Laura Lippman

Tout le monde a des secrets. J’ai des secrets. Je trouverai le moyen d’écrire en dissimulant les vôtres. Je ne révélerai pas votre séparation. Je n’ai pas besoin de savoir comment vous saviez qu’ils cherchaient l’employé du magasin de poissons. Mais votre source était un homme, pas vrai, Maddie Schwartz ? Une femme comme vous – il y a toujours un homme pas loin.

Les jeunes journalistes qui couvrent la police, même ceux de mon journal, sont furax. (Sauf Diller, qui est strictement obsédé par l’identification de ma source.) Qui je suis, moi, pour me permettre de piquer l’une des plus grosses affaires au commissariat ? Je vais vous le dire, qui je suis. Je suis Bob Bauer.

La flatterie fonctionne. Comme souvent. Je n’accompagne pas les flics pour l’arrestation en bonne et due forme, mais je suis au commissariat quand ils ramènent le type. Il essaie de dire qu’il est fou, mais les vrais fous ne le disent jamais.

Une jolie femme dans son genre – on pourrait se laisser aller à frimer un peu. Bref, j’appelle un flic de la criminelle que je connais, un type qui a toujours été gentil avec moi. Par pitié, probablement, mais ça ne me dérange pas. Pas de souci. Je l’ai mérité. Je lui demande de me rejoindre dans un bar où on ne risque pas de croiser d’autres flics et journalistes, alors on atterrit Chez Alonso sur Cold Spring Lane.

Elle a l’air jeune, dans sa tenue beatnik. OK, pas si jeune de plus près, mais encore fraîche et coquine, comme la brise qui souffle aujourd’hui et donne plus la sensation d’un début d’automne que d’une fin d’hiver. Elle me rappelle ma femme, ma vraie femme, pas celle à laquelle je suis marié aujourd’hui.

Les gens me font plus confiance, pour eux je ne suis qu’un dessin. Quel mal pourrait-il bien y avoir à me parler ? Je suis juste un dessin humoristique en chair et en os.

Je suis chroniqueur. Je ne suis pas obligé de trouver des scoops, d’avoir peur de me prendre des coups. Je ne pratique plus ce genre d’information depuis longtemps. C’est censé être un titre honorifique, le stade où on est au-dessus de la mêlée, autorisé à pontifier ou à se contenter de faire des petits croquis mettant en scène sa propre vie. C’est mon job, la plupart du temps.

Tout ce qu’elle savait, c’est ce que quand un homme se présentait et exigeait quelque chose d’elle, elle se sentait obligée de l’aider. Mais c’était comme élever des enfants. Il était toujours possible de détourner leur attention. Vous remplaciez la sucette et les bonbons qu’ils voulaient par un plat sain, en leur faisant croire que c’était leur idée depuis le début.

Elle redoutait, si elle révélait ne serait-ce qu’une version édulcorée de cette histoire, de finir par tout raconter. Ferdie, et la mise en scène de sa virginité lors de sa nuit de noces, et peut-être même l’identité de l’homme qui avait rendu cette mise en scène nécessaire, un secret qu’elle avait conservé durant toutes ces années. “Je ne tiens pas à faire parler de moi, dit-elle. — On pourrait utiliser seulement votre prénom.” Il avait beau être gentil et poli, on sentait qu’il était tenace.

Les journalistes sont capables de changer le bien en mal. C’est ce qu’ils font.” Un journaliste a couvert mon père de boue il y a longtemps. Ça n’a rien donné à la fin, mais j’en ai tiré une leçon.

Aujourd’hui les gens n’arrêtent pas de parler de préjugés et tout le toutim, comme si nous, on n’en connaissait pas un rayon. Quand ma famille est arrivée en Amérique, à Baltimore, les Irlandais avaient le pouvoir et ils protégeaient leur peuple. Après ça a été au tour des Italiens d’avoir le pouvoir et de protéger leur peuple. Et puis nous, les Polaks, ça a été notre tour. Et comme ça sans arrêt, depuis toujours et pour toujours. Faut juste attendre son tour.

En fait, je m’imagine deux ados, un garçon et une fille, en train de faire un truc qu’ils étaient pas censés faire. Ils ont regardé l’heure, se sont rendu compte qu’on les attendait chez eux pour le dîner, n’avaient aucune chance d’y arriver, alors il leur fallait une bonne excuse.

Les nouveaux styles avantageaient les femmes minces. Il va de soi qu’elle était trop vieille pour ce genre de tenues. Enfin, l’était-elle vraiment ? Elle avait beau mincir, ses seins semblaient ne jamais rapetisser. Elle pensa au nombre de garçons qui avaient supplié, supplié pour passer de SV à SUG à SOG, et comme, découvrant ses seins, ils avaient le souffle coupé, tels des hommes touchant terre après un long séjour en mer.

Lors de sa nuit de noces, elle n’oublia pas de mimer la douleur qu’elle avait ressentie lors de sa première vraie fois. Si Milton avait le moindre soupçon que sa jeune épouse n’était pas vierge, il était suffisamment poli – ou suffisamment déçu – pour ne rien exprimer. C’était une importante première leçon dans un mariage qui venait de commencer. Laisser leur place aux mensonges.

Elle n’avait pas perdu l’instinct qui avait fait d’elle l’une des filles les plus en vue de Baltimore, dans sa jeunesse. À l’époque, elle avait même tenu un petit carnet, avec un code qui lui permettait de savoir jusqu’où elle était allée avec chaque garçon avec qui elle sortait.

L’homme essaierait de poser sa bouche sur elle, et puis d’une manière ou d’une autre – elle n’avait pas à trouver d’explication, les rêves ont leur logique propre – Ferdie serait là, il la sauverait et tous deux seraient tellement bouleversés qu’ils trouveraient un endroit proche – une baignoire, une voiture – pour faire l’amour. En prenant le risque de s’exposer, dans tous les sens du terme.
C’était un fantasme bizarre, mais les fantasmes n’avaient jamais tort, c’est du moins ce que Maddie avait lu quelque part.

Quand j’étais petite, je me rappelle avoir entendu parler d’un pervers qui violait les petites filles avant de les tuer. Ça se passait dans ton quartier actuel, qui était un ghetto à l’époque. Qui est toujours un ghetto. Bref, il a attaqué une petite fille, sa mère était armée et elle l’a abattu, ce qui a mis fin à tout ça.”

Une petite fille pouvait fuguer, se perdre, peut-être se cogner la tête et oublier son identité ? Mais Ferdie avait dit quasiment la même chose que Tattie, juste la veille au soir : il était presque certain que Tessie Fine était morte et les inspecteurs de la brigade criminelle chargés de l’enquête étaient sous pression pour faire n’importe quel progrès, le plus vite possible.

Je veux une fourrure. Je veux la même bague que ma mère, avec une grosse pierre verte. Ma mère prétend que ce n’est pas une émeraude, mais moi je pense que si. Je veux des boucles d’oreilles qui brillent. Je veux épouser un homme riche, ou alors gagner plein d’argent toute seule pour m’offrir tout ce que je veux, quand je le veux.

Pour commencer, je raconte un mensonge convaincant à la mère qui fait les trajets en voiture cet après-midi. Le magasin de sous-vêtements est à côté d’une animalerie, alors je vais dire à Mme Finkelstein que le poisson de mon frère a besoin de nourriture pour qu’elle me dépose là.