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Critiques de Michèle Riot-Sarcey (12)
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De la catastrophe : L'homme en question du ..

L'autrice a rassemblé chronologiquement les essais de différents historiens et philosophes au sujet des réactions humaines face aux catastrophes, que celles-ci soient provoquées (guerres) ou pas (séismes, épidémies).

Bien entendu, ces réflexions m'ont parues inégales de par leur compréhension par le grand public.

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Histoire du féminisme

Académique, ce petit livre de la collection Repères tente une ambitieuse synthèse en 100 pages de l'histoire des idées féministes et d'une histoire événementielle, économique et sociale du féminisme dans le monde (mais surtout en France). J'ai été sensible aux premiers chapitres: les féministes de la Révolution française , et celles de l'autre révolution, 1848, qui ouvrent le débat jamais clos de l'universalité. Une belle généalogie du présent et des portraits aussi passionnants que brefs, Olympe de Gouges, Constance Pipelet, Flora Tristan, Jeanne Deroin... Le lecteur est invité à laisser libre cours à sa sérendipité. Le septième et dernier chapitre consacré aux années 70-2010 gagnerait à présenter un tableau synoptique des courants. Une absence: la misandrie radicale à la Solanas. Un regret: le point de vue franco-français, alors même que nous avons surtout brillé par nos contresens sur les théories du genre qui ont émergé outre-Atlantique. Le style universitaire, les faits égrénés dans la chronologie rendent parfois pénible la lecture de ce texte nourrissant, dense et dur comme un biscuit de mer.
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1848, La révolution oubliée

Le titre de cet ouvrage est bien trouvé. Coincée entre 1789 et la commune de Paris, la révolution de 1848 fait pâle figure.



Hélas, je ne pense pas qu'il contribue à sortir cet événement de l'oubli. En décalage avec l'histoire universitaire, ce livre choisit de multiplier les regards contemporains : George Sand, Lamartine, Daniel Stern, Tocqueville... Certes, on vit la révolution par les yeux de quelques acteurs. Mais leur langue a un peu vieilli.



L'intérêt de ce genre d'extraits est de comparer des points de vue divergents, puis de dresser un bilan analysant les principaux désaccords. Or les auteurs ne le font pas suffisamment, c'est bien dommage.
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Pourquoi se référer au passé ?

Le pire présent qui soit est celui qui abolit toute espérance



« nous avons voulu comprendre comment les acteurs de l’histoire s’approprient le passé et l’actualisent, le fixant pour certains, l’orientant vers le futur pour d’autres, par là même l’interprétant au présent dans une forme de vérité qui conditionne en partie la réflexion sur leur propre devenir ». Extrait de l’avant-propos.



Dans leur introduction, Claudia Moatti et Michèle Riot-Sarcey indiquent trois modes d’« intrusions conscientes du passé dans le présent », un relevant du modèle, le second pouvant être défini comme généalogique, le troisième servant à la légitimation de l’action. Trois discours et une « vision close et réductrice du passé ». Les auteures proposent un quatrième mode d’intrusion du passé : « Nous le désignerons ici sous le terme de « référence ». Deux notions, celles de « germe » et « d’origine », empruntées à Castoriadis et à Benjamin, nous ont permis de formaliser cette idée ». Il ya bien sûr des différences entre l’origine et le germe, mais ces notions expriment un rapport dynamique au passé, « un passé toujours inachevé, doté d’une possibilité infinie d’actualisation et qui constitue, au présent, une source d’action ».



Historicité, pensée du possible « à la fois comme part de la réflexion et comme constitutive de l’action », activation des possibles « dans les expériences passées », actualisation d’une idée envahissant et déstabilisant le présent… Origine et germe aident à « penser la façon dont le passé peut advenir dans le présent par-delà la continuité historique ».



Passé porteur d’espoir, qui ne peut être définitivement évacué de l’histoire, étincelle des expériences enfouies, ce qui n’a pas été pleinement réalisé, possibles recouverts ou masqués…



La référence comme association libre, entre présent et passé, « appréhendé à rebours et toujours fragmentaire », hors de toute continuité historique ou de récit linéaire. Référence et dimension politique, inestimable intelligibilité de cette histoire enfouie mais non effacée, force éclairante de ces possibles contenus dans les expériences d’hier. Pour « échapper au tragique re-jeu du passé ».



