La présentation de ce livre par son auteur à la télévision m'a donné envie de le lire et je n'ai pas été déçue. La jeune fille métisse d'une femme vietnamienne et d'un soldat français qu'elle ne connaîtra jamais raconte son existence jalonnée de drames liés à la fois à sa condition d'eurasienne et à la guerre. Elle est l'enfant de trop que sa mère met, à une certaine époque, dans un orphelinat réservé aux enfants de femmes vietnamiennes et de soldats français. Lorsque sa mère vient la rechercher, elle ne la reconnaît tout d'abord plus. Elle est ballotée dans la nouvelle famille que sa mère forme avec un second mari, vietnamien aux yeux duquel elle est transparente ce qui est pire que la haine, chez sa tante, chez son grand-père qui la méprise parce qu'elle est fille de l'ennemi. Les études pour lesquelles elle est douée lui permettront de trouver une issue à cette existence qui la désole, dans un pays qui ne veut pas d'elle mais dont elle retrace l'histoire dans un style imagé et vivant. Les émotions de la "Métisse Blanche", complexes, intenses, le lecteur ne peut que les partager et vibrer avec elle lorsqu'elle vit des situations inouïes : l'abandon par sa mère, l'enfant mise dans la jarre quand les communistes arrivent et risquent de découvrir l'enfant du colon, preuve de trahison, le long déplacement sur le dos luisant de sueur de sa nourrice, l'école buissonnière....C'est un livre rempli d'images, de paysages, de parfums, de cuisine vietnamienne et chaque personnage et dépeint dans ses contradictions avec une écriture qui les rend très vivants.
"C'est toi, Papa?" demanda Mây.
N'entendant pas de réponse, elle se retourna: un militaire français pointait sur elle un pistolet .
Que de souffrances endurées, que de luttes, que de patience pour arriver à la situation qui était la mienne. Cet acquis, je l'avais chèrement payé. Je n'avais cessé, depuis mon enfance, d'essuyer du mépris, des rejets, de la haine parfois, de la part d'un peuple que je considérais comme mien. C'est que je rappelais, à mon corps défendant, l'humiliante colonisation et l'arrogance du Blanc. J'étais le fruit impur de la trahison de ma mère, une Vietnamienne.
Ma mère parvenait à concilier avec un naturel désarmant sa foi catholique, ses invocations à Bouddha et le culte des ancêtres. Dans son esprit, l'être humain était en proie à tant de malheurs qu'il valait mieux se concilier plusieurs protecteurs au lieu d'un seul. Pourquoi renoncer à l'un pour l'autre ? Quant au culte des ancêtres, il était notre fondement qu'aucune religion ne pourrait jamais remplacer., il faisait partie de notre pays, de notre âme, comme le fleuve qui cour vers l'océan sans perdre contact avec sa source aimait-elle à dire. Bienheureuse mère. Mais moi, qui étaient mes ancêtres ?
Il faut que tu saches, ma fille, que l'homme est bestial. C'est sa nature ! S'il cache cette bestialité sous des dehors rassurants, c'est uniquement pour parvenir à ses fins. Il n'y a pas d'exception à la règle.
Toi aussi, Papa ?
Moi comme les autres. Mais ce n'est pas fatal, l'homme n'est pas obligé de suivre sa nature, il peut la corriger. C'est là qu'intervient la liberté. L'homme vertueux ne cache pas sa bestialité, il la dompte.