Le 28/11/2017
Comment avez-vous découvert Victor Segalen qui est au coeur de votre livre Mes Pas vont ailleurs ? Avez-vous d`abord été séduit par ses textes ou bien par sa vie, sa personnalité ?
J`ai été autant séduit par ses textes que par ce personnage, l`un portant l`autre d`une certaine façon. Sa vie est tellement extraordinaire, tellement romanesque que l`on est comme happé par le personnage de Victor Segalen. J`aime les auteurs qui ont une certaine résistance à la lecture et Victor Segalen ne se laisse pas facilement attraper, cerner. Cela ajoutait à mon désir de mieux le comprendre. De surcroît, nos parcours personnels, s`ils ne sont pas similaires, présentent tout de même quelques coïncidences : un goût pour la Polynésie, l`Asie et bien évidemment la Bretagne et plus particulièrement pour Brest. Tout cela faisait qu`il était assez proche de moi, géographiquement mais aussi peut-être psychanalytiquement.
Comme vous, Victor Segalen était Breton. Est-ce qu`il jouit d`une aura particulière en Bretagne ?
C`est un homme connu en Bretagne. La faculté des lettres et sciences humaines de Brest porte son nom, de nombreuses publications lui sont consacrées et il fait figure de grand-père des écrivains voyageurs. Dire qu`il est très lu, ce serait peut-être mentir mais on se rend compte cependant qu`il a exercé une influence non négligeable sur de nombreux auteurs et personnalités politiques. On découvre, en lisant la correspondance entre François Mitterrand et sa maîtresse Anne Pingeot, que l`ancien Président encourageait cette dernière à le lire. On sait également que Jacques Chirac est un fanatique de Segalen. De même, plusieurs textes sont en ce moment publiés ou vont bientôt l`être autour de l`écrivain : Le désir ultramarin signé Michel Onfray ou encore un prochain ouvrage de Patrick Deville. J`ai également assisté à des conférences dans lesquelles Edwy Plenel l`évoquait, sans parler de Régis Debray qui le cite à tour de bras.
C`est donc quelqu`un qui existe, moins peut-être en tant que poète qu`en tant que penseur. C`est en effet quelqu`un qui a beaucoup réfléchi sur les notions d`exotisme, de l`autre. C`est évidemment une question assez brûlante en ce moment.
C`est en Bretagne que Victor Segalen décède et que votre livre commence. C`était un grand voyageur mais était-il attaché à cette région ? Qu`appréciait-il dans cette forêt de Huelgoat pourtant loin de la mer ?
Beaucoup de Bretons sont plus tournés du côté de la terre que de la mer. Il y a toute une partie de la Bretagne qui s`appelle l`Argoat et qui correspond au pays des terres, de la forêt, en opposition à l`Armor qui est le pays de la mer. Il existe ainsi toute une mythologie autour des forêts, des sources, des rochers. C`est un arrière-pays qui est très important.
Victor Segalen est à la fois attiré et en même temps embêté par la Bretagne. On sent qu`il ne sait pas très bien comment « l`attraper ». Le premier texte qu`il écrit, alors qu`il est tout jeune et parcourt la Bretagne en bicyclette, est consacré à la forêt du Huelgoat. C`est dans cette forêt, extrêmement magique, qu`il meure des années plus tard.
Vous commencez d`ailleurs votre récit par les derniers jours de sa vie. On ignore s`il s`est suicidé ou s`il est victime d`un accident. C`est aussi pour tenter de déchiffrer ce mystère que vous avez écrit ce livre ?
Non. Je commence et je termine mon récit par cette mort mais il s`agissait pour moi d`une porte d`entrée pour ce personnage. Cette mort est tellement énigmatique, tellement composée, finalement tellement romanesque qu`on se demande s`il ne s`agit pas d`un autre chapitre ajouté à son oeuvre propre. Une sorte de final où il sortirait des pages pour rentrer dans la forêt. Est-ce un accident ? Un suicide ? Cette incertitude fait beaucoup pour le magnétisme du personnage. C`est en tout cas quelque chose qui me fascine. Je suis allé à plusieurs reprises dans cette forêt à la recherche de ces « points consacrés » qu`André Breton lui-même cherchait dans les années 1946-1947.
Vous ne proposez pas une biographie classique. Vous êtes présent dans le récit et vous ne déroulez pas le fil de sa vie de façon linéaire. Pourquoi pas d`ailleurs ? Qu`est-ce qui vous intéressait dans cette forme littéraire au croisement entre la biographie, l`auto-biographie et l`essai ?
Je n`avais pas envie d`écrire une biographie, ni un essai. Des biographies lui ont déjà été consacrées et je n`avais rien à y ajouter.
J`avais envie de refaire ce qui m`avait je crois réussi avec mon livre sur Gauguin Je suis dans les mers du Sud. Je voulais écrire une sorte de livre hybride qui est à la fois une évocation biographique et un parcours dans la vie de Victor Segalen – parce que je ne parle pas de tous les moments de sa vie mais de certains moments uniquement qui correspondent selon moi à des moments forts de sa vie. C`est également une lettre, une adresse, une sorte de dialogue ouvert entre lui et moi. Je me plais à me glisser dans ses pas et d`aller sur ses traces en Polynésie, en Chine, en Bretagne. C`est presque une enquête policière, une sorte de filature à travers le temps.
Découvrez
de Jean-Luc Coatalem aux éditions Stock :

Propos recueillis par Pierre Krause
écrire est-ce trahir ? Faut-il dire toute la vérité au sujet de sa famille ? Faut-il vraiment déterrer les secrets, quitte à repousser les limites ? Ces questions sont au c?ur des livres de nos invités. François Busnel reçoit : Lionel Duroy, Jérôme Garcin, Christine Montalbetti, Jean-Luc Coatalem et l'américaine Emil Ferris.
Retrouvez tous vos extraits de l'émission ci-dessous :
https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/replay-videos/
+ Lire la suite