Je n’aborde que certains articles, n’ayant ni les compétences ni les connaissances sur les différentes périodes analysées.



J’ai notamment apprécié l’article de Gisèle Berkman sur Si c’était un homme de Primo Levi. « La question est donc : comment laisser émerger la référence au passé, lors même que celle-ci se voit, selon un délai plus ou moins long, occultée, recouverte par d’autres modes plus consensuels d’évocation du temps – ceux qui, replâtrant lacunes et discontinuités, leur substituent le leurre de l’homogène et du continu ? ». L’auteure parle des illusions de l’« histoire antiquaire », du passé culturel « encodé et encrypté dans une tradition », des strates de référence, du futur passé et des liens entre Dante et Auschwitz, « On assiste au retour en boomerang du passé mytho-poétique de Dante au cœur du présent concentrationnaire », de « signification urgente, pressante, décisive », des trouées fulgurantes, de pouvoir illuminant. Le titre de cette note est inspiré par ce texte.



« Dès 1789, la Révolution Française est perçue par les contemporains comme une rupture radicale qui transforme l’avenir en horizon incertain ». Caroline Fayolle discute de la réactualisation du passé antique pendant la Révolution française, « Le saut du tigre dans le passé » pour reprendre une expression de Walter Benjamin. Cet auteur nous aide à « penser de manière critique des concepts opératoires en histoire », à nous prémunir contre l’usure dégénérative du temps, à prendre en compte « la réactualisation d’un passé vivant qui continue à s’accomplir dans le présent », à mieux résister à « la catastrophe qui vient ».



« Pour dénaturaliser le présent et sa continuité indéfiniment prolongée, il faut lui opposer un passé qui figure la rupture et le possible ». Déborah Cohen analyse la référence au passé récent chez les révolutionnaires démocrates, ce qui fait que l’impensable « fut non seulement pensable, mais réel », un point d’origine pour un travail d’amélioration à reprendre, les inachevés pour redonner une dynamique au présent.



Au triste « Du passé faisant table rase », il me semble juste de rappeler que « Sous la table rase, les passés »… Quentin Deluermoz analyse les destructions d’églises pendant la Commune. Usages politiques et concurrents du passé, mémoire des lieux et des usages, iconoclasme anti-religieux, récupération de richesses au profit du gouvernement communal, « moines lubriques et fausses messes », réappropriations urbaines, transformation d’églises en club, « c’est-à-dire la transformation d’un lieu où la parole divine, par le relais d’un prêtre, descend vers les fidèles, en un autre, où des hommes et des femmes du peuple s’adressent à leurs égaux », pratiques carnavalesques, laïcisation de l’espace social ou sécularisation de l’espace public, actes plus riches que leur seule réduction uni-causale. Et des interrogations concernant par exemple « la relation entre discontinuité et profondeur temporelle », « modalités de production de sens », « articulation de la référence à une analyse plus sociale » ; dit autrement, historicité et politique…



« prendre date,ouvrir l’avenir, faire sédition dans le fil tranquille de la chronologie ». 1968. Ludivine Bantigny aborde « Le passé présent », « la référence à l’histoire au cœur de l’événement ». Elle revient sur les « Thèses sur l’histoire » de Walter Benjamin. Un texte riche, un support exceptionnel pour la réflexion. Être entendu·es, une « revendication de n’être ni oublié ni enterré », le choc de l’événement, ce qui rompt avec « une chronologie linéaire et placide », la mémoire ouvrière et révolutionnaire de longue durée, 1789, 1848, 1871, 1917, 1936, Louise Michel, la Catalogne libre, le groupe Manouchian, etc., l’élan pour reprendre les engagements, l’histoire comme révolution vivante « dont le cours parfois souterrain et enfoui resurgit au gré du présent », l’événement qui ne célèbre pas mais rend vivant, l’auto-organisation, la grève générale, les occupations d’usines, ces passés plus ou moins proches devenus d’actualité, la mémoire comme « arme contre le pouvoir et ses policiers », les sauts à travers le temps et la temporalité transformée, le temps intensif et ouvert aux possibles contre « le temps homogène, mécanique ». Je n’oublie cependant pas que que les références de certain·es plongeaient dans un passé « stalinien » peu émancipateur…



Je souligne aussi l’article sur la Grande Famine en Irlande, ses traces et les blessures profondes, l’absence de commémorations officielles et la mémoire de la dislocation sociale, la transmission sans bruit et sans éclats, la récupération « des lambeaux de passés, réels ou mythiques, qui permettent de faire face à l’inacceptable ».



