
Je m’appelle Louis, je vis à Paris, j’ai douze ans et demi, bientôt treize. J’adore le foot, les dessins animés japonais, Maître Gims, les chaînes YouTube consacrées aux Pokémon, la pâte à tartiner qui contient plus d’huile de palme que l’huile de palme (j’adore cette blague), les films de cinéma des années 90 et 2000 (non, ça n’est pas ringard comme passion), l’odeur des pots d’échappement, les skateboards flashy, les seins de Mme Ernest ma prof de maths, les maths sans les seins de Mme Ernest, ma super grand-mère Odette, ma mère (la plupart des jours).
À part ça, je crois que je suis mort.
D’habitude, je n’aime pas trop raconter ma vie, mais vu les circonstances et vu que vous êtes là, autant vous expliquer un peu à qui vous avez affaire, et ce qu’il s’est passé.
Je vis seul avec ma mère. Elle s’appelle Thelma. C’est avec elle que j’ai vécu ma dernière matinée. J’aimerais vous dire que c’était une matinée exceptionnelle, qu’on a partagé des instants merveilleux, qu’on s’est enlacés tendrement et dit des mots doux. En vrai, c’était une matinée d’une banalité tout à fait affligeante, et après tout c’est bien normal. On ne vit pas chaque heure de chaque jour comme si c’était la dernière, ce serait épuisant. On vit, c’est tout. Et ma vie avec ma mère, ça ressemblait exactement à ça.
Donc quand j’y repense, en elle-même cette matinée était parfaite. Je sais bien que maman doit avoir un tout autre avis sur la question, je sais bien qu’elle doit repasser en boucle dans sa tête chaque image de ces quelques minutes en se demandant ce qu’elle aurait dû faire, ce qu’elle aurait pu changer. Moi, j’ai la réponse, et on n’est sûrement pas d’accord avec ma daronne: rien.
C’est étrange comme réponse quand on sait que cette matinée ensemble s’est résumée à maman qui tente de m’extirper de mon lit, moi qui râle, traîne des pieds et râle encore. Ça, c’est ce qu’on pouvait voir de l’extérieur. C’était aussi ce que j’en voyais. Maintenant que j’ai un peu (beaucoup) de recul, je me rends compte de mes sensations. De ce ressenti diffus, de ces picotements cérébraux qui ne deviennent accessibles que quand il n’y a plus rien d’autre. Le poids de l’habitude. Le bonheur des habitudes. L’immuable délice des rituels familiaux. Ces petits riens du quotidien qui nous construisent et qui changent tout.
Je m'appelle Romane. J'ai trente- neuf ans. Je suis médecin généraliste, option hypocondriaque à tendance paranoïaque que je n'applique qu'à moi- même, mes patients peuvent dormir tranquilles.
Après tout, quelques belles trouvailles dans une librairie peuvent parfois faire autant de bien que plusieurs séances chez un psychiatre.
Quand j'y pense désormais, quand j'entends quelqu'un prononcer le mot "urgence", cela a une tout autre connotation. Plus jamais je n'utiliserai un tel terme pour parler d'une présentation qui doit être bouclée, d'un test consommateurs qui doit être lancé, d'un flacon dont le design doit être validé. De quelle urgence parle-t-on au juste? Qui est en danger de mort?
Une journée sur Mercure dure environ deux mois : si vous y partez en week-end, mieux vaut bien choisir avec qui.
S'il y a bien une chose que j'ai apprise au cours de cette période difficile, c'est qu'il faut savourer les petits bonheurs avant qu'ils ne s'échappent.
Sans air, les vibrations du son ne circulent pas : vous pouvez donc envoyer dans l'espace tous les chanteurs que vous détestez...
Cette nuit-là, mon fils m'a aidée à ressusciter quelques pages de jeunesse trop vite tournées. Cette nuit-là, j'ai compris que la vie - la vraie, celle dont on se souvient - n'est rien d'autre qu'une succession de moments de grâce juvénile. Et qu'aucune ambition d'adulte ne peut rendre plus heureux qu'un carpe diem adolescent.
" Je ne peux pas éternellement faire comme si rien de mes dix-neuf premières années avec mon père n'avait jamais existé. Alors je dois tenir cette promesse. Laisser ma peine se mêler à la lumière froide de nos bonheurs passés. Lui rendre sa place dans mon cœur, dans mon présent aux pieds d'argile.
Je sais exactement quoi faire. Je vais aller fouiller à la cave, dans le carton estampillé " à oublier " .
Je voyage peu car j'ai peur des araignées, des serpents, de toutes les bestioles qui piquent, mordent ou grattent, du paludisme, de la dengue, du chikungunya, de la rage, de la grippe aviaire, d'être enlevée par une organisation mafieuse, de faire un infarctus loin d'un hôpital de premier rang, de mourir déshydratée à cause d'une simple dysenterie.
Récemment mes paniques ont pris de l'ampleur.