Il y a un intérêt particulier à lire ce poète dont parfois, comme moi, on ne connaît que le nom et un extrait d'anthologie. Ses textes sont très paradoxaux: il existe une tension entre forme et fond, tension qui fait que parfois l'un et l'autre s'inversent.
Bousculé, taraudé des gens,
Des vélos à trompe d'argent,
Au bas d'un ciel couleur de rouille
En la rue des Quatre Sergents
Si les premiers poèmes semblent engoncés par cette forme classique, par un mètre bien défini et des rimes riches, bien vite l'imagination se libère : puissante, illuminée, fantaisiste, rieuse, potache même.
Oui ! Les rimes dérapent, débordent le sujet du poème, s'emparent du propos, le maltraitent et, de-ci de-là, atteignent l'absurde.
Colibacilles
Ô la nuit de tes cils.
Pénicilline
Ô tes joues de praline.
« My darling
Clémentine »
Fombeure possède un vocabulaire hors norme, il mêle à ses poèmes de nombreux noms propres et nous emporte dans la mer agitée d'une poésie de mots merveilleux qui dépasse l'attendu cortège de souvenirs.
Rue de 'Homme Armé -sans armes-
Rue du Roi Doré
Un arbre pleure ses larmes
Chuchote de tous ses charmes
Au fin fond de la forêt.
Le soir fument les guérets.
Rue Pastoureau et rue du Blanc Mantel
Rue Pastourelle et rue des Blancs Manteaux
Voici les rues, voici même,
Voici la ville
Un poète à redécouvrir dont les accents surréalistes ou même (oserais-je) Dada restent pourtant enracinés dans les lieux de son enfance et en empathie avec une humanité plongée dans l'absurde de sa vie mortelle et dérisoire.
Je porte le poids d'un monde
Qui mourra bien avant moi
Un poète à écouter qui dans la douceur enfin conquise, parle de son unique amour ("Ô mon pain quotidien, ma sereine merveille") rédempteur qui transgresse la mort.
Et ton cœur lentement chuchote jusqu'à moi
Doux comme une souris dans le palais des livres
Le rire silencieux de l'herbe déserte
Un poète fraîcheur dans notre monde perclus de convenances où plus rien ne se dit, ne peut se dire, que violences et cataclysme annoncé.
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Poète de lecture courante, directe,
vivante, Maurice Fombeure pratique
une poésie tout à fait abordable.
Il adore pasticher les vieilles chansons,
dans un climat de joyeuseté contagieuse.
Sa fantaisie narquoise est un vrai rafrai-
chissement poétique, sur fond de mélan-
colie.
Avec lui la poésie cesse de faire mal à la
tête.
Verdeur, pittoresque, virtuosité bonne
santé campagnarde, une « poésie aux
joues rouges » comme le remarque fort
justement Robert Sabatier, dans son
Histoire de la Poésie Française du XXème
siècle.
Paul Claudel dira de lui :
« il faut lire Maurice Fombeure, c'est
quelqu'un qui parle français, un certain
français, un certain vers français, clair
et gai comme du vin blanc, et aussi adroit
et prompt dans son empressement
dactylique que le meilleur Verlaine, la
veine de François Villon et de Charles
d'Orléans. »
Ainsi ces quelques lignes qui suivent :
" BONJOUR AU VILLAGE
FLEUVES sans armures,
Forêts sans roseaux,
J'entends vos murmures
Au fond de mes os.
Rois de l'herbe tendre,
Assurés trompeurs
Vivant de sommeil,
Émaillés de pluie.
Sur cette rosace
J'ouvre ma voix lasse
et je dis « Bonjour »,
Bonjour au village
Posé dans le jour,
Bonjour à l'écluse
Qui chante toujours.
Bonjour à l'armoire :
Elle est la mémoire
Des vivants, des morts :
Grand-père à lunettes
Grand'mère à bandeaux.
Les deux chats ronronnent
Au sommeil du feu,
Les poules caquètent
Sous les figuiers bleus.
Terre des prodiges
Terre des mirages,
O mes jours anciens
Au fond d'une enfance
Dont je me souviens,
Au bord d'une vie
Qui n'a pas donné
Ce qu'elle tenait
Dans ses mains amies.
p.7-8
" LES CHANSONS DES PAUVRES GENS
À Jeanne Thiébaut.
LES chansons des pauvres gens
Ne sont pas des chansons tristes,
Anneaux d'argent elles disent,
Fiançailles et roses blanches ;
Des fées au bord des fontaines,
Des princesses sur les tours,
Le rire y paraît à peine
Vite, comme naît l'amour.
Des prairies baignées de lune
Où dansent des rubans bleus.
