Rafale de
Marc Falvo
Tu dînes tôt, devant la télé.
Plus de Léonard Cohen. Plus de musique. Tu ressens le besoin de te replonger dans l’affaire qui t’intéresse. T’as toujours été comme ça. Incapable de te poser trop longtemps si quelque chose ou quelqu’un occupe tes pensées. Inapte au repos. Tu as l’obsession facile.
Tes tagliatelles maison à la sauce tomate sont succulentes.
En toute franchise.
Elles feraient fondre n’importe quelles papilles, sauf les tiennes. Difficile de s’extasier sur de la nourriture lorsqu’on mange seul face à un écran plat diffusant des mystères. T’as l’occasion de revoir le reportage sur la chaîne d’infos en continu. Tu te demandes l’intérêt de diffuser autant de fois les mêmes images en si peu de temps, assorties de commentaires identiques. Si c’est le téléspectateur qu’on prend pour un crétin ou si l’homme est réellement devenu, au fil des ans, un foutu poisson rouge. Si ce gavage médiatique ne l’entretient pas dans une sorte de confort. Lui donnant l’impression – factice, si on y réfléchit plus de trente secondes – de contrôler la marche inexorable du monde et le cours des événements.
Alexandre Vitali, fils du sénateur Charles Vitali, a disparu depuis quasi quarante-huit heures maintenant. Aucun indice, trace de lutte ou demande de rançon, ne laisse à penser qu’il s’agit d’un enlèvement, pourtant aucune piste n’est à exclure. La police et l’avocat du père se planquent derrière leur devoir de réserve, manière élégante d’affirmer qu’ils ne savent rien.
L’interview de Manon tourne en boucle.
Tu observes, le cœur serré, les larmes de ta fille. Ses yeux rougis. Tu lui trouves une certaine ressemblance avec Laura, une Laura dix ans plus jeune… Toutes deux ont les mêmes cheveux bruns courts. La même froideur apparente. Tu chasses vite cette pensée pour te concentrer sur l’affaire. Cette idée qui a germé en toi.
Aux dernières nouvelles, ta fille unique se lançait dans des études d’avocate. Tu ignores si elle les a réussies, comme tu ignores en combien d’années un diplôme d’avocat peut s’obtenir. Ça fait environ trois ans que vous ne vous êtes pas vus. Retrouver Manon dans ces circonstances te paraît absurde. Autant que d’avoir perdu contact. Même si tu n’as pas été l’unique artisan de cette cassure. À l’époque, suite au divorce houleux avec sa mère, tu as juste senti qu’entre vous le courant ne passait plus. Que tu devenais indésirable. Alors toi-même, prétextant en sus le caractère illégal et dangereux de ton job, tu t’es éloigné d’elle. Pour son bien.
Il faudrait la rappeler, elle aussi.
L’interroger.
Mais pourquoi, au fond, désires-tu autant savoir ?
Tu préfères suivre ton instinct. Ne pas t’appesantir. Tes tripes te commandent de fouiner du côté de cette disparition – banale, en vérité – alors tu exécutes leurs ordres. Ça t’a souvent réussi. Te fier à tes tripes, à ton flair.
Tu te sers un autre verre de rouge quand ton portable sonne.
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