Citations de Margaux Fragoso (38)
Je ne me lève pas en attendant du soleil qu'il se lève, et, quand il le fait, je prends ça comme un cadeau.
J'invente des histoires pour ma fille, tout comme mon père l'a fait pour moi quand j'avais son âge. Je cultive certaines traditions familiales ; les autres doivent disparaître avec moi.
Elle voulait savoir si Peter m'avait jamais touchée ; elle posa cette question de plusieurs façons différentes, et répétait : "Tu es sûre ?" à chacun de mes non. [...] Elle en vint à me dire des choses comme "il te revient de protéger d'autres filles". Quelle blague. Je protégeais déjà d'autres filles. Je lui donnai ce qu'il voulait, en fantasme. Il n'avait pas besoin de faire du mal à de vraies petites filles.
Je vais t'expliquer. La vie se déroule par étapes, comme des échelons. D'abord, tu es une enfant qui joue à la poupée. Ensuite, tu es une pré-ado, tu commences à t'intéresser aux garçons. Et puis tu deviens ado et tu sors avec des garçons, et tout ça. Mais pour toi, ces échelons ont été sautés. Ce que nous devons faire, c'est retourner en arrière et réparer l'échelle. Pour ce faire, nous devons arrêter le sexe, tout le sexe. Arrêter net, point barre. Notre amour doit être entièrement pur et spirituel. Je serai ton père.
Parfois, quand nous nous battions, je perdais tout contrôle et je menaçais d'aller à la police et de tout leur raconter. Ç'aurait été de l'autodestruction parce que si jamais Peter était arrêté, je me sentirais tellement coupable – je le savais – que je n'aurais plus qu'à me tuer. Jamais je ne pourrais trahir la seule personne à prendre vraiment soin de moi.
Je voulais voir un homme faire à un autre homme ce qui semblait ennuyeux ou même avilissant quand c'était à une fille. J'avais besoin d'être rassurée sur le fait que les hommes et les femmes n'étaient pas si différents. Les films de Peter laissaient entendre que le monde entier était fait de femmes se soumettant à des hommes, et je savais que ce n'était pas vrai.
Peter me remboursait souvent pour le sexe [...]. Je craignais, si je faisais quoi que ce soit sans l'échanger contre au moins un petit truc, qu'il croie que j'aimais ça ; qu'il ne comprenne pas que je payais, moi, au prix fort.
Quand j'étais toute petite, je frappais les femmes au hasard dans le bus ou dans la rue. Ma mère disait que j'avais été témoin d'une scène...J'avais trois ans.
Nous avions aussi un puzzle de mille pièces auquel nous travaillions. Peter me donnait un rapide baiser sur les lèvres chaque fois que nous trouvions la bonne pièce, en vérifiant que personne ne regardait...
Peter insistait sur le fait que personne ne devait nous voir nous embrasser, parce que les gens sont tellement bizarres de nos jours_dans cette drôle d'époque où nous vivons, toute marque d'affection est suspecte...
Cette cave sombre, crasseuse, pleine de toiles d'araignées, m'avait pris toute ma vie. C'était l'endroit où j'avais renoncé à moi, c'était là où je détruisais pour lui ma propre volonté ; et maintenant il n'y en avait plus...
“Il était essentiel pour moi, aussi, d'y mettre la forme, d'écrire mon histoire davantage comme un roman que comme une confession. de réussir à user d'une force lyrique et poétique afin de donner un sens à la nature inarticulée du désespoir.”
Ses yeux étaient pleins de larmes, et quand j’essayai de le toucher, il repoussa ma main. « Quand je me lève le matin, quand je me couche le soir, c’est toi ! Ma première pensée quand je me lève c’est de boire un café, de fumer une cigarette, et d’écrire une lettre à Margaux ! Regarde tout ça ! » Il montrait une caisse qui contenait tous les classeurs de ses brouillons de lettres. « Ma chambre, c’est un mausolée ! »
C’était vrai. Tout ce qui était moi était conservé dans cette pièce. Sans Peter pour me voir, pour m’adorer, comment pourrais-je exister ?
Tu as laissé dans ma boîte à lettres une enveloppe contenant dix lettres de suicide et plusieurs testaments sur des pages à carreaux tirées d’un carnet : tu me donnais ta voiture. Tu as dessiné un plan pour moi, pour que je puisse trouver ta Mazda noire et que je n’ai pas à payer les frais de fourrière. Tu m’as laissé un double de la clef dans une enveloppe. La clef d’origine, tu l’as laissée sur le contact de la Mazda. J’avais vingt-deux ans, tu en avais soixante-six.
