Citations de Katherine Heiny (30)
Même aux yeux inexpérimentés de Graham, quelque chose clochait dans la tenue de cette femme. Elle portait un corsage fleuri montant, un ruban autour du cou, un gilet en napperon pour meubles et une jupe en patchwork. Non seulement ses vêtements étaient inhabituels et inappropriés pour une sortie en mer, mais il y avait également autre chose… La lumière mit du temps à jaillir dans l’esprit de Graham, mais enfin il trouva ce qui clochait : c’était elle qui les avait cousus.
La vie n’était qu’une longue chaîne de gens rompant les liens noués entre eux. Bien sûr, il ne s’agissait pas de tout le monde. Et la vie présentait aussi des facettes positives – crépuscules rouge rubis, siestes, oignons frits, etc. Mais quand on se retournait sur les années passées, on ne se souvenait vraiment que des ruptures. Alors quelle injustice de devoir les supporter, puis de devoir les revivre – cent fois plus douloureusement – à travers son enfant !
De son point de vue, les hommes n’appréciaient que les vêtements qui leur rappelaient d’autres tenues plus sexy et s’ils appréciaient celles-ci, c’était parce qu’ils espéraient que la femme les portant s’en dévêtirait vite pour les rejoindre au lit. C’était sa façon d’expliquer pourquoi les hommes étaient si désespérants question mode, sauf si, pour une raison quelconque, ils ne nourrissaient pas l’espoir que la femme se dévête rapidement – parce qu’ils étaient très vieux, très jeunes ou homosexuels.
Ils ont besoin qu’on leur enseigne la compassion et l’empathie ! Ils ont besoin d’apprendre la tolérance et le respect ! – Elle se ménagea une pause avant de reprendre de sa voix normale. – Honnêtement, Brenda, il ne suffit pas de préparer des sandwichs au beurre de cacahouète pour être une bonne mère !
— Mais c’est ridicule ! N’est-ce pas fondamentalement le rôle des parents d’intervenir dans la vie sociale de leurs enfants pour leur apprendre la valeur de l’amitié et le sens de la loyauté et tout le tralala ?
Peu importe la direction vers laquelle se tournait Graham, les relations s’effritaient, les cœurs se brisaient, les histoires d’amour se mouraient – des mains géantes indifférentes déchiraient le fragile tissu doré de leur vie (la dernière phrase était d’Audra).
Nous nous sommes plaintes du temps que nous autres femmes, passions à craindre une grossesse. Comme cette fois à la fac, après son aventure d’une nuit avec le gars de l’appartement en dessous ! Un beau gars, sauf qu’un mono sourcil très net le défigurait. Lorelei et moi, nous l’avions surnommé Bart à cause de cela. Peu importe, après ce coup d’un soir, Lorelei avait souvent rêvé qu’elle se retrouvait en salle d’accouchement et que le docteur lui présentait un bébé défiguré par le mono sourcil de Bart.
Parce que Graham en était venu à penser que les gens n’étaient heureux que quand ils ressentaient une seule émotion à la fois. C’était la raison pour laquelle ce qui avait suscité une joie pure pendant l’enfance – les biscuits aux brisures de chocolat juste extraits du four, un sweat-shirt encore chaud sorti du sèche-linge, un château de sable parfait – n’offrait pas les mêmes joies à l’âge adulte. Les adultes étaient bien trop traversés par ces émotions épuisantes que provoquent l’impôt sur le revenu, les textos écrits en état d’ivresse, les varices et l’argent restant dans le parcmètre. Les amoureux étaient heureux parce que leur état les protégeait de toutes les autres émotions.
Oui, la tradition orale est une pratique merveilleuse, c’est une façon puissante de préserver les coutumes traditionnelles et de se confronter aux problèmes contemporains. Graham en était convaincu. Mais il savait aussi à quoi ça ressemblait d’être marié à une ancienne de la tribu, intarissable dans ses récits.
Nous sommes un groupe passionné qui se réunit tous les dimanches pour pratiquer l’origami dans un esprit de camaraderie.
