Martin Provost

La vie était un jeu que les enfants pratiquaient à merveille.

André Plomeur est né à Quimper, par un beau jour d'avril.Sa mère finissait de larder un rôti de boeuf quand elle se sentit embrochée comme un poulet prêt à cuire.La cliente qui attendait,la voyant étouffer, crut que c'etait le coeur qui lâchait.Mais non .Ça se passait plus bas. Lorsque les eaux se mirent à ruisseler sur la sciure ,on envoya chercher le futur papa aux abattoirs .Il fallait le prévenir dare-dare que l'enfant de l'amour arrivait.

Et dans son esprit si peu sophistiqué s'établit plus solidement cette pensée fixe et ferme: conduire ces enfants à bon port, ainsi trouver le sien.

L'Ankou,l'Ankou rôdait de l'autre côté de la coque.Il savait comment le passeur des âmes prépare toujours ses coups en vache.La mort n'abandonne pas si facilement un champ de bataille.

Son premier mot ne fut évidemment pas de ceux auxquels on s'attend d'habitude, ces chers "papa", "maman" lâchés comme la preuve absolue d'une prédisposition du coeur à nommer l'un et l'autre, pas du tout. Après les gargouillis et onomatopées d'usage, le jour où Fernande décida de sevrer à jamais son loupiot en sanglant fermement ses tétons, ce dernier lâcha ce seul mot, qui resta pour toujours gravé dans les annales :
- Bifteck !

Quand il se sentit plein de cette vision qui donnait tout son sens à son existence, André se coucha parmi ses petits, attirant à lui les sept corps endormis qui se refermèrent sur son corps comme les pétales d'une même fleur.
Il s'endormit vite, noyé par la tendresse.

Elle leva son délicat visage vers le premier étage et André vit alors, dans jeux égarés, gorgés d’un trop-plein d’amour maternel, cette même douleur qu’il avait devinée chez les vaches à qui l’on vient de prendre un veau pour le mener à l’abattoir, et qui meuglent à la mort plusieurs semaines.

Il prit son courage à deux mains et regarda droit devant lui, vers l'ouest. Il crut apercevoir au loin son propre avenir. Et il pressa le pas, car il ne voulait rien perdre du jour qui allait naître.

Aux étoiles les plus proches, les plus fixes, ils attribuèrent leurs prénoms. A celles qui se trouvaient à l'arrière-plan, le nom des sept couleurs. Aux plus lointaines encore mais visibles à l'oeil nu, celui des sept notes de musique. Et enfin, comme la spirale ne cessait de se déployer et qu'ils aimaient passionnément leur père, les mots propres à nommer tous les morceaux du poulet, du mouton, du cochon et du boeuf.

En effet,quelque temps plus tard,devant la famille réunie, Guénolé goûta ,apprécia et approuva l'objet de tant d'attention fraternelle au point qu'il en redemenda.Et comme il était doué en tout,et en particulier pour le commerce,il proposa à ses frères et soeurs de rendre célèbre l'objet qui méritait, selon lui,jusqu'à l'immortalité.
Ainsi naquit le premier hamburger ,qui fit une fois de plus la fortune de la famille Ploemeur ,où l on sait.

C'était dans le don qu'il s'était le mieux accompli et il ne voyait pas d'autre avenir pour lui. Il prit son courage à deux mains et regarda droit devant lui, vers l'ouest. Il crut apercevoir au loin son propre avenir. Et il pressa le pas, car il ne voulait rien perdre du jour qui allait naître.

Rien n'arrêtait leur rêve. Celui d'André, c'était de garder pour toujours ces petits corps contre lui, manteau de peau et de viande chaudes, couverture vivante qu'aucune tempête n'empêcherait jamais de grandir ?

ce qu'on est enfant n'augure pas toujours de ce que l'on sera adulte

...quand le présent meurt au passé sans avoir encore défini l'avenir.

Plusieurs générations d'interprètes font parfois un compositeur

Elles travaillaient aussi dur que leurs frères.Pourtant aucune fatigue ne transparaissait sur leur visage.Seulement la paix et le bonheur d'être en vie.Quand il se sentit plein de cette vision qui donnait tout son sens à son existence,André se coucha parmi ses petits,attirant à lui les sept corps endormis qui se refermèrent sur son corps comme les pétales d'une même fleur.Il s'endormit vite,noyé par la tendresse.

Par un beau matin de novembre, comme sont beaux les matins en Bretagne, gris, mouillé, avec un ciel si bas qu'on le croit posé sur sa tête comme une crêpe, le garde champêtre proclama l'armistice. A la boucherie, on se frotta les mains. Pour Loïc et Fernande, les soldats qui rentraient, c'étaient des ventres avides et affamés, impatients d'engloutir sans compter côtelettes et petit salé, gigots, sans parler des biftecks en tout genre, bien sûr.

L'île ressemblait à un gâteau, une de ces barquettes aux fraises de plougastel que Fernande achetait pour les grandes occasions chez Le Meur, l'illustre pâtisserie de Quimper. La pâte au beurre était fine et dorée, les fraises posées dessus comme des mamelons.

Et pourquoi continuer à chercher des réponses quand il voulait justement ne plus penser, ne plus aimer, et, surtout, ne plus rien sentir ? Malgré tous ses efforts, tandis qu'il se traînait vers cette quête ultime, il ne pouvait pas s'empêcher de s'interroger.

C'était comme tomber amoureux. Le risque à courir était aussi important une l'amour à vivre.