"Je me disais que Karen était trop jeune ; Peter n'en voudrait pas. Il avait dit que huit ans était le plus bel âge pour me demander ce truc spécial qu'il voulait. En plus, il m'aimait d'une autre façon que Karen ; j'étais certaine qu'il la voyait comme sa fille. C'était moi qui avait le potentiel d'être sa femme et la mère de ses enfants, parce que j'étais tellement mûre pour mon âge ; j'avais certes une fois failli à son attente, mais j'étais à peu près sûr qu'il m'avait pardonné maintenant." Ed Flammarion page 96
Une photo me frappa: un Polaroïd de mes huit ans, mon petit moi glissé dans un maillot de bain et empoignant les bords d'une table de pique nique en fer forgé, dans la cour.
L'enfant nymphe aux cheveux d'écorce, avec son corps de fil, tendu comme un archet de violon.
Le visage de l'enfant avait une expression étrange qui n'était visible sur aucune autre photo: une morgue tout spéciale, une confiance en soi gouailleuse et décidée. Une expression de pure puissance : l'enfant avait conscience de son mince corps sexy, de la nouveauté torride de son pouvoir de séduction, avec ses membres aussi fins que des flûtes, des cheveux humides et emmêlés. La superbe de cette enfant, son arrogance, son air d'en savoir long... d'où cela venait-il? Où avait-elle attrapé cette expression? Etait-elle venue me visiter une nuit, moi à quatorze ans, elle aux genoux sales et au visage sauvage? Ce fantôme estival traversait-il mes rêves comme un succube, collant sa poitrine à la mienne comme un câble vivant, éveillant la créature somnolente et blasée qui s'appelait Nina, et qui se mettait à bouillonner en moi, électrifiée, comme une bouteille d'eau de Seltz secouée?
Telle une fée marraine d'un monde d'enchantements, Nina prenait entre ses mains le visage hâlé de l'enfant, embrassait à pleine bouche ses lèvres entrouvertes et murmurait: "Margaux je suis ton futur."
On ne peut pas avoir ce qu'on veut, dans la vie. Mais on peut être soi-même, avoir fait des choses courageuses, avoir vaincu ses peurs, et regarder sa jeunesse avec fierté : on peut être ce genre de personne-là.
« Chaque mensonge que tu me fais, petit ou grand, entame notre lien. Au début, c'est juste une petite entaille, on ne peut pas la voir, mais tout cet échafaudage du mensonge – ça ne fait jamais qu'empirer. »
C’est comme si les pédophiles vivaient dans une sorte de réalité fantastique, et ce fantastique contamine tout. Comme s’ils étaient eux-mêmes des enfants, mais pleins d’un savoir que les enfants n’ont pas.
Le Malabar était rare : nous ne le pratiquions jamais en public, parce qu’il prenait trop de temps. Peter achetait des Malabar, nous lisions la petite bande-dessinée à l’intérieur de l’emballage, et je mâchais le chewing-gum, qui était dur, jusqu’à le rendre tout mou. Je passais le chewing-gum à Peter qui me le repassait. Nos langues se touchaient, c’était inévitable, et cela me faisait l’effet d’un poisson s’agitant dans ma bouche. Chaque fois que ce nouveau baiser arrivait, le tout premier moment me semblait toujours dégoûtant ; puis l’émotion s’éteignait aussi vite qu’elle était venue.
-Huit ans est le plus bel âge pour une fille, dit Peter quand j’eus ouvert mes cadeaux. Mais ça me rend triste de te voir grandir.
Ça me rendait un peu triste, moi aussi. Quand j’avais quatre ou cinq ans et que les gens me disaient que j’allais grandir, je ne les croyais pas. Je ne pouvais pas croire que mes pouvoirs d’enfant ne dureraient pas toujours – me cacher sous les tables, loger mon corps entier sous une chaise ou dans des recoins minuscules. Je chérissais cette souple liberté animale, la joie de plier entièrement bras et jambes sous moi, de trouver dans les barrières une brèche où me glisser, une fente entre un tronc d’arbre géant et un mur de pierre ; c’était là ma gloire.