Afterland est un livre assez étrange. Lauren Beukes fait le choix de danser sur plusieurs pieds, au risque de perdre complètement l’équilibre.
Un choix qui au final lui permet de rester campé au sol, même si le résultat est alternativement brillant et un peu boiteux.
Au moins, l’autrice marque sa singularité, avec ce mélange qui fait autant penser à La route de Cormac MacCarthy qu’aux prémices d’une Servante écarlate inversée.
Bienvenue dans le monde de demain (qui débute en 2022), où un virus a décimé 99,99 % des mâles de la planète, en un temps record et dans d’atroces souffrances. La COVID est une plaisanterie par rapport à cette pandémie-là, qui déclenche de foudroyants cancers de la prostate.
On suit le sort de trois personnages principaux, Cole la mère, Miles son fils de 12 ans qui fait partie des 0,01 % rescapés. Et Billie la bizarre sœur de Cole qui n’a qu’une idée, attraper le gamin qui est une mine d’or sur pattes, source de la plus rare des substances : son sperme.
Le roman est à la fois un road trip tendu et le récit de la relation mère-fils qui est mise à rude épreuve. Il faut dire que Miles doit se cacher sous les traits d’une fille pour passer inaperçu, nom de code Mila.
Pas facile pour un jeune ado de gérer ce changement d’identité sexuelle, quand on est soi-même en pleine construction. C’est un des vrais intérêts du récit.
Ce monde après l’apocalypse, dû à la mort de la moitié de l’humanité, tient pourtant encore étonnement debout. L’écrivaine a fait le choix, original, de ne pas décrire un environnement totalement effondré. La crise économique est forte, mais la société américaine tient sur des bases vacillantes. Et le passage vers une société matriarcale est loin d’être idyllique.
Lauren Beukes est sud-africaine, et a eu la bonne idée de construire des personnages principaux qui ont la même origine, déracinés et perdus dans l’immensité américaine, avec comme seule envie de retourner chez soi. La vision d’une étrangère aux USA, avec un fils métis, permet de lancer quelques saillies bien senties envers certaines mentalités de ce pays.
Malgré le fait qu’il fasse 500 pages, l’autrice passe assez peu de temps sur le contexte. Alors que les chamboulements ont des effets sur les moindres actes de la vie courante, tout comme au long des différentes barres de l’échelle sociétale. Elle reste à la surface des choses. C’est dommage, à mon sens.
Et pourtant, le récit est paradoxalement rempli d’une foultitude de très bonnes idées.
L’autrice a préféré axer son récit sur la traque, le thriller, et sur la relation familiale troublée. Sur la mère courage, sur les petites histoires de rencontres aussi.
Les points de vue alternatifs permettent de garder un certain rythme, même si l’écrivaine a une manière bien à elle de raconter une histoire.
C’est son style qui frappe souvent, assez singulier, à la fois acide, provocateur et ironique. Avec un sens de l’humour bien à part.
Je ressors mitigé de cette lecture, déçu de ne pas avoir vécu une plus grande immersion dans ce monde retourné. Déstabilisé parfois aussi par le style. Mais Afterland a de vraies qualités, et les choix forts de Lauren Beukes en font une lecture qui ne peut laisser indifférent.
A noter la sublime couverture d’Aurélien Police (une fois de plus).
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