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3.35/5 (sur 17 notes)

Nationalité : Ukraine
Né(e) à : Putyla Raion , le 19 décembre 19
Biographie :

Née le 19 décembre 1959 dans le village de Roztoky, à l'ouest de l'Ukraine est une femme de lettres et une poétesse. Elle est diplômée en lettres de l'Université nationale de Tchernivtsi. Elle vit et travaille à Kiev. Daroussia la douce est son premier livre traduit en français (Gallimard, 2015)

Source : Wikipédia
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Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
Elle ne se rend chez papa qu'en marchant au beau milieu de la rue. Les voitures passent, les carrioles défilent, les gens se pressent, mais Daroussia n'en a cure : elle va chez son papa en princesse. Les futurs mariés qui se rendent à l'église ou un défunt qu'on porte au cimetière ne céderont le moindre pas du milieu de la rue et personne ne viendra contredire cette tradition. Pourquoi Daroussia ne pourrait-elle pas faire de même ?
Elle avait même demandé autrefois à papa pourquoi la future mariée se rend à l'église comme si toute la rue appartenait à elle seule.
-Car avant le mariage, elle est une princesse, répondit papa.
-Et après le mariage? demanda Daroussia.
Le papa a soupiré on ne sait pourquoi : - Une femme malheureuse.
Tant que Daroussia ne sera pas devenue malheureuse, elle ira toujours chez papa en princesse. Et personne n'a le droit de l'en empêcher.
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« Vous ne vous y connaissez pas tellement, car une femme à la
maison n’est pas forte pour ce qui est de la guerre et ne comprend pas
grand-chose aux affaires militaires. Mais regardez juste : les Roumains
ont pris les hommes pour la guerre-abattoir, et qui sait combien en
seraient revenus et si les corbeaux n’avaient pas déjà dispersé leurs os
blancs ? Et s’il y en a qui reviennent, qu’est-ce qui se passera ensuite ?
Mais écoutez bien ceci, ma bonne dame, cela veut bien dire quelque
chose si les Roumains ont déguerpi sur l’ordre allemand comme
autrefois les Moscovites : ni vu ni connu ?! Ils étaient là plus de vingt
ans et l’Allemand en une seule journée les a chassés comme la
poussière d’une remise. C’est pas pour rien si, au lieu des Roumains,
les Magyars aujourd’hui filent dans les villages et gâtent nos filles.
C’est que peut-être l’Allemand ne fait pas tellement confiance aux
Roumains et préfère tenir le front avec ce maudit Magyar. Onoufriy
Matios est descendu ces jours-ci d’Okolena et raconte que tout
Okolena a été creusé de tranchées, et qu’une autre ligne est en
préparation du côté de Sirouk. C’est que, d’ici un jour ou deux, il y
aura un grand massacre... Quelque chose a changé du côté du front,
vous l’entendez bien, les canons approchent. Et si les canons tirent du
côté de Berehomet, c’est que l’Allemand a pris la décision de fuir chez
lui. Et si l’Allemand se retire, c’est que le front approche et que le
village peut être évacué. L’Allemand est bien ordonné... Je ne dors
pas la nuit et écoute la terre bouger, et je ne fais que retourner les
choses dans ma tête. Je pense à tout, Maria...
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Donc, des deux côtés du Tcheremoche, peu profond au printemps
et débordant en été, mais, indépendamment de la saison, toujours
rapide et bavard, étaient nichés entre collines et monts boisés, comme
dans la gorge profonde d’une femme, deux villages de montagne au
nom identique : Tcheremochné. Si l’on pouvait les regarder à vol
d’oiseau ou au moins du milieu de la rivière, on s’apercevrait que les
deux villages se faisaient face, se reflétant comme un visage dans un
miroir. Depuis la nuit des temps, les habitants des deux
Tcheremochné parlaient presque la même langue maternelle,
joignaient les mains pour le même « notrepère », célébraient le même
jour Noël et Pâques, leurs vêtements aussi étaient identiques, leurs
serments et leurs remerciements, seules les salutations des gens des
deux côtés de la rivière différaient légèrement et c’était probablement
leur unique dissemblance.
