Citations de Laura Jaffé (15)
Il regarde étonné, ces drôles de touristes rangés sur le sable doré,
se faire bronzer les écailles à en devenir violets...
Le handicap, par définition inguérissable, est en effet un lourd fardeau à supporter non seulement pour les familles accablées, mais aussi pour l'ensemble de la société, tant sur le plan de l'identité nationale que sur le plan financier. Aussi notre gouvernement en a fait l'un des axes prioritaires de sa politique sanitaire. (p 20)
Le 18 août 1939, le ministre de l'Intérieur du Reich publie un décret: les personnels soignants, médecins, infirmières et sages-femmes doivent signaler tous les enfants de moins de trois ans porteurs d'un handicap. L'âge de ce signalement sera ensuite progressivement porté à dis-sept ans. On encourage massivement les parents à confier leurs enfants, sous couvert de les soigner, à des cliniques pédiatriques où ils sont conduits dans des fourgonnettes-ambulances aux vitres occultées de peinture blanche. L'adresse du centre n'est jamais communiquée aux familles et les visites sont évidemment interdites. Les enfants sont généralement tués dans les jours qui suivent leur arrivée par surdose de médicaments, ou bien on les laisse mourir de faim.
Une chose est sûre, on est tous d'accord: pas question de renoncer à notre plan. Ce soir, quoi qu'il arrive et quoi qu'il nous arrive, plus personne ne pourra dire qu'il ne savait rien, qu'il n'était pas au courant, qu'il n'aurait jamais pu imaginer...
La Belle et la Bête, Docteur Jekyll et Mister Hyde, Esmeralda et Quasimodo, la princesse et le crapaud. Anne et moi.
Au jeu des contraires, je suis celle qui perd.
Je n'ai pas eu le temps de tout voir, mais j'en ai vu assez. J'ai senti l'odeur d'urine, de sueur, de fièvre, de pourriture. ici, on ne soigne pas. De toute évidence, ici on expérimente sans limites et sans anesthésie. Ici, on laisse mourir. (p.76)
Dans le but de vous soulager face aux difficultés que vous rencontrez pour élever votre enfant non-conforme, nous vous invitons à répondre dès à présent au questionnaire c-joint... (p. 37)
Le problème des étrangers territoriaux résolu, reste à présent à régler le cas des indésirables de l'intérieur, ces étrangers-familiers qui, par leur difformité, leur dépendance et leur irréductible différence, assombrissent le moral du pays et ralentissent la croissance de la Nation toute entière. (p.19-20)
Tu sais, toi, ce que ça veut dire "traitement miséricordieux" ? Pour le "traitement", pas de problème, je vois bien de quoi il peut s'agir : gélules, comprimés, piqûres, perfusions, et même poudre de perlimpinpin à l'occasion... mais pour la miséricorde ? Dans miséricordieux, il y a misère et il y a Dieu. Peut-être que les médecins du Centre, aidés de leur nouveau Dieu du Progrès, ont finalement mis au point un traitement révolutionnaire susceptible de débarrasser tous les "différents" comme nous de leur misère congénitale ou génétique ? (p.65)
"Phéno", au centre de regroupement régional numéro 6, ça rime bel et bien avec "aristo". C'est comme si nous cinq, différents parmi les Différents, on avait gagné sans même y avoir participé un étrange concours de beauté (ou plutôt de monstruosité) et qu'on avait été sacrés raretés parmi les ratés, stars des phénomènes de foire, champions de la fantaisie génétique... (p.45)
Moi, il me semble que c'est notre président élu à 95 % des voix qu'il faudrait obliger à réviser. Recalé en devoir de mémoire, le "Guide éclairé de la Nation" incapable de retenir les plus élémentaires leçons de l'Histoire ! Le programme du Parti unique du Progrès et son meilleur des mondes futuristes, ça ne te rappelle pas l'optimisme triomphant du fameux Troisième Reich censé durer mille ans ? Et les chambres à gaz pour tous les ratés génétiques, les malades chroniques, les handicapés, les asociaux, tu en as déjà entendu parler ? (p.42)
L'amour aveugle, dans mon cas, je ne vois que ça. Plus tard, on se mariera, et même, on aura des enfants. Une ribambelle joyeuse d'enfants borgnes à poils ras, bigleux à pelage ondulé, cyclopes d'un beau roux flamboyant. Plein d'enfants mutants magnifiquement différents. On leur apprendra à se trouver beaux, à tirer fierté de leur singularité. Dans la rue, au parc, au cinéma, ils n'auront plus honte, ils n'auront plus peur de se montrer. (p.11)
Depuis treize ans que je suis née, ma laideur me tient lieu d'identité. Pour tout le monde, je suis le Monstre. (p.7)
Imagine tous ces hommes épuisés, en proie au mal de mer. Agrippés à leurs livres de prières. Talmud érigé en nationalité de poche. Priant jusqu'au vertige. Avant, arrière, balancement rituel. Mouvement lancinant anesthésiant. Divine berceuse. Hommes en noir recroquevillés sous leurs châles de prière.
Et les femmes. Dispensées de prier par un Dieu aussi misogyne que les autres. Des mères, des jeunes filles, des vieilles engoncées dans leurs fichus et leurs robes longues, les enfants agglutinés en grappes autour de leurs jambes. Marmaille qui crie se dispute réclame se gratte.
Elle ne porte plus ni perruque ni foulard, elle n'a plus peur de désobliger un Dieu voyeur qu'elle oublie d'honorer. Elle offre ses bras dénudés au soleil de l'été et ne redoute plus de montrer ses mollets presque jusqu'au genou.