Quand elles parlent des morts
La terre leur est légère.
La douleur des pauvres gens
Ne pèse pas sur leurs chants ;
Elle y vient comme elle passe
Sans tambours et sans emphases.
Les chansons des pauvres gens :
Les filles de la Rochelle
Y font la guerre en chantant
Sur un brigantin d'argent.
Les chansons des pauvres gens :
Sont fausses comme nos rêves,
Mais l'espoir y chante et pleure
Plus vivace que la vie.
p.19-20
" LES HÔTES DES FORÊTS
PHANTASMES de la fièvre
Fantômes de rouliers
Aux cabans étoilés,
Fuyant comme des lièvres
Les cris du premier coq.
À la lisière bleue
Des forêts frémissantes,
Fougères à longs cils
Clairières du silence,
Lente flûte des pluies
Les harpes du grésil.
Squelettes de sorciers
Couleur d'arbre et de terre
Au bissac de mystère.
O sombres besaciers.
Des cerfs maléficieux
Vous suivent sur la mousse
Bossus comme les cieux,
Ennuagés de mouches.
Carrefours des orfraies
Loin du carroi des routes
Des armées en déroute
Que d'effarants secrets
Chuchote à mots couverts
Cette orée frémissante.
Les chênes décharnés
Battant sur le ciel nu
De la branche et de l'aile.
Les pleurs des tourterelles
Si rauques ingénus,
Ou les cris reconnus
Des ageasses batrelles,
Hantent mes nuits des villes.
O forêts du délire
Vous soufflez dans mon cœur,
Du zénith au nadir
Tout constellé d'horreur.
p.21-22
" ENCORE UN MATIN
Dans les sidéraux interstices
Nous avons lu notre destin.
Prophète aveugle, aigle, aruspice,
Tout s'efface au petit matin,
Avec les brumes des guérets,
L'écharpe blanche des rivières,
L'étoile au front de la forêt,
Le vent qui secoue sa crinière.
Le premier cheval qui s'ébroue
Arpente le plan cadastral.
L'homme s'épaule d'une houe
Premier levé — c'est ordinal —
Le son des fontaines chantantes,
Le bruit vif et vide des seaux,
Le départ d'une heure éclatante
Sous les colombes, les Verseaux.
Du fond des songes et des toiles,
Je sentais dans le vent d'amour
Qui me transmuait jusqu'aux moelles
La promesse aveugle d'un jour.
p.34-35
" MUSIQUES DE LA NUIT
PENDANT que tourne au loin
Le quadrille des ombres
Sous la lune d'été
Roucoulent des tambours.
S'évaporent des flûtes
Aux plaines noyées d'eau
L'orgue de Barbarie
Remoud de vieux chagrins
Aux escales de lunes
Naissent de lourds soupirs
Trombones du silence
Olifants de la brise
Tout s'use, se récuse
Ainsi la cornemuse
Fêlure du sommeil,
De la mélancolie.
p.36-37
" FLEURS DE LA VIE
DANS ce domaine posthume
Où tu venais passer l'été
Et que des parents économes et obstinés
Pour toi avaient acheté en se privant sur le sucre et le café
Un hippogriffe hypocrite
Pose sa griffe aux fruits mûrs.
Le soldat dans sa guérite
Écrit : « M…. pour l'adjudant »
Par delà le jardin brodé d'abeilles
L'institutrice épèle
« P-h-i-l-o-m-è-l-e
« Femme changée en rossignol ».
Le forgeron bat son enclume
Sur les rotondes de la mer.
L'aube fraîche sent la moule
Ruisselant d'algues et d'échos.
Bon chrétien, fleur d'antiphonaire
Passe le baron des Adrets,
Sa moustache de mousquetaire
Coupe le vent comme un agrès.
Mais l'impalpable mélancolie
Tisse et veille sur tout cela,
Le vent souffle une embellie
Et le vaisseau fantôme nous tire sa bordée.
Les fleurs pourrissent dans les jardins,
On voit des ombres dans le soleil,
Le curé perd à la manille
— C'est la grande peur de l'an mil —
p.42-43
" AH ! RETROUVER
AH ! retrouver aux fenêtres bancales
Sur le coteau qui penche vers la mer
La floraison d'étoiles zodiacales
Et le cheval noir et bleu de la mer.
Ah ! retrouver aux sources où la lune
Sème ses pas sur le sommeil d'argent
L'éternité de chacun sa chacune
Sous les tilleuls aux soupirs indulgents.
Ah ! retrouver le respir de sa race
Au bord des feux, des silences d'hiver.
Nos pas anciens y laisseraient leur trace
Vers les forêts qui soufflent à couvert.
