Marc ALYN La Nuit du Labyrinthe : poème dramatique (France Culture, 1971)
Une représentation radiophonique du poème de Marc Alyn, réalisée par Jean-Pierre Colas, diffusée dans l'émission "Les dossiers de la poésie", le 13 novembre 1971, sur France Culture.
Girafe... (pour babounette:)))
Quand je serai grand, je serai girafe
Pour être bien vu par les géographes.
Pas éléphant blanc, c’est trop salissant,
Ni serpent python, ni caméléon.
La girafe est belle, elle est une échelle
Entre sol et ciel, l’herbe et le soleil !
Mammouth, c’est trop tard, et marsouin trop loin,
Le chameau a soif, le saurien a faim.
Tandis que girafe, on a de ces pattes !
Un cou bien plus haut que le télégraphe !
Le kangourou boxe, il reçoit des coups,
Il a une poche, mais jamais de sous.
Non , décidément, quand je serai grand,
Je serai girafe et vivrai cent ans.
Alors sa maman lui dit tendrement :
C’est trop d’ambition, mon petit gardon !
Buvez toujours au plus près de la source, là où la rivière est jeune.
Il est un mot qui est le coeur
De tous les autres : c'est aimer !
Respire-le comme une fleur
Ecoute-le battre et vibrer .
Aimer, vois-tu, ce n'est pas prendre
Mais d'un vaste élan se donner,
C'est se taire pour mieux entendre
Ce que l'autre dit sans parler.
Aime l'ami, aime l'aimée,
Aime l'arbre, l'air et la bête,
Aime la vie, âme comblée:
C'est l'amour qui meut les planètes!
Quand le poète dort, ses poèmes le veillent
Allongés contre lui, chiens couleur de soleil.
Quand le poète dort, ses poèmes s’envolent
Pour aller se nicher dans les livres d’école.
Quand le poète dort, des larmes à ses cils,
La poésie lui tisse une joie, fil à fil.
Quand le poète dort, ses poèmes travaillent
Comme en l’ombre le vin, sous terre les semailles.
Quand le poète dort, ses poèmes apprennent
A vivre seuls, sans lui, que les rêves entraînent.
Quand le poète dort, ses poèmes frémissent
En songeant aux périls qu’il court dans les abysses.
Quand le poète dort, ses poèmes l’écrivent
Pour lui rendre, au réveil, son chant comme une eau vive.
L'enfant de lune
La lune en maraude au cœur des vergers
Grimpait aux pommiers en jupon d'argent ;
Surgirent des chiens rauques, déchaînés :
La lune s'enfuit, laissant un enfant.
Il vint avec nous en classe au village,
Tout à fait semblable aux autres garçons
Sauf cette clarté nimbant son visage
Sous le feu de joie de ses cheveux blonds.
Il aimait la pluie, les sources, les marbres,
Tout ce qui ruisselle et ce qui reluit ;
Le soir il veillait très tard sous les arbres
Regardant tomber lentement la nuit.
La lune en maraude au cœur des vergers
Vint chercher l'enfant un soir gris d'automne
Vite, il s'envola. J'entends à jamais
Le bruit de son aile amie qui frissonne.
Dans la rue qui n'existe plus
Dans la rue qui n'existe plus
Où s'est écoulée mon enfance,
J'avance vers des inconnus
Invisibles qui me devancent.
J'appelle mes amis perdus,
Je les hèle par leurs noms tendres,
Mais nul ne se retourne plus :
Ils rentrent chez eux sans m'entendre.
Où sont nos rires ingénus,
Nos jeux de bruit et de silence,
Tous les livres que l'on a lus
Et qui, en nous, vivent et pensent ?
Depuis longtemps il ne pleut plus
Comme il pleuvait dans ma jeunesse,
Et c'est en moi, à cœur perdu,
Passé, que pleurent tes averses !
Pourtant, je ne sais quelle errance
Me pousse à remettre, têtu,
Mes pas en ceux de mon enfance
Dans la rue qui n'existe plus.
Il pousse au fond de moi mille rameaux secrets,
Mon âme de plein vent frissonne de feuillages,
J'ai le coeur foisonnant de fleurs, de fruits sauvages,
Et mon sang a le bruissement de la forêt.
Aimer
Il est un mot qui est le cœur
De tous les autres : c’est aimer !
Respire-le comme une fleur
Écoute-le battre et vibrer.
Aimer, vois-tu, ce n’est pas prendre
Mais d’un vaste élan se donner,
C’est se taire pour mieux entendre
Ce que l’autre dit sans parler.
Aime l’ami, aime l’aimée,
Aime l’arbre, l’air et la bête,
Aime la vie, âme comblée :
C’est l’amour qui meut les planètes !
L'enfant poète
Le temps enfant s'arrête de courir
pour marauder un fruit
le coeur flambé, au bras de la Folie,
tandis que luit
fraîche comme un gardon-la poésie.
Abondance de seuils et de feuilles!
Chacun a son âge plus neuf mois
au fond de la pénombre lumineuse
où nagent les images.
" je pomme dans les tombes"
jubile l'enfant ébloui.
Plus tard il saura se cacher
en compagnie de chats alchimistes
dans des cartons de livres oubliés
jusqu'à ce que la pluie ranime
les défuntes photographies.
(" Le printemps des poètes")
Faits et gestes de l'habitante
Avoir été
un élément du paysage,
ici, sous ce ciel,
à telle heure en été.
Avoir vu trembler
un instant cette branche
en l’air qui se rassemble
et s’abreuve de bleu.
Avoir été
l’esprit, le centre
de cet espace entre deux feux,
puis se couler dans le silence
pour une éternité sans yeux.