Kang Chol-hwan parle coréen. Il écrit le coréen, en se servant donc du han'gul, un alphabet de vingt-quatre lettres - dix voyelles et quatorze consonnes - inventé il y a cinq siècles par le roi Sejong.
En un mot : il est coréen. Et pourtant il n'est pas d'ici. Il vient d'un autre pays qui s'appelle également la Corée, mais où Daewoo n'existe pas. Les gens n'ont pas de chaînes stéréo dans leur voiture. À la campagne, des bœufs tirent des charrettes poussives. Pas Internet non plus. Pas de magazines sur papier glacé avec des photos de filles superbes. Pas de journaux aux opinions différentes. Pas de stations de radio à choisir parmi les dix ou vingt existantes - le bouton est bloqué sur la station officielle. Et la télévision n'a qu'une chaîne : celle du gouvernement.
Kang Chol-hwan vient du Nord.
(Introduction du livre)
Les bakchichs étouffèrent l’affaire. Les choses se passent très souvent ainsi en Corée du Nord : la violence et le fric tiennent lieu de loi. « La loi est loin et le poing est proche », dit-on. Ce régime qui ne cesse de dénoncer le capitalisme a développé un type de société où l’argent est roi, plus encore que dans une société capitaliste. Et c’est ce qui a sauvé bien des Nord-Coréens qui avaient résidé au Japon. Contre la méfiance du reste de la population et la franche hostilité de la police, qui voyait en eux des perturbateurs de l’ordre public et les soupçonnait d’espionnage, leur seule parade fut l’argent japonais qu’ils avaient en poche
Il y avait pire encore dans la mort de la compassion. Quand des criminels légers retrouvaient leur famille après un séjour en prison, ils étaient sans forces et irréversiblement affaiblis. Pourtant ce mari, ce père qui avait faim était rejeté : c’était une bouche de plus à nourrir, au rendement faible qui plus est. On lui en voulait aussi : c’est à cause de lui que toute la famille avait été internée. J’ai ainsi vu des pères de famille abandonnés à la faim sur un bord de chemin. Or une fois la mort du criminel reconnue, la famille était en général libérée. De quoi décourager le peu de générosité qui résistait à la misère
En Corée du Nord, il est inimaginable qu’un homme entreprenne de séduire une femme. L’entreprise amoureuse elle-même est impensable. Et pas seulement au cinéma. L’homme prend l’initiative de façon très directe. Faire la cour à une femme est une survivance d’un passé révolu. Il n’est pas question de tomber amoureux ! Qu’un homme force une femme à répondre à ses avances, en revanche, est considéré comme un procédé normal.
Quant aux relations entre hommes et femmes, le Nord est hypertraditionaliste. On n’imagine pas de relation amicale entre eux. À âge égal, l’homme tutoie la femme qui, elle, le vouvoie. Les relations obéissent à une stricte hiérarchie. Ici, nous étions à égalité ! Certaines étudiantes avaient un air si sûr d’elles-mêmes, elles m’écoutaient à peine quand je leur parlais