Citations de Louisa Young (15)
De temps à autre, un an et demi après avoir quitté en trébuchant le champ de bataille, il était déboussolé par le silence, comme les jambes du marin sont déboussolées par la terre ferme.
Purefoy, Locke et leurs compagnons se jetèrent à plat ventre dans la boue accueillante de leur tranchée, ce havre empoisonné profond de deux mètres qui leur était si familier, puis, accroupis derrière le parapet, partagèrent le curieux sentiment de sécurité que donne le fait de savoir que le pire est déjà en train d'arriver.
Bienheureuses filles, avec leur chagrin sans complication. La mort toute simple, la mort pure, et la photo d'un héros à pleurer et à honorer avec fierté. Parce que l'objectif de tout ça, c'était bien la mort, non ? Les bombes, les obus, les tireurs, les torpilles aériennes, les torpilles sous-marines, le déluge de feu, les mortiers de tranchées, l’artillerie, les baïonnettes, les grenades, le gaz au chlore, le gaz moutarde, les chars, les avions larguant leurs bombes dans le ciel, le creusement de tunnels, l'enfouissement des hommes... une liste infinie... oui, infinie... toutes les choses que l'on inventait, que l'on continuait à inventer ! Que les hommes inventaient et que les femmes fabriquaient - toutes ces choses servent à tuer. Et si elles ne vous tuent pas, elles vous infligent des blessures, et vous êtes rabiboché - pas moi ! - et on vous envoie là-bas jusqu'à ce que vous soyez tués.
La nuit avait été tiède. Comme un parfum d'été. Plutôt calme.
Le fracas assourdissant des explosions fut si soudain, crevant l'épaisseur de l'air et de la terre, qu'il secoua tous les crânes ébranlés et les cervelles ébahies, chassant toute pensée résiduelle. Il fit vibrer les tympans et tressaillir les foies ; il s'insinua sous la peau, envoyant le sang remonter en vague dans les veines et les artères, transperçant les minuscules canaux de la moelle spongieuse. Il empoigna les cœurs, brisa les dents, se réverbérant le long des synapses et dans les espaces intercellulaires. Les hommes furent absorbés par le bruit, s'y noyèrent, furent démembrés par lui, saturés. Ils faisaient partie de lui. Il faisait partie d'eux.
Ils en avaient l'habitude.
Rose y repensa un peu plus tard. A Gillies, à tous les autres chirurgiens, et à Morestin, et à Valadier, dans les premières années de la guerre, opérant dans une Rolls-Royce derrière les lignes françaises, prenant en otage sur son fauteuil de dentiste d'importants généraux jusqu'à ce qu'ils autorisent ses projets et ses réquisitions pour le traitement des blessures faciales. Rose comprenait qu'il était... heureux, disons plutôt opportun que ces hommes courageux, novateurs, coïncident avec un approvisionnement illimité de patients qui n'avaient d'autre choix, et qu'ils puissent ainsi continuer à avancer avec eux, pour faire progresser ce nouvel art.
Il commençait à comprendre qu'il ne savait pas de quoi il avait l'air pour les autres. Les gens disaient que son chirurgien, le major Gillies, avait fait du beau travail, et le major lui-même estimait que la cicatrice était parfaite. Riley avait choisi de croire que c'était vrai. Penser le contraire n'aurait servi à rien. Mais... Il avait appris à être patient, à laisser ceux qui le voyaient réagir à leur guise et, en cas de besoin, les aider à surmonter le choc et l'incrédulité en leur faisant comprendre qu'il acceptait son sort. Malgré le fait qu'il avait encore du mal à parler clairement.
"Il savait pertinemment que rien de pire, d'aussi intéressant, d'aussi terrible que la guerre ne pourrait jamais plus lui arriver. A vrai dire, rien ne lui arriverait plus jamais. Désormais, toute son existence serait consacrée à essayer de surmonter cette foutue guerre."
" Et ce petit moment pendant lequel nous sommes là pour voir tout cela, comme si on en était distinct, avant d'en faire de nouveau partie, os et terreau, air et brins d'herbe."
Rose trouvait que Julia était affreusement complexée, du genre de ceux qui n'accomplissent jamais rien. Si elle consacrait la moitié de l'énergie qu'elle consacre à elle-même ou à la maison à se rendre utile, on n'imagine pas ce qu'elle pourrait faire ! Un de ces jours, elle disparaîtra purement et simplement dans un nuage d’eau de lavande... Mais Rose était un peu injuste. Étant donné que Julia avait été élevée et éduquée à être une ravissante épouse, et rien d'autre, elle ne se débrouillait pas trop mal.
"Certains gardent le silence, et c'est comme une blessure non nettoyé, un abcès non percé."
"J'ai toujours pensé que l'on devait agir à sa guise, à condition de ne faire souffrir personne."
"Le temps file, et ils souffrent tous. Il y a eu tant de silence, et il est si difficile de dire si c'est le silence du repos, de la paix et de la réflexion, ou celui de la peur et de la solitude, du vide et des faux-semblants... Est-ce qu'ils sont en train de mourir, là, derrière leurs portes fermées? Ou bien est-ce qu'ils essayent de s'y faire à leur manière, en prenant le temps qu'il faut?"
Ce n'est pas ta faute. Tu n'as pas inventé le mariage, ni les rôles traditionnels attribuées aux femmes ; ce n'est pas toi qui as commencé cette guerre ; tu n'as pas choisi d'être appréciées seulement pour ta beauté, et préparée à une chose aussi futile qu'en faire étalage
Le jeune homme qui avait été à la pointe du système de destruction était à présent l'épicentre d'une industrie de reconstruction. Celui qui devait détruire était devenu celui qu'on devait réparer
La France, pour Riley, c'était les tournesols dorés peints par Van Gogh à Arles, les ciels lumineux, la ligne des arbres, les couleurs de Matisse, la mer, les filles de Renoir dans les cafés, les impressionnants héros à demi nus de David, les jeunes filles de Fragonard avec leurs jupons volants, les grandes dames d'Ingres avec leur peau blanche, les cheveux noirs et leurs doigts liquides...