J'ai soutenu l'idée selon laquelle le sommeil consolidé est inextricablement lié à l'émergence du capitalisme industriel dans les pays de l'Atlantique Nord, et que sa diffusion à l'échelle planétaire en tant que fondement normatif et biologique du sommeil est liée à des forme d'impérialisme temporel (d’imposition à l'échelle planétaire qu'une certaine organisation du temps), qui favorise certains types de vie quotidienne au détriment d’autres. (Matthew Wolf-Meyer-Postface)
Le sommeil est - à un degré plus ou moins important - affecté par la société et ses normes, lesquelles ne sont pas des réalités naturelles, mais des productions artificielles ayant un caractère idéologique. Il ne s'agit pas de dire que les chercheurs en sciences sociales qui s'intéressent au sommeil nient l'importance de la biologie humaine, mais plutôt d'affirmer que le sommeil est fondamentalement une réalité plastique, sujette à variations au cours de la vie et au sein de l'espèce humaine. En cela, les chercheurs qui s'intéressent au sommeil d'un point de vue sociologique font montre d'une plus grande ouverture d'esprit que nombre de scientifiques et de médecins du sommeil - lesquels épousent en effet bien souvent en théorie et en pratique la norme du sommeil nocturne d'un bloc. Parce qu'ils ne sont pas captifs du désir de leurs patients de voir leurs troubles du sommeil diagnostiqués et traités, désir qui implique une norme permettant d'évaluer le caractère anormal du sommeil, les chercheurs en sciences sociales et humaines ont eu toute latitude pour s'écarter des sentiers battus dans leurs efforts pour reconceptualiser ce que le sommeil est, ce qu'il a été et ce qu'il pourrait être. (p.124)
L’indifférence des historiens à l’égard du sommeil est si profondément ancrée que pour ce qui concerne la période antérieure au XIXe siècle, des questions aussi élémentaires que celles du moment du sommeil et de sa durée constituent toujours une énigme.
Non seulement la diffusion très large de la lumière artificielle a créé un environnement hostile au sommeil segmenté, mais le sommeil lui-même est de plus en plus menacé par l’affairement caractéristique de notre mode de vie.
À la différence d'autres cultures non occidentales qui ont institutionnalisé leurs rêves, l'intelligente que nous avons de nos visions nocturnes a progressivement décru et, avec elle, une meilleure compréhension de nos pulsions et émotions les plus intimes. Quand bien même les rêves ne seraient pas la “voie royale“permettant d'accéder à l’inconscient, comme Freud le postulait, ils ont constitué néanmoins pour d'innombrables générations un chemin d'accès privilégié à la conscience de soi.