Mais de temps en temps leurs terres ancestrales passaient d’un
État à l’autre, comme une femme sans volonté qui échouait à un
homme plus chanceux, c’est pourquoi de temps à autre, et pendant
de nombreuses années sédimentées parfois en siècles, ceux qui
habitaient au pied de deux montagnes jumelles étaient séparés par
une frontière qui passait au milieu de la rivière, non concernée par ce
genre de modification.
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Mais à peine les bons propriétaires ont-ils fait venir à Koniatyn,
loin de chez eux et dans les hameaux environnants, le gros bétail et les
cochons qu’il a fallu revenir : le front a traversé Tcheremochné
incroyablement vite, sans le toucher, et s’est dirigé à l’ouest vers
d’autres lieux.
Et les gardiens et les bergers de Tcheremochné ont rebroussé
chemin avec leur bétail, maudissant une nouvelle fois la guerre,
l’Allemand et leur destin.
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Les brebis blanches paissent sur un lijnyk de verdure, faisant tinter leurs clochettes comme si elles envoyaient un signe depuis le paradis.
Les chevaux tricotent avec leurs oreilles et chassent les parasites.
Les faucons argentés au soleil sont suspendus au-dessus de sa tête.
Le vent agile berce les tiges.
Les monts et les plaines sont dominés par le silence de l'univers.
Une envie de mourir ou de chanter.
Une béatitude.
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Daroussia colle doucement son oreille contre terre mais, soudain,
saute sur ses pieds. Elle cherche frénétiquement autour d’elle, puis se
frappe le front, enlève de ses épaules la moitié de lijnyk 7 usé et en
recouvre le bas de la tombe, comme si elle enveloppait les pieds gelés
de papa. Lui, qui a tant souffert du froid, qui a tant travaillé sa vie
durant, pourrait-il avoir chaud juste avec de la terre et de l’herbe ?
Lorsque Daroussia entre dans l’eau jusqu’à la taille ou s’immerge
à moitié dans un trou creusé, elle ne cherche pas la chaleur, mais un
salut pour sa tête. Elle entre dans l’eau ou dans la terre, pas pour
longtemps, juste le temps que le feu quitte sa cervelle. Mais si elle
devait rester des années dans la terre glacée, comme papa, elle
chercherait peut-être aussi de la chaleur.
Et voilà, maintenant que la voix de papa a dit qu’il avait froid, elle
décide de le réchauffer un petit peu. Elle caresse à travers la glaise sa
poitrine émaciée, elle prend un à un ses doigts, coiffe ses cheveux. Et
puis elle fait la fête. Et l’église la plus peuplée du village n’est pas
aussi joyeuse que la fête de Daroussia avec papa en ce lieu.
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Tout de même, elles n’ont rien dans la caboche ni Dieu dans leur
cœur, ses voisines qui pensent qu’elle est simple d’esprit. Elle n’est
pas simple d’esprit, elle est douce.
Elle enveloppe les racines des dahlias dans une couverture, et
alors ? C’était justement au moment où la neige était déjà partie mais
le gel était encore là. Daroussia offrait les fleurs à tout le village car
elle en avait fait une telle récolte en automne qu’il y en avait plus que
de patates dans sa cave. Elle les a donc portées aux maisons qui ne
fleurissaient jamais. Mais comment porter les racines nues par un
froid aussi vif ? Est-ce que Vassuta porte son petit-fils dans le verger
vêtu d’un seul pantalon ? Elle l’emmaillote bien dans une couverture
et ce n’est qu’après qu’elle le prend dans ses bras pour le bercer en
traversant le village. La fleur vivante n’est-elle pas comme cet enfant ?
Daroussia est assise à même le sol, encore chaud des rayons d’été,
et caresse les joyeuses têtes d’asters, ébouriffe de sa main les boucles
odorantes. Elle leur parle, leur raconte tout et rit — qu’y a-t-il de mal
à cela ?
ventre pour me raccourcir la vie avec sa gnôle, qu’il brûle de mille feux,
Seigneur... Et que ma langue sèche de dire des choses pareilles !