C. L. R. James, les Jacobins noirs, les alliances anti-coloniales, Timothée Nay analyse la réception de la traduction des Jacobins noirs en 1950. Révolution coloniale et universalisme, « qui se bat pour la liberté doit défendre l’idée et la pratique d’une émancipation effective pour toutes et tous », légitime auto-détermination des peuples assujettis, cette gauche qui s’« obstine à ne pas considérer le problème colonial », des luttes « dont le cri revient du passé comme en écho jusqu’à demander aux dépens de qui l’unité des prolétaires a été proclamée », le prolétariat « sujet traversé, constitué même d’inégalités », le mouvement révolutionnaire des esclaves se libérant et pointant un impensé du projet émancipateur, « Cette interpellation vise à soutenir les luttes minoritaires et à rappeler aux sujets majoritaires la violence de leur histoire et de leur présent, et leurs responsabilités face à cette histoire ».



Michèle Riot-Sarcey propose en contrepoint, un texte « La modernité, entre utopie et idéologie ». Horizon des possibles ou clôture de la pensée, référence et héritage du passé, historicité de la production textuelle, utopie associée à la référence par sa dimension messianique, part de rêve et d’imagination créatrice, déni de l’histoire par les autorités pour mettre un terme à l’esprit de la révolution, drapeau de la vérité des mots, quête infinie de l’émancipation « incompatible avec l’ordre existant », aspiration à l’élargissement des connaissances, rapport au passé et rapport de sens, transformation interprétative réactionnaire de la révolution en fléau, évacuation des rapports sociaux et unification des citoyen·nes en « communauté fictive », idéologie et parti, substitution de l’émancipation des travailleuses et des travailleurs en émancipation du travail, collectif se substituant à l’émancipation de toustes. Comment ne pas souligner l’incontournable question de Theodor W. Adorno et de Max Horkheimer : « Pourquoi l’humanité orientée vers l’émancipation retombe-t-elle dans une nouvelle barbarie ? ». Et pourtant le souffle de l’émancipation s’est bien fait sentir au temps du « printemps arabe » et subsiste « malgré le massacre des peuples, syriens, en particulier », et, encore le « sens du mot liberté »…



« Les espoirs d’un passé brisé, détérioré par des idéologies de substitution, reprennent paradoxalement vie à la faveur d’une autre catastrophe qui se dessine à l’horizon d’une fin de l’histoire si ardemment souhaitée par le néolibéralisme »



Une autre façon d’aborder l’histoire, de se référer au passé, de refuser les mythes et la linéarité, de prendre en compte les crises et les brèches qui s’ouvrent, de penser les temporalités, de redonner sens à des événements, d’intégrer des éléments moteurs du passé présent à la transformation de l’actuel.
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De la différence des sexes - Le genre en hist..

« L’introduction du concept de genre a permis d’inscrire, dans la recherche historique, une démarche qui vise à dévoiler la construction sociale de la différences des sexes et ainsi de saisir la dimension politique de la domination entre homme et femmes. »



L’introduction de Michèle Riot-Sarcey explicite la thématique de l’ouvrage « Un autre regard sur l’histoire ». Il s’agit de remettre en cause la vision des vainqueurs, le « ce qui devait advenir, advint », la linéarité dans les processus historiques, l’utilisation a-historique de mots et de concepts ou la mise à l’écart des aspirations des individu-e-s ou des collectifs.



L’auteure souligne que différentes réalités s’inscrivent sous les mots, à commencer par les mots Démocratie, République, Souveraineté ou Liberté. De plus, il convient de ne pas oublier que « les notions de politique, de souveraineté, de démocratie restent au cœur des enjeux du présent où liberté et politique se combinent jusqu’au rejet, hors de l’histoire éponyme, de la majorité des individus qui forment les sociétés » et pour le dire plus directement « l’identification entre histoire et liberté aboutit à l’oubli des non-libres dans les récits historiques ».



