Il attendait patiemment ; il savait que tôt ou tard un animal finirait par descendre au bord de l’eau pour se désaltérer, leurré par son bruit cristallin. Cinquante mètres derrière, se trouvait l’ancienne citerne, avec à demi effacées ses lettres RIPOIL, tandis que les ombres des feuilles de platanes venaient foncer la couleur rouge-brun de la rouille. Des trous s’étaient ouverts dans le métal, une épaisse couche de feuilles pourries à l’intérieur s’était transformé en humus, et l’ancienne citerne était pleine de vie : des insectes, des rongeurs, des oiseaux qui allaient et venaient. La forêt de platanes près du fleuve avait accueilli avec compréhension l’étranger de métal, l’avait entouré et ombragé, et ses branches s’appuyaient sur lui et le traversaient.
Jusque dans les maisons les plus en ruine du village, vivaient encore des fantômes, qui dormaient sur les matelas moisis, qui palpaient de leurs doigts aériens les anciennes photographies derrière le verre poussiéreux ; les planches pourries grinçaient sans bruit sous leurs pas. Jusque dans les décombres : chez Thodoris Demiris, qui avait été l’un des premiers à partir, et où le toit avait fini par tomber et ou tout était démoli ; jusque chez Rina la fille à Liapis, et chez les Badimas, ou il ne restait plus des murs que des tas de caillasses et quelques vieux bouts de bois cassés ; jusque dans ces maisons vivait un vestige des fantômes, un souffle flou, dans les pierres écroulées.