Un aller retour dans le noir 2018 - 10 ans - par Marc Villard
-J'ai vu la Guigui, hier en ville. Drôlement mignonne pour son âge, s'extasie l'adjoint.
Ouais, mon con, mais c'est pas pour ta gueule.
-Elle a été élevé au lait de chèvre, c'est pour ça ...
Il rit. Heureuse nature.
Car au-delà des années et des lieux, c'est toujours le règne du livre-marchandise que vénèrent les marchands. Tiens, c'est pas mal dit, çà, je le caserai dans un prochain débat à la FNAC. Ils devraient adorer.
- Dis donc, Henri, le roi de la drague, c'est quoi ton idéal de femme ?
- Une petite chienne à qui je parlerais mal, à qui je pourrais mettre des baffes dans la gueule.
- On n'est jamais déçu avec toi. Et Lucien, l'homme des grands bois ?
- Euh... Moi, j'voudrais une femme qui me repasse mes chemises bien proprement.
- Ah oui, d'accord, dit Chloé. Une bonniche, quoi.
- Non, non, j'ai pas dit ça.
- Et toi, Le Tallec ? Insiste Tristane.
- Une apparition . Une femme diaphane qui lirait mes textes le soir à la veillée. Et toi, ton idéal masculin ?
- N'importe qui n'ayant rien à voir avec vous trois.
- Abrutie.
La vie à la campagne entretient les haines. On ne pense qu'à ça. À ça et au fric.
Un chat dévore une souris sous le chêne près du garage. La queue de la souris frétille, dépassant de la gueule du greffier. Ce genre d'image m'évoque régulièrement le geste Waffen SS et je me sens habité d'un sentiment résistant très fort. Modeste mais résistant. J'arrache la faucille au râtelier et fais sauter la tête du minet.
Maintenant je cherche un coin pour enterrer le nazi décapité. C'est bien moi, ça : toujours à me mêler du monde en marche.
Plusieurs collègues avec qui j'ai fait équipe cette année viennent me faire la bise et me taper dans le dos. Il faut que j'assure demain soir. Puis Dany et Babar m'entrainent vers la machine à café et on décide que si le 115 ne nous fait pas signe, nous partons en maraude vers la Cité Curial.
DIMANCHE 19
Le curé, Mimile, m'a coincé pour le sermon d'un prochain dimanche. Ça fait partie des servitudes de la résidence. Il me présentera aux fidèles et je prononcerai le sermon à sa place. Mimile me verrait bien parler de Dieu - c'est obligatoire, dit-il - mais pour le reste il envisage des mots forts sur la violence du monde et celle des quartiers défavorisés. Il faut pardonner, d'après lui. À part ça, il tient très bien le brouilly et le chablis, nous y reviendrons. Donc je relis la Bible et c'est génial : trente pages, dix morts. Ce livre est pour moi : j'adore ces mecs, les apôtres, tout ça.
- ... ma foi, je suis satisfait que Le Tallec investisse le créneau littéraire du polar car, pour ce qui me concerne, je vais continuer à écrire comme un porc. Il faut savoir rester à sa place.
... je donne un coup de main à Lydia pour le café, dans la cuisine. Elle porte un haut bleu et un short jaune que j'ai du mal à quitter des yeux.
- Tu as réfléchi à l'orgasme dont je t'avais parlé ? dis-je.
- Henri, vous êtes fou. J'ai demandé à ma mère, putain l'engueulade.
- Tu sais toujours pas ce que c'est alors ?
- Ben si.
- comment ça ?
- C'est mon oncle qui m'a montré. Au début ça fait mal mais après c'est super.
- Je le fais très bien également.
- Ah oui ? Vous pouvez porter le café, c'est prêt.
J'adore la campagne, tout est simple.
Un jour…
un jour
je dis comme ça
un jour
me laisserai
couler
dans la brume
génétique
mieux que l'image
d'une image
l'image elle-même