A titre d’exemple doit encore rappeler le concept de « suffrage universel », longtemps réduit à la part masculine de la population et encore aujourd’hui limité aux « nationaux », sans oublier l’incapacité citoyenne jusqu’à 18 ans. J’ajouterais qu’il conviendrait aussi d’interroger le mot « individu », terme décrivant une certaine « modernité » dans les rapports sociaux, qui ne saurait être rabattu, sans confusion de sens, dans les situations sociales moins « individualisantes ».



Si les historiens ont fait l’impasse sur la « nécessité d’interroger la signification de notions politiques en usage dans les sociétés », le pari pourrait-être, aujourd’hui, de « Poser des questions que les contemporains ne se posaient pas » et d’utiliser « le genre » pour saisir la structure hiérarchique des sociétés. L’auteure souligne « Associé à d’autres outils d’analyses relatifs aux catégories de classe ou de race, par exemple, il contribue à penser la diversité des dominations ». Ainsi, il s’agit de ne « plus s’en tenir aux histoires que se racontent les contemporains » tout en gardant une « attention particulière à l’historicité », en s’appuyant sur les traces laissées par les expériences ou les pensées critiques. Bref « interroger le sens commun », les espaces d’assignation, les obligations, dans lesquels le sujet est pris, le processus d’enserrement et les moments d’émancipation des individus et particulièrement des femmes « Le je au féminin, plus qu’un autre, oscille entre elles et eux. »



Ce qui permet de « Circonscrire les différents lieux de pouvoir en fonction des enjeux, c’est à la fois échapper aux a priori historiques et aux références purement idéologiques. »



J’indique quelques éléments des trois premiers chapitres. Une étude plus approfondie des thèses érudites développées par les auteur-e-s nécessiterait d’autres connaissances que les miennes. Cela étant, même un-e profane tirera enrichissement de ces mises en perspectives.



Du premier chapitre est consacré à « La démocratie athénienne et les femmes ». J’en souligne deux des éléments présentés :



La démocratie antique n’est pas la démocratie moderne, l’égalité démocratique n’avait aucune prétention à l’universalité, la citoyenneté n’était pas une notion administrative,

Les femmes étaient membres à part entière de la cité, mais étaient écartées des instances de décision de la cité. La première exclusion, la plus fondamentale, « est celle qui isole les familles citoyennes des autres résidents de l’Attique » ou dit autrement « La logique sexiste de l’idéologie patriotique se développe à l’intérieur d’une autre catégorisation, qui la conditionne : celle qui sépare citoyens et non-citoyens, autrement dit individus inclus par filiation dans des maisons citoyennes – hommes et femmes – et tous les autres, étrangers et esclaves. Cette structure politique et sociale est sans doute la différence majeure qui distingue la démocratie athénienne de nos démocraties modernes. »

Le second chapitre « Le pouvoir dans la culture romaine » souligne les différences « entre notre notion moderne de père et le pater romain ». L’auteur souligne que l’individu romain n’est pas un individu au sens où nous l’entendons aujourd’hui et analyse l’acquisition du masculin («A Rome , on ne nait pas homme, on le devient »), versus la naturalisation de féminin. Il met au centre de la division politico-spaciale de la cité « la maison aristocratique ». La combinaison des ces éléments lui fait conclure que « seule une minorité de femmes et d’hommes peuvent se conforter aux normes du féminin et du masculin ». Aussi « une opposition dichotomique du masculin et du féminin est inapte à représenter le système symbolique du genre de la lointaine culture romaine si étrangère à la notre. »



La troisième partie nous parle de « La trisexualité à Byzance » qui n’était pas considérée comme « un ordre hors nature ». L’auteur détaille une analyse passionnante de cette organisation sociale qui a donné à Byzance un visage spécifique par rapport à l’Occident chrétien.



