Si tu as vécu tout ça, c'est pour te conduire vers quelque chose de précis, que tu n'as pas encore trouvé mais que tu trouveras !
P.293
Ce mois de janvier ressemble à tous les mois de janvier, froid et triste à mourir. Rien ne se passe. Pourtant le temps file. Il me suffit de voir mon reflet dans la glace, mes yeux délavés, mes cheveux blancs que je tire en chignon. Je n’ai jamais pu me résoudre à les couper. C’est bien là la seule coquetterie qui me reste. Un jour je te raconterai la jeune fille que j’étais. On me disait gracieuse et la taille bien tournée. Il me semble que je te parle d’un siècle lointain. La guerre était passée par là. Notre pays se relevait difficilement… Mais j’avais seize ans et toute la vie devant moi, alors rien de plus grave que cette horrible guerre ne pouvait arriver.
Je n'ai pas la réponse, Valérie. Je crois qu'à la différence de toi je ne suis pas sans cesse dans le questionnement. Je n'ai pas besoin d'avoir des réponses à tout pour vivre. Christelle faisait partie de ma vie et, si aujourd'hui elle était toujours là, je pense que nous aurions pu continuer longtemps ainsi, parce que nous nous aimions tout simplement et que cela nous suffisait. Nous avions tous les deux un grand besoin de nous séduire constamment. Nous n'avions pas envie d'une vie qui nous aurait ramenés à ce que nous avions déjà vécu. Je sais que ça peut paraître difficile à admettre, mais, vraiment, nous n'en voulions pas.
P.273
Si tu regardes bien, la vie est ainsi, faite de routes sinueuses. Pourquoi, à ton avis, y a-t-il autant de virages et si peu de lignes droites dans nos existences? Parce que, dans les virages, nous sommes confrontés à des situations qui nous forcent à réagir, qui nous rendent plus forts et nous guident peu à peu vers une sérénité que nous n'atteindrons peut-être jamais, mais qu'au moins nous aurons touchée du bout des doigts.
Elle s’est nourrie juste ce qu’il fallait pour ne pas s’affaiblir davantage. C’est comme une renaissance qu’elle n’arrive pas à maîtriser. Elle a pris feuilles, stylos, guitare et a écrit, beaucoup. Elle a composé des chansons, des tas de poèmes. Sa poubelle déborde de sa colère, de ses meurtrissures et de son amour. Elle a d’abord expulsé, jeté à l’état brut ses états d’âme, pour ne garder que le nectar de son être profond.
Tu sais, au cours de tous ces mois écoulés, ce qui m'a vraiment aidée, c'est de faire de chaque jour un moment unique, en le vivant intensément.
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Cyril vient de raccrocher depuis de longues minutes, pourtant il n'a pas bougé d'un pouce. Il savoure la douceur de l'air et de l'instant. La voix de Gabrielle a redonné forme à son fin visage et à sa silhouette gracile. C'est au moment où il se persuadait qu'il n’entendrait plus jamais parler de la jeune femme qu'elle a ressurgi. Bientôt il sera à nouveau près d'elle. Il repense à tout ce qu'elle lui a rapporté au sujet de ce "journal d'espérance" et il conçoit aisément et qu'elle soit secouée. Plus il s’approche de ce qu'elle est, plus il apprécie cette jeune femme indépendante. Il a compris qu'elle recherchait une certaine forme de solitude et que la mer comblait un vide qu'il devine ancré au plus profond d'elle.
Elle avait offert un visage serein, manifesté une énergie feinte, un enthousiasme démesuré, tandis qu'à l'intérieur d'elle-même un terrible processus d'autodestruction se mettait en marche et allait la ravager jour après jour.
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Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas volé un peu de ce temps précieux ! Toujours à courir pour tout, à penser pour les autres, à porter le poids des soucis sur ses épaules… Elle s’était interdit des bonheurs tout simples, comme celui qu’elle éprouvait à cette minute précise.
Mais ce n’était pas le moment de se laisser submerger ; sinon, elle reculerait, ferait le parcours à l’envers pour retourner dans son lit auprès d’Alain, son mari, et se surprendre à attendre la sonnerie du réveil.
Surtout ne pas réfléchir aux mots « fuite », « lâcheté », qui martelaient ses tempes, sinon elle n’y arriverait pas.
J'étais sa mère, je n'avais pas à me justifier. Et surtout, je voulais être là, présente, prête à répondre à son amour si elle me tendait de nouveau les bras. Je voulais qu'elle comprenne que je serais toujours là pour elle, qu'à aucun moment je ne l'abandonnerais, disponible pour répondre à ses bonheurs, à ses angoisses. Je serais le pilier indispensable à sa construction. J'avais trop souffert du manque d'amour parental ; j'en connaissais les ravages, et je préférais qu'elle puise sa force intérieure au travers d'expériences diverses, non pas parce que je ne l'aurais pas assez aimée.