Marie Barraud - Nous, les passeurs
J'aimerais te dire que les tiens ont survécu à la tragédie de ta disparition, mais aujourd'hui, je sais que ça n'a pas été le cas. Oui, ils ont fait comme ils ont pu, mais ils ont passé leur vie à marcher au bord du précipice que constituait le vide de ton absence. Se construire sans toi a sans doute été le plus douloureux combat que tes fils aient eu à mener.
Nous baladions tous deux notre regard sur cet immense tas de pierre représentant le bloc du revier 1. Chacune d’elle prit la forme d’un trésor précieux. Chacune de ces pierres renfermait un morceau de lui…un regard, une empreinte, un souffle, un cri de colère ; un secret, un soupir plein d’espoir, un sourire, une larme. Durant toute une année, il s’était battu pour venir en aide aux plus faibles, aux plus désespérés. Durant un an il avait espéré, soutenu, il avait porté, aimé, menti, il s’était battu pour lui, pour eux, pour nous.
Lorsque ceux que l'on a aimés ont disparu, leur souvenir prend, avec le temps, de plus en plus de place. Son empreinte est plus dense, plus profonde.
"Un homme est la somme de ses blessures et de son courage, tu as les deux.
Nous n'apprenons pas à être un homme, ni à être un père.
Tu as fait de ton mieux.
Je t'aime."
Simonetta Greggio, La Douceur des hommes
« Seuls ne meurent vraiment que ceux que l’on oublie » .
Il aurait dû y avoir un homme près de vous. Elle aurait pu choisir un homme bien qui se serait occupé de vous, qui vous aurait aimés, élevés, qui vous aurait expliqué qu'il ne fallait rien attendre de la vie seulement de vous, qu'il était important de s'offrir ses propres opportunités, se créer sa propre chance, son propre avenir.
Notre vie peut prendre chaque jour la forme de nos folies, mais elle reste, finalement, le prolongement des vies de ceux qui nous ont précédés. Qu'on le veuille ou non, nous venons compléter un cycle. Et je perçois aujourd'hui qu'ignorer ce qui fut avant nous, c'est perdre une partie de ce que nous sommes supposés devenir. Héros ou bourreaux, nos ancêtres nous transmettent bien plus que leur nom.
« Á chaque pas, les craquements sourds du parquet révèlent en lui des souvenirs . Une mélancolie amère plane en ces lieux » .
François Mauriac en 1952.
« Le souvenir de Mauriac »article publié dans le quotidien SUD- OUEST du 14 octobre 2010. » .
Ma grand-mère a assisté à son procès. Elle est allée voir le regard de cet homme qui lui avait tout pris. Mais elle n'eut pas le courage d'assister à son exécution. Non par pitié, elle n'en avait pas pour cette misérable vermine, mais pour se préserver de la barbarie des hommes. Aucune âme sensible ne peut supporter la vue d'une mise à mort, même celle des pires ordures.
Seuls ne meurent vraiment que ceux que l’on oublie