L’auteure suivante dans « Le sexe des anges au Moyen âge » analyse la montée en puissance du clergé et la « dégradation de la position des laïcs en général et des femmes en particulier dans l’Église et la société ». Elle nous montre, tout en décrivant les modifications du corpus dogmatique religieux (« se reconnaître comme pécheurs et non comme parfaits », changement profond de l’exégèse relative à Marie, imposition du célibat des prêtres ou de la théocratie pontificale), que « la société s’articule davantage sur les catégories sociales que sur les sexes ».



Les chapitres suivants sont consacrés aux « Hiérarchies dans l’Ancien Régime », société organisée en ordres, « La questions des femmes au XIXe siècle », ce siècle dont l’histoire s’est longtemps résumée à une lecture progressiste, distordant les réalités du colonialisme ou de l’exclusion des femmes et « Genre de la démocratie au XXe siècle ».



J’attire particulièrement l’attention sur les analyses de « toutes les ombres et les aspérités effacées dans le récit d’un XIXe siècle conquérant » d’Alice Primi. La révolution industrielle, la consolidation/institutionnalisation de la révolution bourgeoise, le dynamisme du système capitaliste détruisent et recomposent l’ensemble des relations sociales, inventent l’individu égal, libre et abstrait (même si l’auteure n’utilise pas ces termes). C’est aussi le siècle des révolutions de 1830, 1848 et ses citoyennes, 1871, des réalités ouvrières hors discours des historiens, le triomphe « des nouvelles normes genrées » (redéfinies à partir du dernier quart du XVIIIe siècle), de l’invention de la « nature féminine ».



C’est aussi le temps où les normes de classe et de genre se rejoignent « comme instruments d’uniformisation des comportements sociaux et de domestication de tous les individus ». c’est enfin le temps de « L’impossible émancipation des femmes ou le refus d’une société fondée sur la liberté et l’égalité des individus » pour citer un sous titre de ce texte.



Le livre se termine sur une analyse de Michèle Riot-Sarcey « Penser le genre avec Foucault ». L’auteur tout en rappelant que le concept de genre est étranger aux analyse de Michel Foucault, montre la pertinence de certaines de ces analyse et en particulier la destruction de la frontière entre privé et public.



L’usage du concept « genre » permet bien d’enrichir, voire de transformer les analyses historiques. Nous sommes ici très loin d’un fil de l’histoire, sans aspérité, sans conflit, sans organisation sociale et politique, d’une histoire où les individu-e-s ou leurs rapports seraient immuables.



Pour conclure, sur ces autres regards sur l’histoire, il convient encore et toujours de ne pas oublier « que céder n’est pas consentir » comme l’énonce si bien Nicole Claude Mathieu. Les « individu-e-s » ne sont jamais passives ou passifs face aux organisations sociales qui s’imposent à elles ou eux.
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1848, La révolution oubliée



Un livre qui nous parle d’aujourd’hui.

En 1848, à Paris, vont s’affronter deux visions de la République. Celle de l’ordre contre celle de la justice sociale.

L’une est opportuniste. Quelque que soit le régime. Monarchie ou empire, du moment que la propriété est respectée.

L’autre est le moteur de l’histoire. Celle du peuple qui souffre. De la classe ouvrière naissante. Qui bouscule et renverse. Qui initie mais ne concrétise pas.

Victor Hugo, Karl Marx, Gustave Flaubert, Georges Sand, Tocqueville, Larmartine, et bien d’autres sont témoins ou protagonistes des évènements de 1848.

La France s’agite sur des banquets populaires car le droit de vote est restreint à ceux qui paient et qui possèdent. La monarchie de juillet, compromis libéral de la monarchie constitutionnelle est dans la tourmente. Devant une situation incontrôlée, le 23 février, Guizot, le chef du gouvernement démissionne. Le roi Louis Philippe tente d’appeler le maréchal Bugeau, conquérant de l’Algérie aux pratiques sanguinaires. L’apprenant, le peuple prend mouche et précipite la chute de la monarchie.

Ce sont les habitants des quartiers populaires de Paris qui se déversent aux tuileries, tout en retenue. Le roi fuit. Un gouvernement provisoire se créé et proclame la République. La révolution débute dans un esprit de camaraderie et d’espoir.

