Reportage France 3 sur la sortie de May
Il est important de savoir nommer les êtres et les choses. Henri m’a appris à regarder la nature, et quand on sait regarder la nature, on sait voir les hommes. Henri m’a appris à voir le monde dans un soupir, les livres m’ont enseigné les hommes dans le fracas du verbe.
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Je me demande toujours, quand on perd un proche, quelle est la part de l’auto-apitoiement dans notre peine. Pleurons-nous sa disparition, ou la nôtre à venir, dont l’inéluctabilité devient palpable ?
la bière lui ayant réchauffé le cœur et l’esprit, et apporté ce subtil engourdissement désinhibant, il observait son monde, un léger sourire aux lèvres, avec la satisfaction qu’apporte le sentiment de supériorité assumée de l’homme de science au cœur du petit peuple, tel l’entomologiste observant le papillon qu’il pourra bientôt clouer sur une planche.
Ma prison était dorée, et je m’en évadais de deux manières : par les livres que je dévorais, et par la nature que j’apprenais à apprivoiser.
Puis je t’ai rencontrée. Tu as fait irruption dans ma vie telle une tornade de lumière et d’air pur. Je passais mon existence dans l’obscurité d’un théâtre, et à chacune de tes visites, tu venais, dans un grand éclat de rire, lever un coin du rideau de scène pour me permettre d’entrevoir le décor illuminé du spectacle de la vie, une vie qu’il m’était interdit de vivre.
Elle était incapable de déterminer si cet ultimatum la brisait ou lui ôtait un poids, de trancher entre l’envie folle de signer des deux mains la rupture conventionnelle, et le besoin de laver cette humiliation en leur prouvant de quoi elle était capable. Entre la passion et la raison. Entre son désir et son amour propre.
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L’amour est une aventure. Construire une vie à deux , déployer des trésors de dévouement, d’abnégation, de générosité pour bâtir un édifice commun, est une formidable aventure.
J’inspirai profondément l’air humide, chargé des senteurs épaisses des betteraves entassées au bord des champs, de la terre fraîchement libérée du maïs. Cet air de chez nous, puissant et vivifiant, chargé d’humidité, décrié par tant, mais que j’aimais par-dessus tout : le vent du nord charriant une pluie fine qui vous cingle le visage, et vous transperce, portant sur lui la puissance et la vitalité de la mer si proche, modelant les paysages vallonnés, camaïeu de parcelles multicolores, de bois et de prés qu’entrecoupent des haies vives, nimbés de lumières changeantes, obliques, sous des ciels majestueux dont les volumes varient sans cesse. J’aimais ce pays et son climat rugueux qui sculpte les caractères et les visages.
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Mes parents étaient des oiseaux migrateurs, toujours en mouvement. Ils possédaient un pied-à-terre parisien, que je dus revendre lors de la succession, pour éponger une partie de leurs dettes. Ils avaient autant de dettes que d’amis, autant d’amis que de résidences provisoires, dans autant de villes, éparpillées aux quatre coins de l’Europe et du monde.
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Ils vivaient entre eux depuis longtemps, là-haut, près du mont Dauphin. Pas étonnant qu’ils soient aussi tarés, qu’on disait. C’était pas faux. Pour la peau bleue, j’entends. Quand je vous dis bleu, je ne vous parle pas d’une teinte légère, de celles qu’on a quand les gelées vous pincent les doigts, non. Bleu comme l’azur qu’ils étaient. (pages 15-16)