Loo Hui Phang &
Lenka Hornakova-Civade sont deux écrivaines invitées au festival Au fil des ailes, programmé du 12 au 27 novembre 2021 en région Grand Est. Découvrez leurs oeuvres respectives à travers les mots de Valentin Fauvet, libraire à Bédérama, à Reims.

Machiavel ne réservait qu’au Prince une éducation exclusive et très particulière. Érasme élargissait considérablement la vision en s’adressant aux personnes douées, aux élites destinées à diriger leur pays. Selon moi, l’école est l’affaire de tous et surtout, c’est une affaire d’État. C’est une affaire politique. Ceci, je le dis aux puissants du monde de tous les pays où j’ai posé le pied, et même là où je ne suis jamais allé. On m’écoute, certes, on lit mes ouvrages, on m’applaudit. Malgré cela, on ne suit pas mes conseils, puisqu’une autre guerre arrive, et que tous mes efforts en sont anéantis. Tout seigneur estime que la guerre est sa meilleure mise de fonds. Je dis que nous naissons tous avec d’inestimables talents qu’il convient de faire fructifier. Notre tâche d’être humain consiste à nous améliorer, à nous approcher de Dieu, puisque chaque enfant porte en lui une part d’ange. On ne doit pas laisser se faner l’innocence mais au contraire la cultiver pour qu’elle croisse et porte ses fruits.
Mamie Marie m'a prise sur ses genoux et chuchoté à l'oreille:" Tu n'appartiens à personne. Tu es libre. Il n'y a que ça qui compte. Ne l'oublie jamais."
- Vous vivez toute seule ? Ce n’est pas triste ? Vous ne vous ennuyez pas ?
- Comment être seule en cette excellente compagnie ?
Elle a fait un très beau geste qui a embrassé tous les livres à la fois.
C’est un art, de faire parler les silences.
Les arbres, enveloppés dans de somptueuses robes de givre, semblent grandir et flotter dans la brume. Leurs racines se sont retirées dans des profondeurs, elles y cherchent le réconfort et assez d'énergie pour le printemps.
Il faut le préciser, on est des bâtardes de mère en fille, comme certains sont boulangers ou rois. Aujourd'hui, il n'existe plus de boulangers. Ils ont été remplacés par des boulangeries industrielles qui crachent du pain sans âme (...). Les rois n'existent plus non plus et ont été remplacés, eux, par le Parti communiste. Il faut maintenant être communiste de père en fils. L'avantage avec le communisme, c'est que chacun peut l'adopter, alors que normalement il n'y a qu'un seul roi par pays.
Elle a appris des chants de femmes polonaises, juives, des chansons que les Tchécoslovaques ont apportées de Belgique et d’autres régions françaises. Ensuite elle les chante à Josefa. Sa voix devient si douce, pleine d’un chagrin profond, contient toutes les larmes du monde. Bojena pleure dans le cœur des chansons les larmes qui n’arrivent pas à sortir de ses propres yeux, des larmes qui la noient et l’étouffent. Elle chante comme on fait de la magie.
« Les nuages enceints de flocons de neige, près d’exploser, se mélangent aux nappes de brume qui montent de la terre transie .
Une respiration . »

Les poupées n’ont pas d’âge, je n’ai pas d’âge. Cependant, je rappelle leur âge à ceux qui me regardent. Quand Josefa a ouvert la boîte, je l’ai bien vu, ses yeux ont fait un long aller-retour entre maintenant et son enfance. Je l’ai regardée aussi, j’ai souri. Je souris toujours, je l’ai déjà dit. Elle a pris conscience du temps passé. Ses mains m’ont saisie, ont épousé mes formes, comme d’habitude, le temps n’avait plus de sens. J’ai su tout de suite que Josefa avait peur. (…)
Ce mois de septembre 1943, au lieu d’être assis sur les bancs de l’école, on faisait de la géographie appliquée sur les routes de France. Les trains. Les voitures. A pied. Moi, toujours dans des bras.
On est serrés, on se dépêche, ils transpirent, les cernes se creusent sous les yeux, les mots sont rares, on économise tout. Les mots de consolation et de tendresse ne consolent pas, ne câlinent pas, ne soignent plus. On ne mange pas à sa faim. Impossible de dire que tout va bien, mais on s’habitue parce qu’on s’accommode même à la souffrance, elle devient supportable quand elle dure longtemps.
La poésie c'est souffrir avec élégance, ce qui rend notre propre souffrance non seulement supportable mais belle