Les mois qui suivent verra l’affrontement de deux Républiques. Celle de l’ordre, portée par les Républicains du « lendemain » (ancien monarchistes) et celle des clubs et des ouvriers qui la veulent sociale car répondant aux besoins du peuple. Du travail et des salaires. L’impossible !

Le livre suit les événements quasiment jour par jour pour exposer l’usurpation d’une révolution et l’appropriation d’une République grâce à la France rurale tenues par les notables car prescripteurs auprès des paysans.

Un livre pour comprendre que la classe qui possède n’a peur que d’une chose, la peur du partage.

Un livre qui termine par une guerre civile et un bain de sang de la bourgeoisie et des possédants venus massacrés de leurs mains, un peuple de Paris en insurrection face au vol de ses espérances. Les chiffres vont de 4 000 à 10 000 morts. Bien plus que la terreur de 1793.

Une révolution à oublier pour les anciens monarchistes, devenus républicains opportunistes puis laquais de l’empire.

Une révolution à oublier aussi pour le camp des progressistes devant les occasions manquées ou tout était possible.

PS : Vous y découvriez aussi un Victor Hugo des plus méprisables pour les miséreux. Comme quoi les personnes peuvent (aussi) changer en bien.

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1848, La révolution oubliée

Un excellent livre d’hIstoire qui allie l’érudition universitaire au sens du récit romanesque.

Les auteurs ont pris le parti de donner la parole aux contemporains journalistes, écrivains, hommes politiques pour raconter au jour le jour les bouleversements de l’année 1848 et l’éphémère seconde république qui a suscité des espoirs vite étouffés dans le peuple.

Magnifiquement illustré ce bel ouvrage sur papier glacé éclaire une page mal connue de notre histoire de France qui s’est refermée sur le triomphe de la bourgeoisie toute prête à accueillir le Second Empire et l’industrialistation du pays qui conduira a la modernité.

On croisera au fil des pages Lamartine bien sûr mais aussi George Sand passionnée par les débats politiques animant son temps, Alexis de Tocqueville dont les commentaires apparaissent très pertinents mais aussi les déshérités ceux qui vont mourir sur les barricades de juin au nom de leur idéal, ceux qui se battront pour que la fraternité l’emporte...

Un beau livre à lire ,relire et offrir à tous ceux qui aiment l’histoire et s’interessent a ce siècle quia connu tant de changements politiques et économiques.
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1848, La révolution oubliée

En introduction, les auteur-e-s interrogent les séquences historiques enseignées aux élèves de l’État français et soulignent que celles-ci « n’aident pas toujours à comprendre que la notion de république est bien loin d’avoir suivi un cours tranquille. »



Contre la réduction institutionnelle de 1848 à la révolution de février, Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey analysent « Deux temps contrastés dominent la courte histoire de la révolution de 1848 : la joie de février et l’incroyable carnage de juin ». A la valorisation du résultat, il et elle décrivent le processus et les « espoirs des insurgés ». Contre une exposition des faits détachés de leur historicité et une fausse continuité toujours reconstruite, il convient en effet d’opposer que « l’événement est porteur de possibles dont la signification est le plus souvent perdue. »



Les auteur-e-s choisissaient une « écriture de fiction » pour nous parler de cette révolution oubliée, en utilisant de nombreuses sources, y compris littéraires.



Contre l’universalisme tronqué, Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey n’oublient pas « les quolibets qui accompagnent la campagne en faveur des votes de »tous et toutes » », les positions majoritaires critiques des socialistes à l’égard du vote des femmes et « l’aversion singulière de Proudhon à l’encontre de toute candidature au féminin. »



Février est aujourd’hui « paré de la couronne républicaine », « détaché de la guerre »servile », au profit d’une République lavée de tout soupçon insurrectionnel ». L’histoire officielle consacre l’oubli du « droit des ouvriers de s’occuper de leurs propres affaires en mettant en œuvre la souveraineté populaire » ou pour le dire autrement du « gouvernement direct des travailleurs ».



Contre les visions unilatérales et les valorisations sans nuance de la république, très prégnantes y compris dans une certaine gauche, il convient de se souvenir à la fois du « Temps des possibles », du chemin « De la république sociale à l’impossible république » et de « L’insoutenable émeute » de juin 1848. La force subversive de la république démocratique et sociale était et reste incompatible avec la république tout court.



