Marc Lasnier

Il passait mentalement en revue les expériences féminines de sa vie : un mariage qui n’avait duré que le temps de mettre en route un enfant, puis de signer un gros chèque. Quelques aventures sans lendemain, puis une relation de quatorze ans pendant la moitié desquelles, au chevet de sa compagne, il avait navigué entre services de psychiatrie et consultations d’addictologie. Et pour couronner le tout, coup de foudre insensé pour une Marocaine en situation irrégulière, rapidement expulsée, sans espoir de retour. Feu de brousse au milieu du désastre, dévastateur et surtout sans suite.

Si en Europe certains affirmaient que le délit de faciès motivait une grande partie du zèle de la police, en Asie, le « délit de comportement » pouvait se révéler bien plus dangereux : couper la file pour gagner une place, fixer le regard du fonctionnaire, montrer de petits signes d’impatience, ou encore, manifester sa mauvaise humeur conduisait souvent aux pires tracasseries…

Sa vie affective avait constitué durant toute son existence en une alternance de solitude et de mauvais choix, mais elle n’avait jamais perdu l’envie de plaire. Pas de séduire. Juste de percevoir le regard des autres vous envelopper quelques instants, sans engendrer de contact physique.

« Bien trop de femmes, dans bien trop de pays, parlent la même langue : le silence. »
Anasua Sengupta

Une seule cible, un seul tir, une seule victime, selon le tristement célèbre « one shoot, one kill » dont sont censés rêver tous les tireurs d’élite. Une réalité plus pragmatique les motivait : mieux valait toujours privilégier la mobilité pour ne jamais se faire prendre.

Pas d'accord car je suis là maman de l'enfant de Marc et je pense pas avoir eu un enfant par hasard

Ce corps de rêve rendait Lek admiratif, mais il avait depuis des lustres perdu toute réaction physiologique à la nudité féminine : c’était un effet secondaire de la chimie qu’il absorbait tous les jours…
Malgré cela, cette phase d’observation lui procurait un sentiment de puissance intense et il la savourait avec délice. Il décida immédiatement qu’il laisserait passer les deux jours dédiés à Bouddha avant d’agir. Le hasard d’un accident lui avait permis de gagner du temps pour retrouver sa future victime, et évité de se faire repérer en posant des questions. Il allait pour une fois profiter du plaisir qu’il ressentait à contempler sans être vu, comme autrefois quand il se tenait en planque dans les herbes le long de la rivière Kwaï…

Il savait pourtant que les scientifiques avaient apporté un soin tout particulier à développer et à amplifier la dépendance, sans tenter d’éliminer les matières qui présentaient des effets destructeurs sur l’organisme. Et le mélange avec un dérivé de cocaïne n’arrangeait pas les choses… Les essais sur des rats de laboratoire avaient abouti à un carnage : les animaux se mutilaient eux-mêmes ou s’entredévoraient. Un an après le lancement du produit, la police dénombrait plus de trois-mille overdoses dans le pays. Les consommateurs s’étaient littéralement vidés sur eux-mêmes jusqu’à la déshydratation. Pour certains, l’aventure s’était terminée à la morgue, après hémorragie intestinale massive…

Comme partout ailleurs dans le pays, il valait mieux éviter les mouvements d’humeur, et, plus encore, les gestes obscènes en cas de faute de conduite. Autant le flegme thaï donnait des airs de patience infinie, autant il pouvait se muer parfois en déchainements d’une violence inouïe lorsque le chauffeur injurié jugeait les bornes franchies. Le problème : personne ne savait précisément où se trouvait la limite…

Ne pas se précipiter. Prendre le temps de noter les allées et venues du personnel et du voisinage. Choisir l’instant propice pour passer à l’attaque.