L’histoire de l’Enfant prodigue est une parabole si lumineuse de son éternelle Anxiété béatifique dans le fond des cieux, qu’elle en est devenue banale et que nul n’y comprend plus rien.
Allez donc dire aux catholiques modernes que le Père dont il est parlé dans le récit de saint Luc, lequel partage la Substance entre ses deux fils, est Jéhovah lui-même, s’il est permis de le nommer par son Nom terrible ; que le fils aîné demeuré sage, et qui « est toujours avec lui », symbolise, à n’en pas douter, son Verbe Jésus, patient et fidèle ; enfin que le fils plus jeune, celui qui a voyagé dans une « région lointaine où il dévora sa substance avec des prostituées », jusqu’au point d’être réduit à garder les porcs et à « désirer d’emplir son ventre des siliques mangées par ces animaux », signifie, très-assurément, l’Amour Créateur dont le souffle est vagabond et dont la fonction divine paraît être, en vérité, depuis six mille ans, de nourrir les cochons chrétiens après avoir pâturé les pourceaux de la Synagogue !
Ajoutez, si cela vous amuse, que le Veau gras « qu’on tue, qu’on mange et dont on se régale », pour fêter la résipiscence du libertin, est encore ce même Christ Jésus dont l’immolation chez les « mercenaires » est inséparable toujours de l’idée d’affranchissement et de pardon.
Essayez un peu de faire pénétrer ces similitudes grandioses, familières tout au plus à quelques lépreux, dans la pulpe onctueuse et cataplasmatique de nos dévots accoutumés dès l’enfance à ne voir dans l’Évangile qu’un édifiant traité de morale, — et vous entendrez de jolies clameurs ! (pp. 99-101)
Si j’avais le malheur de devenir riche, monsieur le millionnaire, je n’aurais rien de plus pressé que de redevenir pauvre pour avoir le droit de boire du bon vin et de manger de délicieuses volailles. Les choses fines sont pour les pauvres, exclusivement, et les riches n’ont droit qu’aux ordures et aux tortures. Vous le comprendrez plus tard, je veux l’espérer. Maintenant, j’ai dit. Prenez votre chapeau et foutez le camp !
La richesse a une telle puissance pour avilir et idiotifier que le plus étonnant miracle serait que de telles paroles ne fussent pas tout à fait perdues. On peut se représenter l’âme du riche sous des étages de ténèbres, dans un gouffre comparable au fond des mers les plus profondes. C’est la nuit absolue, le silence inimaginable, infini, l’habitacle des monstres du silence. Tous les tonnerres et tous les canons peuvent éclater ou gronder à la surface. L’âme accroupie dans cet abîme n’en sait rien. Même dans les lieux souterrains les plus obscurs, on peut supposer qu’il y a des fils pâles de lumière venus on ne suit d’où et flottant dans l’air, comme, en été, les fils de la Vierge dans la campagne. Les catacombes, elles aussi, ne sont pas infiniment silencieuses. Il y a, pour l’oreille attentive, quelque chose qui pourrait être les très-lointaines pulsations du cœur de la terre. Mais l’Océan ne pardonne pas. Lumière, bruit, mouvement, vibrations imperceptibles, il engloutit tout et à jamais. (pp. 164-165)
Si le Mieux est l’ennemi du Bien, il faut nécessairement que le Bien soit l’ennemi du Mieux, car les abstraits philosophiques ne connaissent pas plus le pardon que l’humilité.