Maman,
Je ne sais pas par où commencer, comment te dire ce que j’ai vécu... Comment te révéler que seules les menaces et les humiliations ont rythmé ma vie depuis des mois. Comment t’annoncer que tu ne l’as pas vu et comment t’avouer que je t’ai menti tant de fois ?
Maman, j’ai vécu les pires insultes, les pires rejets. Et un jour, la cacophonie de mon existence s’est transformée en une mélodie cristalline. Quelque chose, ou plutôt quelqu’un s’est faufilé dans ma vie. L’amour, tu dis ? Peut-être bien…
Comment un moment, une confession peut changer à jamais une relation ? Je perçois quelque chose d’imperceptible entre lui et moi. Une émotion, un lien, de la lumière. Je le regarde et ne peux détacher mes yeux de lui. Il me fixe lui aussi d’un regard insistant. Je suis certaine qu’il le sent aussi, ce lien. Il s’est livré à moi, malgré lui, et nous a rapproché de façon inexplicable.
Il est beau, si beau que cela en devient effrayant. C’est peut-être bête de dire ça, mais il a l’air tout droit sorti d’un de ces films d’horreur où le méchant séduit la fille pour mieux la tuer. Je secoue la tête pour chasser ces pensées morbides. Gabriel n’est rien de tout ça. Il est gentil, quand il le veut, intelligent et drôle. Mon tiraillement entre ma raison et mon cœur ne peut être synonyme que d’une chose… Gabriel, ce garçon que je repousse tant, me plaît. Et je suis morte de trouille à l’idée d’être vulnérable.
J'ai envie de hurler de colère. Je fulmine contre Mathéo, contre Stan et contre moi-même. J'aurais dû me relever. Je n'aurais pas dû rester au sol. Je lui ai montré à quel point j'étais faible face à lui. Mais en même temps, quoi qu'il fasse, je ne peux que l'excuser. Il me rend vivante? Avec lui, je me sens belle. Je sais qu'il a de mauvais côtés, mais tout le monde en a, non?
Et Stan, il me rend folle. Folle de rage, folle de je ne sais quoi. J'aime être à ses côtés, j'aime me déchirer avec lui. Encore une fois, j'ai l'impression d'être quelqu'un. Quelqu'un d'assez important, il me porte de l'attention. Il est gentil quand il le veut, on se cherche. Je suis complètement perdue et le geste si cruel de Mathéo me déboussole.
Ça oui, je le sais. Depuis un an, il a tout fait pour moi. Il m'a aidée à vaincre ma plus grande peur : le regard des gens. Avant qu'il ne débarque dans nos vies, je me préoccupais sans cesse de ce que les autres pouvaient bien penser de moi. A cette époque, j'avais une peur bleue de Claire et de sa bande; je me laissais marcher sur les pieds par cette fille sous prétexte qu'elle était admirée de tous. Je crois que je ne me suis jamais autant rabaissée. Je n'avais plus aucune confiance en moi jusqu'au jour où Tim a quitté la bande de Claire pour me défendre, chose qui a dû l'anéantir car je la suspecte d'en pincer pour lui. Depuis ce jour-là, je sais que je peux compter sur lui.
J’ai cette grâce qui m’étonne encore. À croire que le destin m’a créé cette arme fatale pour mieux les anéantir. L’ironie du sort m’a pourvu d’un irrésistible charisme. Où que j’aille, les gens éprouvent une attirance incontestable en me voyant. Un regard admiratif, puis deux et trois. Jusqu’à ce que tout le monde ait les yeux braqués sur moi. Je sais, sans me tromper, ce qu’ils pensent de moi. Ils voient quelqu’un d’énigmatique, de déterminé, qui n’a pas peur d’atteindre ses objectifs. Mais, ce n’est pas la seule chose que je perçois. Je lis, dans leurs prunelles exaltées, un sentiment qui ne peut m’échapper. Une petite lueur qui ressemble étrangement à de la peur.
Comme tous les soirs depuis bientôt un an, après ces journées effroyables, je mens à ma mère. Je peaufine mes talents de menteuse. Je dissimule la vérité pour ne pas lui faire de la peine, car je sais qu'elle ne le supporterait pas. Je baisse les yeux de manière à ce qu'elle ne découvre pas mon mensonge. On dit souvent que les yeux sont les fenêtres de l'âme, dans mon cas, ce n'est que trop vrai. Par chance, ma mère est trop absorbée par sa manœuvre afin de sortir du parking pour y prêter attention. Je me détends un peu, encore une soirée où je ne me suis pas fait démasquer. Je m'accorde un moment pour regarder le paysage qui défile.
J'ouvre le tiroir du dessous en espérant y trouver autre chose et déniche une nouvelle série de photos. J'examine la première. Ce n'est plus cette fille intrigante, mais Stan. Il est seul et fait une grimace à l'objectif. Il a l'air heureux. Sur la deuxième, on le voit lui et cette blonde dont je ne connais rien. Elle est dans ses bras alors qu'il l'embrasse sur la joue. Je me surprends à sourire, j'ai toujours rêvé d'une relation comme ça. Mais cette fille me trouble, j'ai comme l'impression de la connaître, de me voir en elle. Cette expression, ces fossettes quand elle sourit, ces yeux bleus..
Il s'assied sur le siège d'en face. D'ici, j'ai le loisir de pouvoir l'observer. Il est brun, assez bronzé. Il me fixe avec insistance, gênée, je baisse la tête. Il a de magnifiques yeux, noisette, très lumineux. Si brillants, qu'il me semble percevoir des reflets dorés. Durant les cinquante minutes d'attente, je ne peux m'empêcher de lui lancer des regards. Auquel il ne répond pas. Dans les films tout aurait été simple, il aurait suffi d'un sourire pour qu'il vienne à ma rencontre. Sauf que la vie comme dans les films, n'existe pas alors au lieu de lui sourire, je détourne les yeux.
C’est mon meilleur ami depuis mon plus jeune âge. Au départ, entre nous, ça n’a pas été simple, nous nous détestions. Comme quoi entre l’amour et la haine, il n’y a qu’un pas. Ashton est grand, il me dépasse de presque deux têtes. Il a des yeux verts magnifiques, à en faire tomber plus d’une. Mais depuis sa plus tendre enfance, les gens se moquent de lui pour ses cheveux roux. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. En quoi est-il différent de nous ? En quoi une couleur de cheveux peut-elle définir le caractère d’une personne ? Je trouve ça stupide. Juger sans connaître.