... Et Daroussia la Douce, assise au milieu de ses fleurs, à trois pas
de Maria et de Vassylyna, fait et défait sa natte maigre et blanchie
depuis belle lurette, écoutant ce qu’on dit d’elle, et ne fait que sourire doucement.
Pourquoi dit-on qu’elle est douce alors qu’elle comprend tout et
qu’elle sait le nom de toute chose, quel jour on est et combien de
pommes a données le verger de Maria, combien de nouveau-nés il y a eu au village entre deux Noëls et combien il y a eu de morts ?!
Au conseil du village, on consulte le registre pour ce genre de
renseignements, alors que Daroussia tient tout dans sa tête. Elle parle
mieux aux poules qu’aux gens. Les arbres la comprennent, les chiens
la laissent tranquille, mais les gens — non. Ils n’arrivent pas à la
laisser seule.
Mais elle n’a pas envie de parler aux gens, car ils pourraient alors
lui donner un bonbon.
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Elle n'allume jamais de cierge car il brûle toute présence humaine aux environs. La flamme ne fait pas que chasser les méchants esprits, mais aussi l'esprit de l'homme qui n'a pas toujours été mort. Et lorsque l'esprit s'évanouit, on languit de moins en moins de l'absence de la personne disparue, jusqu'à ce qu'on l'oublie définitivement.
C'est pourquoi Daruossia n'aime pas les gens qui brûlent des bougies sur les tombes. Ils cherchent à se débarrasser au plus vite de la douleur qui transpire de la triste glaise des tombes. Les gens cherchent à échapper la tristesse qui s'insinue dans les moindres recoins de l'âme dès l'instant où l’œil croise une croix. Les gens n'aiment pas la souffrance. Ils n'aiment rien, de toute façon.
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Il portait sa guimbarde à ses lèvres, s’installait sur le seuil de la
maison et jouait un long moment, tout en regardant Daroussia les
bras croisés sous la poitrine. Il n’avait de cesse de penser, penser...
Quelle souffrance faut-il supporter pour vivre une telle vie : ne pas
connaître l’homme, ni les règles, n’entendre rien de bien des gens ni
n’en recevoir, excepté peut-être de Maria ?! Ne pas pouvoir pleurer-
sangloter, crier, rire, être une momie vivante, avoir dans la tête une
plaie béante comme provoquée par une balle et ne pouvoir en parler,
seulement penser, penser. Quelqu’un d’autre aurait oublié depuis
longtemps, et elle souffre, comme la martyre Catherine...
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Tant que de l’autre côté de la rivière dominaient les Polonais, il
leur arrivait de fermer les yeux sur les contrebandiers-schwarzivnyk.
Ces derniers, parfois, arrivaient même à passer du côté roumain en
plein jour avec leurs marchandises. Soit les passeurs étaient de mèche
avec les gardes-frontière, soit ils prenaient des risques inconsidérés
par appât du gain, ou bien les lois là-bas étaient appliquées à la tête
du client... Ou bien peut-être que Tcheremochné était niché sous
l’aisselle du diable et que la voix des autorités y parvenait plus
lentement qu’ailleurs, mais les plus combinards y trouvaient leur
compte. Peut-être aussi qu’à l’époque il y avait plus de choses à passer
du côté de la Pologne vers la Roumanie que l’inverse.
Il est vrai que, de temps à autre, les Polonais passaient à tabac les
violeurs de la quiétude frontalière en plein jour, particulièrement
lorsque les schwarzivnyk venaient du côté roumain. On acheminait le
malheureux repêché jusqu’au poste, on le frappait à quatre mains
avec des bâtons de hêtre au milieu de la cour, on récupérait sa
marchandise, on le gardait quelque temps au trou en l’obligeant à
faucher ou à décharger le foin, et on le libérait tuméfié. Et là, c’était le
tour des bâtons roumains d’exécuter une houtsoulka ou un arkan sur
son derrière, déjà bleu des coups portés par les bâtons polonais.
Après cela, pendant un moment, très bref, le trafic s’arrêtait des
deux côtés.
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