Je le voyais comme un homme avec un trou béant là où aurait dû se trouver son cœur. Un homme avec un trou. Un trou que je voulais combler. J'avais mal à sa place. J'avais mal parce que ça ne lui faisais pas mal. Ou parce qu'il pensait que ça ne lui faisait pas mal.
Ça me fait toujours mal quand j'y pense.
Il pense à son rire quand elle l'aperçoit, aux baisers dont elle le couvre, aux longues séances paresseuses de massage qu'elle lui prodigue, et aux milliers de serments d'amour qu'elle lui a faits : aucune femme n'avait jamais aimé un homme comme elle l'aimait lui. Elle l'appelle son dieu. Il dit : ton vieux. Elle dit : mon dieu.
La femme la plus détestée de Belgique. C'est ainsi qu'ils m'appellent. Beaucoup plus détestée que cette femme qui a assassiné ses cinq enfants. Elle, la plupart des gens l'ont déjà oubliée. Moi, pas. Entre-temps d'autres mères ont assassiné leurs enfants, mais pas aussi résolument qu'elle, pas de manière aussi infaillible. Elle est et reste la reine d'entre les mères assassines, la détentrice de la médaille d'or, la Médée de notre époque.
Moi,je ne mérite pas de médaille. Je mérite la haine, les huées, le poison. Des gens m'envoient des lettres dans lesquelles ils me décrivent en détail ce qu'ils me feraient subir s'ils en avaient l'occasion. Une mort atroce dans une cave, c'est ce que je mérite. Une pitoyable mort de faim. Et ils joignent des photos de Juifs décharnés. "Voilà ce qui t'attend si tu mets jamais le pied hors de prison".
Si j'ai un jour une maison à moi, une maison que j'aménagerai comme je veux, et où je ferai ce que je veux, et où personne ne viendra me commander ou me contrôler, une maison qui sera vraiment à moi, j'achèterai un perroquet. E t je l'appellerai Coco. Coco Chanel.
Je ne peux pas rire, je ne peux pas rire, je ne peux pas rire.
Sinon tous les journaux écriront : "Elle n'a pas de regret. Elle rit !"
Il se sentait complètement seul. Pas esseulé mais seul. Il n'avait personne devant ni derrière lui. Il ressentait une douleur dans la poitrine. Dans les veines, aussi. Une douleur dévorante. Et il savait que cette douleur s'appelait l'amour. Que la seule certitude qu'il avait jamais eue était : je l'aime. Moi, Victor Elbergs, j'aime Hannah Prat. Et cet amour était totalement impossible, totalement impensable. Ce sentiment, ce savoir ne mèneraient à rien. Même si Emilia, Simon ou Petra n'existaient pas, même s' il était un homme libre, il ne faudrait pas y songer, il ne faudrait pas s'engager dans cette voie. Avoir une liaison avec Hannah Prat n'était pas possible. Mais il était toujours rongé par cette douleur. Par ce manque. De la même façon que ses doigts manquants le faisaient souffrir quand il pleuvait.
Quand on est jeune, disait-elle, on ne se rend pas compte de ce qu'on fait. On pense que tout va s'arranger. On n'a aucune idée des conséquences. On croit que c'est un jeu. Mais ce n'est pas un jeu.
M pouvait réagir si mollement quand j'étais gentille avec lui. Comme s'il ne comprenait pas. En fait, il ne réagissait pas. Il n'était pas fâché et il n'était pas content. Il n'était rien.
Anna nourrissait l'illusion qu'elle était plus dépendante de lui qu'il ne l'était d'elle. Et c'était vrai qu'il pouvait se passer d'elle assez longtemps et que la réciproque n'était pas vraie. Mais Sam savait aussi qu'Anna survivrait à une rupture définitive, tandis que son univers à lui s'effondrait. Au début personne ne le remarquerait. Anna ferait tellement de grabuge que toute l'attention se porterait sur elle. Mais Anna finirait par se relever tandis que lui craquerait, lentement mais sûrement.
Quand il venait la voir à Paris, au bout de deux jours, il ne tenait plus en place et s'éclipsait aussi brusquement qu'il était apparu. Il était comme un chasseur pour lequel elle devait sans cesse se travestir en gibier insaisissable. Une femme qui l'aimait trop, cela l'oppressait.