Marc Falvo

S’il existait une règle que la lecture de polars m’avait apprise, c’était ça : quand les emmerdes rendent visite dès le premier soir vous pouvez conclure deux choses. Que l’affaire est importante, que vous avez eu raison d’accepter. Et que ce sera tout sauf facile.
Voilà, vous en savez autant que moi. Je m’appelle Stan Kurtz. J’ai trente ans, trente-et-un bientôt. J’ai tout vu, tout entendu surtout les pires conneries. Et je suis détective privé.

– Vous allez toucher l’assurance ?
– Je vois très bien ce que vous insinuez…
– J’essaie juste de vous prouver mon intellect. Au fait, ça fait déjà dix minutes que je travaille. Cent euros par jour ouvrable, avec une semaine payable d’avance.
Je vis une pointe de surprise dans ses yeux.
– Jour… Ouvrable ?
– On va dire que je vous fais le dimanche à l’œil. Banco ?
– Vous acceptez les chèques ?
– Désolé mademoiselle, je préférerais du liquide.
Miss Boxer tendit une enveloppe bourrée de billets. Elle avait tout prévu.

– Je me suis renseignée sur vous, monsieur Kurtz…
– Appelez-moi Stan.
– Monsieur Kurtz, laissez-moi vous dire que je suis plutôt surprise… Presque déçue. Ce sont toujours les ex-flics qui
deviennent détectives privés. Pas les anciens standardistes.
Elle semblait sûre d’elle. Comme si elle était la première à me faire la remarque.
– Je suis trop jeune pour un ex-flic. Et ça fait un avantage sur mes concurrents, je réponds très bien au téléphone.

Le jour où Miss Boxer entra dans ma vie, j’étais au fond du sac. J’avais pas dormi depuis deux plombes, je sentais
l’ail et on venait encore de me couper le courant.
Plus les minutes passaient, plus je sentais que ma journée allait finir à peu près comme les autres. Frime, déprime et crime. Le genre de crépuscule à jeter bébé avec l’eau du bain.
– Entrez… Poussez fort.
J’entendis la porte de mon bureau s’ouvrir. Des talons claquer sur le plancher.
Elle était là.

La chance, comme les petites roues de vélo, c'est pour les amateurs et les minables.

Stan Kurtz était et resterait jusqu'à sa mort un panier percé, mais à quoi bon se soucier de la taille du trou si on n'a de toute façon rien à mettre dedans ?

Je préférais toujours la compagnie des doux-dingues à celle des personnes "normales", aussi parce que trois fois sur quatre, ce qu'on appelait normalité paraissait encore plus flippant.

Nous fîmes de nouveau l'amour sur le canapé.
Sans trop se déshabiller non plus. Quelque chose de pas trop protocolaire, d'un peu débraillé. Plutôt bestial. Genre "Cours d'anatomie chez les hommes et femmes des cavernes".

Combien de fois pouvait-on naïvement se laisser trahir par une femme ? Se laisser berner, je veux dire, avant de douter une bonne fois pour toutes de notre propre santé mentale ?

T'es le roi du monde, sans le gros bateau, la grosse pouffe derrière et la voix de Céline Dion mais tu te sens quand même seul maître à bord.

Horoscope du 19 février / Balance :
Il y a des jours où rien ne roule comme on le voudrait. Justement, c'est aujourd'hui. Essayez en toute connaissance de cause de vous y préparer.

Les gens changent, et parfois c'est ridicule.

Un illuminé qui se la pète en arborant une posture martiale et une sordide tronche de cake, use de la même aura et du même culte de la personnalité que celui ou celle qu'il dénonce.

Un visage tacheté, une paire de culs de bouteille, un râtelier tout sauf d’origine et des moustaches grises en forme de ramasse-miettes.

Ma vie ressemblait à une chanson blues.
Ça commençait par "Je me suis levé ce matin et j'ai vu les emmerdes se liguer contre moi, mais j'ai ma guitare alors je chante pour oublier"... Sauf que moi je n'avais pas de guitare.

Alcmène se retrouve vite enceinte de Zeus puis donne naissance à un bébé qui deviendra plutôt célèbre. Hercule. Ouais, ouais... le balèze et ses douze travaux, alors vous imaginez bien ce que l'Histoire aura finalement retenu. Tout ça pour dire qu'Amphitryon, pauvre gars, c'est un peu le loser poissard de la mythologie grecque.

– Quelqu’un m’a chargé d’enquêter sur la mort d’un de vos amis, et…
– Je sais rien sur la mort de Valentin.
Je la regardai, surpris.
– Comment avez-vous deviné qu’il s’agissait de Valentin Boxer ?
– C’est le seul de mes amis à être mort récemment... Même si, à part moi, je vois pas bien qui voudrait en savoir plus sur ce qui lui est arrivé.

Et je devais pas oublier l’enquête. Là aussi, noir total, flou artistique. Même en rassemblant chaque indice en ma possession j’avais que dalle, à part un carton qui demandait de lâcher l’affaire, un numéro ne menant nulle part et trois ou quatre cents côtes cassées.

Super, Kurtz. Ça fait deux minutes que tu bosses et t’es déjà dans une impasse. Toi, le Philip Marlowe du nouveau millénaire. L’Infra-Détective. Je rangeai le vinyle. Il était toujours temps de chier, bouffer et réfléchir à ma condition.

– Voici l’adresse du dernier cabaret où mon mari s’est produit.
– Il était dans le spectacle ?
– La chanson.
– C’était un bon chanteur ?
– Pourquoi demandez-vous cela ?
– Je teste chaque piste… Si on ne peut reprocher à un chanteur minable de persévérer, on ne peut pas non plus
reprocher à certains de vouloir lui tordre le cou.
– Valentin ne chantait pas assez mal pour mériter la mort.