Katja Oskamp est une autrice et dramaturge allemande. En 2015, arrivant alors à l’âge de 45 ans, elle décide de changer radicalement de vie. Après avoir reçu de nombreux refus de la part des éditeurs, elle ne se laisse pas abattre et entame une formation pour devenir pédicure. 3 milliers de pieds soignés plus tard, Marzahn, mon amour voit la lumière du jour – un témoignage drôle empreint d’une certaine mélancolie retraçant son expérience.
Ainsi, début mars 2015 un petit groupe de femmes – "des mères entre deux âges, dociles et appliquées (…) réduites à une note de bas de page de leur propre vie" – se retrouve à Charlottenburg et sous l’oeil de la formatrice Gitta, elles apprennent tout ce qui est exigé pour le travail de pédicure, allant des noms de tous les os du pied (il y en a 28) jusqu’aux champignons et varices. Dans la vie privée, Katja Oskamp se heurte à l’incompréhension (voire au dégoût) de son entourage, tant le fait d’avoir troqué la plume contre une râpe est inhabituel (l’inverse aurait été sans doute mieux perçu ), mais elle persévère et est embauchée dans un institut de beauté à Marzahn.
Marzahn, un quartier de Berlin, faisait autrefois partie de Berlin-Est. Dans les années 70, on y a construit de nombreux immeubles de préfabriqués en béton dont les habitants deviendront alors des futurs clients de Madame Oskamp. Ceux-ci apprécient deux réels avantages de l’institut : le voisinage avec un salon de toilettage pour les compagnons à quatre pattes et (surtout) l’absence de marches pour y accéder. Ils rangent leurs déambulateurs et béquilles de côté, piochent un petit Ferrero Rocher dans un bocal et s’installent confortablement dans le fauteuil.
Les clients donneront leurs noms aux chapitres et le bal est ouvert par Frau Guse. Dès les premières pages, le lecteur se rend compte que le livre sera un véritable défilé de personnes très variées, que ce soit physiquement ou psychologiquement (et de toutes les couleurs, en parlant des cheveux – on est en Allemagne et le rose fuchsia n’est jamais très loin !). Alors que les pieds sont dans une bassine d’eau chaude, le fauteuil se transforme en un canapé de psychologue. Tandis que certains clients se détendent, d’autres parlent de leur problèmes de santé ou de leur passé et Katja Oskamp apprend très vite quelle approche employer pour quel client et s’adapte, tel un caméléon.
Il y a aussi des collègues, comme Flocke qui a passé toute sa vie dans des bars berlinois comme serveuse. Capable de gérer toutes sortes de clients, même ceux qui ont trop bu, et nettoyer les toilettes à la fin du service sans ciller, elle s’adapte rapidement à son nouveau milieu professionnel (il lui a juste fallu de changer de langage !) avec un pragmatisme désarmant.
Avec Marzahn, mon amour, l’autrice nous offre une mosaïque de vies des gens simples du quartier. Le ton oscille entre la légèreté et la gravité, on parle des petites choses du quotidien, mais aussi de la grande Histoire (un chapitre d’ailleurs est consacrée à Gerlinde Bonkat qui a fui la Prusse orientale en 1947 à l’âge de 9 ans). La vie de tous les jours, le travail, les enfants, les finances, la vie de couple, la condition féminine… et évidemment les pieds et leurs soins (dans tous les détails, je vous préviens). Je vous conseillerais de faire d’abord votre pédicure chez Katja Oskamp, puis aller faire un tour dans Le café sans nom chez Robert Simon (et pas l’inverse, s’il vous plaît). Construits sur un principe semblable et en racontant (avec une certaine tendresse) la vie de leurs clients et habitués, les deux livres captent de grands et petits moments de la vie.
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