Ah ! retrouver les jolies catholiques
Qu'on admirait le dimanche matin
Aux prés fleuris de la mélancolique
Colchique où point un automne incertain.
Ah ! retrouver jusqu'au fin fond des âges
Le pain d'enfance et des larmes de sel,
Au seuil moussu de ces calmes villages
Où quelque coq s'enroue dans l'irréel.
Ah ! retrouver nos peines et nos jours
À l'écart de ce tumulte dément
En quelque coin de ce cœur lourd d'amour
Que la vie blesse et panse doucement.
p.56-57
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Dans toute société, c'est bien connu, il y a les généraux et il y a les trouffions. Mais comme disait ma grand mère, quand il s'agit d'aller... quelque part, il n'y a pas deux façons de baisser son pantalon. Eh oui, nous sommes tous pareils en ce bas-monde, les grands et les petits, les généraux et les trouffions, les Victor Hugo et les... Maurice Fombeure. Avec chacun son importance, chacun sa valeur, chacun son utilité...
Maurice Fombeure (1906-1981) n'est pas le plus connu des poètes français. Pourtant il vaut largement le détour. Essentiellement parce que c'est un poète de la terre et des champs, des villages et des fontaines, un homme épris des vieilles ballades et des chansons de l'ancien temps, un homme pour qui l'amour reste une magnifique aventure, un homme qui sait rire et sourire, et parfois pleurer, un homme enfin qui conjugue ses envies d'absolu avec une acceptation pleine et entière du quotidien.
Dans le diagramme de la poésie française, Fombeure est, disons, juste après Paul Fort et Francis Jammes, au même niveau que René-Guy Cadou et l'école de Rochefort. Autant dire qu'il est en bonne compagnie.
"A dos d'oiseau" est un recueil de 1942, actualisé et complété en 1971 : il se compose de plusieurs sous-recueils : "Silences sur le toit" (1930), "Bruits de la terre" (1937) et "Chansons de la grande hune" (1939). On y trouve ce qui fait la quintessence de la poésie de Fombeure, cette proximité avec la nature, les choses simples, les sentiments dénués de tout calcul (amour, amitié, nostalgie, foi) et toujours cet humour omniprésent, espiègle et malicieux, jamais méchant ou destructeur.
Fombeure n'est pas tout-à-fait un inconnu pour les écoliers. Peut-être vous souvenez-vous de ce poème magnifique (qui ne figure pas dans ce recueil malheureusement, mais que vous trouverez quand même dans les citations) :
LES ECOLIERS
Sur la route couleur de sable
En capuchon noir et pointu
Le « moyen », le « bon », le « passable »
Vont, à galoches que veux-tu
Vers leur école intarissable
Ils ont dans leurs plumiers des gommes
Et des hannetons du matin,
Dans leurs poches, du pain, des pommes,
Des billes, ô précieux butin
Gagné sur d’autres petits hommes.
Vous la sentez, l'odeur de la gomme neuve de la rentrée, celle des crayons, et le parfum de la maîtresse...
Fombeure est un poète populaire, et c'est justice, parce que, loin des grandes envolées lyriques, des messages philosophiques ou politiques, il s'attache à nous arrimer à notre quotidien à notre maison, à notre terre, et ça, ça n'a pas de prix.
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142 poèmes regroupés sous 3 sections, elles-mêmes subdivisées :
SILENCES SUR LE TOIT/CHANSONS DE LA GRANDE HUE/BRUITS DE LA TERRE.
Un amoureux de la langue,
recueil inauguré par une dédicace de Paul Claudel,
élogieux
"Quand on aime de tout son coeur la bonne vieille terre française, les villages français, les petites villes françaises, toutes les choses et tous ces êtres autour de nous qui parlent français, un certain français, un certain vers français, clair et gai comme du vin blanc, et aussi adroit et prompt dans son empressement dactylique que le meilleur Verlaine.La veine de Villon et de Charles d'Orléans."
Cet hommage à la terre française s'expose par les mots:
de la"cocarde",
du "coq",
"pays natal" Bordeaux" "de la musette",
références qui frôlent le céleste les "cieux" et "étoiles" "la Grande Ourse" parsèment le recueil ...
Et puis moi, qui adore les mythologies et cosmogonies en tout genre, je servie, "Jason" Ulysse"," les sirènes"...
Certains poèmes sont dépourvus de destinataires mais d'autres le sont, nommément les amis et complices, "à Jean Cocteau" "A.C" A Francis Bout-de-l'An"les femmes"A Carmen" etc...
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Magnifique et trop(beaucoup trop) méconnu............
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L'auteur raconte son enfance campagnarde et provinciale et sa découverte de Paris
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