tu as vendu une guimbarde ou un champ, combien tu as gagné en Allemagne et comment est ton nouveau gendre. Ils vont reluquer par-dessus ton épaule pour voir comment tu entretiens ton jardin, pour qui tu as voté et ce que tu as cuisiné. Mais il y a une chose dont ils ne se mêlent pas – c’est si tu cognes ta femme.
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Et pendant que Bruna observait ces gens, une image surgit comme un flash dont elle ne put se débarrasser. Elle regardait ces gens et elle les imaginait étendus côte à côte sur ces tables en acier avec ces évacuations. Cet homme sec, et le gros à la chemise, et la femme à la poitrine énorme qui nettoyait le poisson – tous étaient étendus sur le dos, les yeux clos, blancs comme des spectres, ils attendaient d’être disséqués par le scalpel du jeune médecin aux lunettes. Bruna voyait tourner cette image dans sa tête, et elle eut un éclair soudain et douloureux de conscience : un jour ou l’autre il en sera ainsi pour tout ce monde. Un jour, ils finiront tous allongés dans cette pièce. Un jour, peut-être dans trente ans, peut-être quinze, peut-être cinq. Pendant un instant, le temps d’un éclair ou d’un battement de cils à l’échelle de l’univers, ils seront tous pareillement gonflés, jaune maïs, ils reposeront tous sans vie sur cette table d’acier sans âme. Et tous le savent, tous savent qu’il en sera ainsi, et pourtant ils sont assis là, ils préparent du poisson, comme si tout allait bien, comme si ce qui devait advenir n’était pas si terrible. Bruna les regardait et ne manquait pas d’être étonnée par tant de courage ou d’aveuglement.
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Le monde n’est qu’une suite rectiligne de dominos mettant à bas d’autres dominos, eux-mêmes abattant les suivants, sans autre alternative.
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Comme dans de nombreux villages qui se meurent, le cimetière était la seule chose qui soit entretenue et fleurie.
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Parce qu'on ne dilapide pas ce que l'on n'a pas gagné.
Parce que notre génération est tout ce qu'il y a de plus puant.
On croit qu'on peut vivre sans travailler, dépenser ce qu'on n'a pas acquis, on croit que tout ce qui est bon nous est dû. Eh bien non ! Rien ne nous est dû ! Et pour ça, je ne vais pas vendre, justement pour que ça aille pire. Parce qu'ils méritent tous que ça aille pire.
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Les connaissances de Bruna en matière de police se résumaient à quelques films de détective qu'elle avait vus sans y prêter attention. De cette expérience lacunaire, elle savait que les inspecteurs se mettaient à deux pour interroger les suspects. Pendant que l'un faisait dans l'injure et la menace, l'autre vous apportait un verre d'eau et vous encourageait à vous confier à lui. Il y avait le méchant et le bon policier, c'était le cliché.
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Il ne distinguait dans la pénombre que la lueur des bougies, des lumignons et des lanternes à pile. Il alluma la lumière et le tabernacle se déploya sous ses yeux – les fleurs, les rubans, les sacs en plastique et les yeux, une multitude d'yeux enfantins qui le fixaient comme des épingles.

le tabernacle
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Ce visage se serait fondu dans le nerf optique, il se serait perdu dans un segment du cerveau, dans la banque de données infinies des visages sans importance qu'on voit et qu'on oublie aussitôt.
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Jusqu’à ce matin, Jakov pensait qu’ils menaient une vie normale, la vie d’une famille normale avec des problèmes normaux à deux balles. Durant toutes ces années, il a cru avoir une fille exubérante, dotée d’un sacré tempérament, qui n’en faisait qu’à sa tête. Il aurait bien aimé quelquefois que Silva soit plus tranquille, plus docile, moins rebelle. Mais c’étaient juste des petits problèmes d’adolescence. C’est ce qu’il pensait. Il sait maintenant qu’il s’est trompé.
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Elle regardait la mer sombre et froide, ces longues guirlandes d'immeubles socialistes dominant la mer, ces milliers d'alvéoles illuminées où tout un tas de gens vivaient leur vie. Elle regardait ces milliers de points comme des lucioles et pensait à la vie qu'elle-même menait, à la vie qu'elle désirait et à l'avenir qui l'attendait.
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La tranchée sous le chêne n'a plus servi à rien. Elle est restée là, comme un mémorial d'une guerre lointaine et stupide. Elle est peut-être toujours là, très certainement pleine de feuilles mortes, moins profonde car elle se sera remplie de terre. Je doute que quelqu'un l'ait comblée : les cicatrices des gens ici ont déjà du mal à guérir, qui donc se préoccuperait de soigner celles de la terre ?

le collectionneur de serpents
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C'était une nuit sans lune, le village était noir et la voûte étoilée étincelait. Robert contemplait la Voie lactée, Orion, la Grande Ourse, la grosse et opulente Vénus, prenant soudain conscience qu'il n'avait pas vu pareil firmament depuis bien longtemps. Le ciel ressemblait à cela pendant la guerre, pensa-t-il. Pendant la guerre, au milieu de l'été, quand l'électricité était coupée. En bas, sur terre, c'était la nuit noire, mais le ciel étincelait, indifférent à la misère humaine.

Le héros
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Ils avaient formé plus que longtemps un couple heureux, et dans un couple heureux on n'a pas besoin des autres.
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Frane avait l'air différent. Il avait changé en quatre ans. Bizarrement, Bruna lui trouvait pour la première fois un air de marin. Il s'était laissé pousser une petite barbe brune, ses cheveux étaient un peu plus courts et peignés vers le haut. Il avait maigri. Il paraissait plus âgé, plus ténébreux, comme un Corto Maltese fatigué ou un jeune capitaine Haddock parcourant le monde avec la totalité de son bien ramassée dans un sac de toile.
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Elle contemplait ce spectacle étincelant, trépidant, à l'écoute des vies parallèles se déroulant à ses pieds : la rumeur des voitures, le son des téléviseurs, le fracas de la ferraille dans le port, le grincement des locomotives de manoeuvre dans la gare de triage.
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Il regarde des gens mentir à d’autres gens, lesquels savent que les premiers leur mentent tout comme les premiers savent que les autres savent qu’ils leur mentent. Et tout en se mentant les uns aux autres, ces gens se tapotent sur l’épaule, se sourient poliment et pensent qu’aujourd’hui encore ils se sont bien débrouillés.

(Points, p.303)
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Le monde n'est qu'une suite rectiligne de dominos mettant à bas d'autres dominos, eux-mêmes abattant les suivants, sans autre alternative.
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Dans cette guerre , il n’y a pas de victoire possible, les défaites sont seulement différées.
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