Ma Mongolie imaginaire était ravagée par le vice et par un grand orage venu d’ailleurs qui dévastait son fondement, sa raison d’être, son souffle vital. Les paysages magnifiques qui m’avaient éblouie n’étaient en fait que champ d’ordures où les cannettes de Coca affrontaient celles de bière, et où les sacs plastiques poursuivaient les bouteilles de vodka dans d’incessants ballets. Les papiers de bonbons étaient les étoiles du ciel mongol, les relents d’alcool en tout genre le vent de la steppe, et une parabole toute neuve remplaçait le soleil.
Le soir est magnifique, le vent berce les herbes de la steppe, et chaque chose, les collines, la vallée, le ciel, les montagnes au loin, tout ce qui nous entoure, les nomades de ce campement et moi, tout est embrassé par un silence, une tranquillité, une paix d’une valeur inestimable.
Ici, on est loin du bruit du monde, des routes, des villes et des foules. Il n’y a que le silence profond de l’herbe qui dort, des étoiles dans le ciel froid, du vent qui caresse le poil des bêtes et les cheveux des femmes qui sortent traire. Et on entend un hennissement qui s’évade de l’obscurité, des bêlements, la respiration d’un chien qui dort et son sursaut quand il rêve de marmottes, d’un paradis de marmottes qui se faufilent entre les herbes de la steppe.
La steppe s'étendant dans toute sa beauté, si blanche et si pure, paraissait infinie. Plus rien n'existait d'autre que cette steppe magnifique et que cet univers mongol, harmonieux, poétique. Je ne me rappelais qu'avec difficulté le monde européen que j'avais laissé. J'avais beau imaginer comment les choses pouvaient se dérouler chez moi, ce que pouvait faire ma mère à cette heure-ci, mon père, ma soeur, mais c'était impossible. C'était trop loin et trop différent.
Sont-ils des "conservateurs" attardés, ces éleveurs nomdes qui refusent l'éventualité d'une fixation au sol et mettent en avant la pureté de leur environnement : chez eux, disent-ils, l'air est pur et sain, les produits qu'ils fabriquent sont écologiques et l'entraide qu'ils maintiennent entre unités de nomadisation permet une bonne cohésion sociale. Des arguments qui, on le voit, vont dans le sens du modernisme occidental le plus pointu.