Lynne Matson

J'ai prié pour réussir.
Et pour qu'elle réussisse.
Et pour qu'elle parvienne à vivre heureux de l'autre côté. Mais les contes de fées étaient bons pour les petites filles, pas pour les garçons de dix-sept ans qui s'autorisaient un peu d'espoir. Nil n'était pas une fée, c'était certain. Pourtant, j'espérais. Parce qu'il le fallait.

Commence par réfléchir, tu paniqueras plus tard.

Parce que la chance, ça n'existe pas sur Nil.

En espérant voir midi à sa porte, ou notre porte à midi.

"Regarde autour de toi. Observe les gens. Cherche les indices. Et surveille tes arrières. N'oublie jamais que tu es un étranger. Ne considère jamais ta sécurité comme acquise. L'inattention, c'est synonyme d'occasions ratées. Mais le pire, c'est que ça te met en danger. Compris, mon fils ?

- Bien sûr, papa", j'avais dit.

Savait-il, à l'époque, que mes paroles n'étaient que du vent ?

Le jour suivant, je suis allé à Freedom Beach pour prendre des photos. Je matais des filles sur la plage, je faisais plus attention à leurs fesses qu'aux miennes. Une porte m'a attrapé par-derrière, je ne l'ai même pas vue venir.

C'est bon, j'ai compris maintenant, papa.

Sur Nil, un instant d'inattention pouvait tuer.

- Oui, je pense. Si tu ne penses pas, tu ne fais que vivre une série de mouvements sans aucun sens. C'est le pourquoi qui te pousse en avant, te pousse à croître. Sans un pourquoi, ta journée est vide.

Et quand le masque tombe, le glamour disparaît. Voila, c'est ça, l'île de Nil. Une beauté a ne pas en croire ses yeux, jusqu'à ce qu'on voie à travers ce qu'elle est vraiment.

Cette nuit-là, il m'a fallu un temps fou pour m'endormir. J'étais allongé là, je pensais à Kevin, à Nathalie. Mais surtout à Nil.

Nil, c'est cette fille qu'on repère au chalet après une journée entière de délire sur la neige, quand on plane de bonheur. Elle est jolie, super sexy. Cheveux longs, tenue moulante, un sourire d'enfer. Elle a un nom du genre... Mallory.

Mais dès qu'on apprend à la connaître, la vérité vient nous déchirer les boyaux. La vérité, c'est qu'elle est cruelle. Sans coeur. Le genre de fille qui couche avec notre meilleur ami quand on a le dos tourné. Et quand le masque tombe, le glamour disparaît. Voilà, c'est ça, l'île de Nil. Une beauté à ne pas en croire ses yeux, jusqu'à ce qu'on voie à travers ce qu'elle est vraiment.

Ce n'était pas la première fois que je me demandais ce qu'elle avait en réserve pour moi.

La chance pouvait tourner, car comme disait ma mamie, la chance, c'est un état d'esprit.

La chance, c'est quelque chose de personnel. On a tous la nôtre, même si elle revêt parfois l'apparence de la malchance. Ca fait partie de nous et ça nous suit où qu'on aille. Même sur Nil. La chance pouvait tourner, car comme le disait ma mamie, la chance, c'est un état d'esprit.

Il n'y a pas de moment parfait, surtout pas ici, où chaque instant peut être le dernier.

Il n'y avait pas d'adultes. Seuls des adolescents recevaient le carton d'invitation pour cette boum, personne au dessus de dix-neuf ans. Nil de niveau primaire. On était un cran au-dessus de la bande de sa majesté des mouches.

Une promesse ne signifie rien, j'ai pensé. C'est l'affirmation d'une envie présente, pas d'une réalité future.

J’étais sur Nil, là où on comptait les jours à rebours, là où on vivait comme des morts en sursis.

Mais si le passé était révolu, il continuait d'influencer le présent.

Skye a pressé ma main. Debout sur la pointe des pieds, elle m'a chuchoté à l'oreille :
- Comment par réfléchir, tu paniqueras plus tard. Je te dirai quand il sera temps de paniquer.
- D'accord.
Je lui ai retourné son sourire. Elle était une force de la nature, une force de Nil. Une fille courageuse, intelligente, qui avait presque détruit une île entière en trois mois, et la voilà qui était décidée à recommencer. Elle se sous-estimait. Mais moi, je ne la sous-estimais pas.

Chaque midi était la promesse de sang neuf, de fierté et de pouvoir. L'appétit de l'île était devenu insatiable. Autrefois, elle avait goûté à l'incroyable puissance de la vie et de la mort à grande échelle, elle en voulait encore. Elle en avait besoin, désespérément besoin.
Et elle l'aurait bientôt.
Le trophée d'aujourd'hui serait le pouvoir de demain.

- J'ai bien entendu ? Li est là depuis trois cent cinquante-quatre jours ?
- Oui, a soupiré Natalie. C'est atroce, hein ?
- Carrément. Est-ce qu'il y a quelqu'un qui est là depuis plus longtemps qu'elle ? Est-ce qu'il y a une sorte de Robinson de cinquante ans dans le coin, toujours à la recherche d'une porte ?

Quand on avait quitté Nil dix semaines auparavant, j'imaginais qu'on avait gagné. À présent, je n'en étais plus sûr.

Nos choix définissent et façonnent notre vie, et ont un impact sur celle des autres.