Citations de Marie-Ange Guillaume (105)
Je me méfie du bonheur parce que c'est une chose qu'on vous reprend.
En ce moment, je suis heureuse avec toi, mais je sens bien qu'il va falloir que je sorte de toi, encore une fois, et qu'à la fin je te quitte.
Bien sûr, ne croyant pas aux promesses électorales concernant l'after, avec la béatitude éternelle à la droite d'un Dieu absent, je sais bien que tu n'es pas là, ni penchée sur mon épaule, ni au ciel ni en enfer (manquerait plus que ça), je sais bien que tu n'es nulle part - juste dispersée dans un océan trop grand pour que je puisse t'y retrouver un jour. Mais je te parle et je te remercie. Grâce aux mots que tu m'as laissés, mon enfance a changé, elle est sortie du noir et gris où l'avait ensevelie ma mémoire pour se barbouiller, ici et là, de jolies taches de couleur - comme sous le pinceau d'un peintre un peu bordélique qui mettrait un rouge en bas à droite et un jaune en haut à gauche pour constater l'effet produit.
Voilà, c'est tout pour ce jour de pluie où nous avons ouvert l'album. Ou alors je n'ai pas tapé le récit jusqu'au bout de la cassette, perdue depuis. Je n'ai pas assez fouillé ce jour-là et je voudrais tellement que tu continues, maintenant que j'ai dix mille photos qui ne me parlent pas, et toi qui ne peux plus me parler. Il y en a une de nous que j'adore - en noir et blanc, aux bords dentelés, prise par mon papa perché sur la branche d'un cerisier. Tu es allongée dans l'herbe, un bras au-dessus de la tête, dans une jolie robe d'été. J'ai à peine trois ans et je suis allongée à côté de toi, dans une jolie robe d'été. A trois ans, je t'aime sûrement. Il y a une image de lui et moi que j'adore. Il est allongé dans l'herbe, j'ai un an et demi et, debout sur son estomac, je le piétine en rigolant. A un an et demi, j'aime sûrement mon père. Il flotte un air de bonheur sur ces deux photos, et on s'allonge beaucoup dans l'herbe, je trouve. Mais, sans toi, je ne sais pas où situer ce bonheur. Dans quelle herbe, dans quel jardin ?
L'Autre vit en continu mais nous n'en connaissons que des bouts de hasard, récoltés plus ou moins distraitement un soir d'été ou un matin d'hiver, rangés en vrac dans la boîte noire de notre mémoire - la mienne ressemble à une crise d'amnésie.
Maintenant, avant de retrouver sa Loire, elle est entre mes mains, au fond de cette boîte que j'ouvre en tremblant. A l'intérieur, il y a un sac de toile - je ne m'y attendais pas. Je dénoue le cordon du sac et, tout en écoutant la voix étouffée qui me dit « c'est pas possible », je balance tout du haut du pont, par petites secousses, en douceur. C'est ma mère devenue poussière, c'est ma mère que le vent porte, teintée d'or dans le soleil de cinq heures en février. Et elle s'en va.
Il faut avoir le triomphe modeste, parce que la gloire est éphémère et que la grandeur se mesure à la simplicité.
Il sait que c'est elle. Tous les matins il l'attend sur le chemin, il la cherche dans les nuages et retourne se coucher comme un vieux chien cassé. Mais là, il redevient Hélice, le chien qui tue les chaussettes et chasse le camembert. Sauf que le bonheur c'est compliqué, on ne sait pas par où commencer. Alors il part comme une flèche, oublie de freiner, déterre trois bégonias, engueule une mouche et s'arrête net, la langue baveuse, le front plissé. Suzanne est revenue.
Au paradis, je passerais les siècles et les siècles à contempler Dieu entre deux concerts de harpe. Merci bien. Les casse-couilles, j'ai déjà donné.
« Et quand l’autre meurt autour de moi, je passe par des climats variables : un chagrin paniqué qui se réveille chaque fois que le soleil brille sur un souvenir ancien, chaque fois que cette lumière te ressemble et que ce lieu a gardé la mémoire de ta voix ; une solitude infernale quand je vois une petite fille trottiner fièrement en tenant la main de son gigantesque papa – mais c’est une joie aussi ; un triste vertige quand je passe devant « chez toi » (ce n’est plus chez toi puisque la pancarte obscène annonce « vendu » et qu’on ne boira plus jamais de vin blanc devant la cheminée) ; (…) un coup de rage à te savoir allongé sous cette plaque de marbre, toi qui étais toujours debout, et si grand debout ; ou alors, que dalle, ni chaud ni froid, pas la moindre brise. »
Cette Terre est une mosaïque. Des champs verts et des lacs bleus, des îles mordorées, des fleuves gris, des déserts de sable jaune.
OU Y A DE LA GÈNE
J'entre dans un compartiment de métro assez plein, je me dirige (calmement) vers la seule place assise restante et, donc, je m'assieds. S'asseoir consiste à plier les genoux et poses ses fesses sur un siège. Là, je pose mes fesses sur quelque chose de mou -ou plutôt quelqu'un de mou, et plus précisément une bonne femme qui a réussi à se glisser , en passant par derrière, entre le siège et mes fesses. Je bondis - ça fait drôle- et tout le monde se marre, sauf la dame, qui reste vissée à SON siège, le visage parfaitement impassible. On sent qu'elle n'en décollera sous aucun prétexte, même si tout le compartiment se fout de sa gueule jusqu'au terminus.Et on suppute qu'elle s'est longuement entraînée pour attendre cette virtuosité.
Bref, je crois que la vie ici est quelque chose de plus heureux qu'en main autre lieu de la Terre (Vincent Van Gogh)
Les femmes ont toujours tort de s'en faire. Nous, on ne s'attarde pas aux détails. On va à l'essentiel, depuis l'âge des cavernes.(p.56)
Tout ce que je veux, au moment de mourir, c'est vivre.
On s'aime dès les premiers mots, d'autre chose que d'amour.
J'ai parfois le sentiment de ne pas exister. Sentiment étrange, quand on a une certaine épaisseur physique et intellectuelle. D'accord, j'ai perdu six kilos en arrêtant le fromage, et, si j'en crois le dernier test de QI dans une revue, je suis passée en quelques années de 130 à zéro.
L'amour est une chose exaltante qui nous élève la plupart du temps au septième étage du ciel, mais il arrive que ça retombe, sous forme de rupture sanglante ou de ras-le-bol mou.
J'aime le vide - une nouvelle vie commence, avec une infinté de possibles. Rien qui dépasse, aucune exubérance extérieure qui vienne enquiquiner mon moi intérieur. J'aime les espaces infinis, les lignes pures, les murs nus, la mer, le désert et les chameaux qui le traversent en zigzag sans rien bouffer. J'aime le zen torride. Un lit et un bonsaï dans la chambre - et encore, le bonsaï fait désordre.
La rancune est un boulot qui exige de la constance, de la mémoire et de la concentration. La vraie bonne rancune marine dans son jus, les mâchoires serrées, bien crispée. Elle ne souffre aucun laisser-aller et doit être entretenue sans répit - on n'est pas rancunier à mi-temps.