Un extrait du roman "Dans l'ombre des miroirs"
Le monde chavire sans fin.
La douleur irradie le long de la cuisse, jusqu'à gêner la respiration.
Mais elle ranime un peu l'attention, aussi.
Les murmures non loin ne sont pas juste des souffles dans un monde de rêve où Endah ne va presque jamais, seulement les soirs où Saïda ne donne pas de pilule ou dans les périodes de fièvre, comme depuis que le donjon a brûlé ...
Ça n'a presque pas fait de morts. Le chaud, les pannes de courant, les problèmes d'essence, ça faisait deja un moment que les gens avaient l'habitude, tout en sachant que ça n'irait pas en s'arrangeant. Mais la coupure Internet, ça...
L'accès à la Toile, il y avait des années que c'était de l'acquis, du nécessaire. Le sacro-saint moyen d'accéder à n'importe quoi. On pouvait éventuellement se passer d'un frigo, sans parler de ce qu'on mettait dedans, mais d'une connexion stable, on ne l'aurait même pas souhaité à son pire ennemi.
– Je comprends mieux pourquoi Cyal est à la limite de l'ulcère. Malakine vaut peut-être pas grand-chose pour avoir autant de contrats sur sa tête, mais faut lui reconnaître qu'il faut de sacrées couilles pour agir à sa façon. Ç'aurait tenu qu'à moi, on aurait mis les bouts dès la sortie de la banque, on aurait pas pavané sur les grandes avenues comme il l'a fait.
Cependant, il ne paraissait pas contrarié, pas plus que Sabhe. Ils échangèrent un coup d'oeil complice. C'était inhabituel et dangereux, mais au moins c'était amusant.
- Ils les torturent, il dit. C'est une mise en condition plutôt gerbante et j'en suis qu'à la page dix. C'est ça que voulaient dire les types qui nous ont conseillé de le buter. Ils les forcent à être des machines, à répondre à de stimuli et à des consignes précises. Si ce mec a subi ça depuis qu'il est môme, il est juste pas capable de comprendre autre chose.
Lui, il a jamais connu la grande époque du tout connecté. Les satellites ont pété bien avant sa naissance. Mais ses grand-parents avaient gardé des tél de l'époque donc il en a vu et il en parle comme s'il s'en était servi. Et il a vu Internet avant la Page Blanche. Le partage d'info, de médias, ça avait l'air d'être dingue. Je le sens comme un petit fou dans ce bar qui lui rappelle des trucs que les autres ont pas connus, vu que même Cécile était pas née quand les data centers ont pété en rafale. La Troisième Guerre mondiale, m'a expliqué la Gomme. La guerre de l'info. Des fois je voudrais savoir qui est le premier bourrin qui a fait sauter les premières fermes de serveurs. Qui a lancé le truc. Parce que de représailles en représailles, le monde entier s'est retrouvé comme un con sourd et aveugle. La Page Blanche.
Au moment de la Page Blanche, on a des clusters qui ont pété en série et les bases de données qui ont suivi le mouvement. Les ancêtres avaient tout dématérialisé, même les manuels de réparation. Il y avait même plus un ingé digne de ce nom qui savait bosser sans s'appuyer sur trois logiciels. Je pense que ça a pas effleuré ceux qui avaient construit ce projet, mais ça a pris des années avant qu'on arrive à faire fonctionner les écrans connectés et qu'on retrouve la piste des satellites.
D’une voix sèche, il prononça les trois mots d’activation du miroir. Son reflet se brouilla, comme si le tain était devenu une surface liquide agitée par le vent.
Dans son bureau aux rideaux tirés, plongé dans la pénombre de ses réflexions, le chef de la conspiration alluma sa pipe.
Y'a pas de code pour agir face à la mort
On ne choisit pas les gens qu'on aime, Suèhl.