Les mauvaises actions – même les mauvaises actions anonymes – se retournent contre ceux qui ont mal agi, sous la forme de contravention pour excès de vitesse ou de convocation au tribunal ; mais les bonnes actions anonymes n’atteignent pour ainsi dire jamais les oreilles de ceux à qui elles ont bénéficié. À moins que le bénéficiaire plein de ressources ne réussisse à retrouver son bienfaiteur, via les coups de pouce au destin de la Craigslist !
Audra portait une courte robe bleu pâle avec un boléro assorti et un gros nœud blanc au col. Même si Graham avait toujours vaguement associé cette robe à de la pornographie – quintessence du fantasme masculin sur les vêtements que pourrait revêtir une bibliothécaire –, elle était très jolie. Matthew portait un pantalon kaki et une chemise blanche avec l’une des cravates de Graham. Il avait pratiquement la même couleur de cheveux qu’Audra, mais les siens étaient beaucoup plus fournis et pas aussi bouclés. Ils ravissaient sa mère qui ne se lassait pas de répéter qu’ils étaient si parfaits qu’elle n’avait même pas besoin de les brosser.Tandis qu’il garait la voiture sur le parking recouvert de gravier de l’église, Graham s’autorisa à approuver du bout des lèvres l’endroit où le mariage aurait lieu. La réception suivrait immédiatement dans le manoir attenant – pas la peine de reprendre le volant, ni de regarer la voiture, ni d’attendre les bras ballants.
Il avait envisagé de prendre un taxi pour rentrer, mais il ne voulait pas déclencher l’ire du chauffeur parce qu’Audra complètement bourrée aurait vomi à l’arrière du véhicule (situation qu’il avait déjà expérimentée et qui lui avait laissé un goût amer). Ne leur restait donc plus qu’à marcher. Mais le temps était beau et le whisky avait allumé au plus profond de lui une flamme de plaisir brûlant. Maintenant qu’il était sorti de la fête, il lui semblait qu’il pourrait couvrir des kilomètres à pied.
Il ne s’agit pas ici de faire des omelettes, où l’on peut se permettre d’avancer à l’aveuglette ! Transformer un pli rentrant fermé en pli convexe fermé tient de la prouesse !
Peut-être, avant Internet, les gens se contentaient-ils de paresser sans but ou de lancer des balles de tennis contre le mur pour divertir leurs oreilles de leur plaisant toc ! toc ! Ou se demandaient-ils vaguement combien la voiture de leurs amis consommait. On n’avait donc pas perdu grand-chose. Surtout s’il pouvait rester assis chez lui et fourrer son nez dans la vie de son ancienne épouse,sans même avoir à quitter son salon et que personne ne s’insurgeait : « Eh, vous ! On peut savoir ce que vous fabriquez avec vos jumelles ? » (Ce qui était le modus vivendi quand Graham était adolescent. Mode opératoire auquel s’était substituée, depuis lors, la traque sur Internet, maintenant qu’il y réfléchissait.)
Pour être totalement honnête, Audra n’était pas la seule à aimer traquer sur Internet. À ce moment précis, à cette seconde même, Graham s’asseyait à la table de la salle à manger, avec son ordinateur portable et le premier whisky magique de la soirée, et il se préparait à passer une demi-heure – trente minutes de vie à jamais perdues ! – pour lancer une recherche sur son ex-femme. Et il s’en délectait à l’avance.
Le spongieux, le grumeleux, le croustillant ou l’épicé étaient irrémédiablement bannis de son alimentation : pour faire bref, tout aliment pouvant être décrit par un adjectif intéressant.
Remonter un souvenir à sa source. Comme suivre un ruisseau à travers bois et escalader le flanc d’une montagne jusqu’à ce qu’on tombe sur la source s’écoulant goutte à goutte d’un rocher et qu’on dégage les feuilles mortes des années passées : et voilà l’eau qui se remet à couler aussi doucement qu’auparavant !
Ça fait des années – littéralement des décennies – que je raconte aux gens que je ne peux pas faire tel truc parce que je me trouve dans une situation inextricable. C’était ma réponse toute faite à pratiquement toutes les questions embarrassantes qui m’ont été posées et voilà que je découvre que tu ne te rappelles même pas l’avoir prononcée !
Audra n’était pas tout à fait belle, mais sa vivacité l’éloignait de la banalité.