A compléter les textes sur le même sujet parus dans Contretemps (N°6, Paris juin 2010, Editions Syllepse) : 1848 Au commencement était l’espoir (Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey) et Karl Marx, Fredrich Engels et les révolutions de 1848 (Michaël Löwy)



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Le genre en questions

S’interroger sur le consensus à faire du consensus le lien nécessaire de la politique



« Longtemps rejetée par la discipline historique, la notion de genre a beaucoup évolué et son usage, toujours en mouvement, fluctue en fonction des enjeux de la recherche. En histoire, le concept sert généralement à mettre au jour les relations de pouvoirs entre les hommes et les femmes et aide à interroger la construction sociales des identités ». Dans son introduction – Qu’est-ce le genre ? Comment le penser en histoire ? – à ce recueil de textes, Michèle Riot-Sarcey aborde, entre autres, la complexité, le refus d’une « réduction à un déterminisme supposé naturel des corps des personnes, de leur sexualité comme de leur fonction sociale », les catégories et les classifications, « reconsidérer les catégories dites représentatives sous l’angle des rapports de domination qui les traversent », les bouleversements sociaux, la réalité en tension « voire conflictuelle » entre les sexes…



Une interrogation : « si les événements du passé étaient soumis à la question du genre, pourrait-on envisager de réécrire l’apprentissage de la République, d’en dessiner une autre histoire en repensant la démocratie, dans son principe comme dans sa pratique ? »



L’autrice discute de la structure hiérarchique des sociétés, de l’évolution du sens du mot genre, des imbrications de relations de pouvoir, de consubstantialité des rapports de pouvoir, de savoirs situés, d’intersectionnalité, « C’est alors qu’ont émergé des pratiques et des paroles rendues muettes sous le poids d’une histoire continue qui fut imposée par l’interprétation univoque de tous ceux qui contribuèrent à l’élaboration du sens de l’histoire ».



Elle souligne le caractère novateur de la recherche menée « sur la construction sociales des sexes et la fabrique des corps », le penser de l’impensable (Christine Planté), les résistances, les constructions des identités individuelles et collectives, les rapports conflictuels à l’autre, la nécessaire prise en compte de l’historicité. Les personnes ne peuvent jamais être réduites aux comportements assignés ou contraints, d’où les notions d’agency ou d’empowerment.



Michèle Riot-Sarcey parle aussi des spécificités des objets étudiés, d’oppositions à l’encontre des dispositifs de pouvoir, de fragmentation du mouvement de pensée..



« Dans cet ouvrage, le genre a été saisi comme concept : il questionne les rapports de pouvoir entre hommes et femmes et m’a permis de repenser l’histoire des constructions identitaires en interrogeant l’universalité des principes énoncés, en leur temps, par les différentes révolutions ».



L’autrice invite à penser autrement l’histoire, à dépasser la fragmentation de ses objets, à prendre en considération les voix d’héritières des sans noms, à provoquer plus que des entailles « dans la carapace du politique » et de l’« autorité masculine », à refuser que les théories féministes et les études de genre soient reléguées « au second plan des débats et des luttes comme des constructions alternatives », à conquérir l’espace public comme lieu d’intervention et d’expression de la démocratie…



Les différents textes sont regroupés en trois parties : « Quand le genre n’était qu’un concept », Pouvoir et politique, Genre et écriture de l’histoire.



« Ce recueil d’articles, écrits dans des conjonctures particulières et en fonction des enjeux historiographiques, théoriques et politiques du moment, peut contribuer, je l’espère, à cette réflexion critique… »



Des textes d’une lecture souvent passionnante pour interroger le pouvoir, les pouvoirs, la politique, la démocratie trop souvent réduite à la représentation, « Le seul espoir d’exercer le pouvoir contre les règles du système, c’est de le détourner, en dévoilant « l’illusion » du pouvoir fondé sur le modèle de la représentation « une et indivisible », pour imposer une représentation diversifiée des individus, tous différents les uns des autres », les rapports sociaux de sexe, le genre, « Encore que l’analyse des rapports de sexe n’est pas l’équivalente d’une réflexion sur le genre « au singulier » qui « permet de déplacer l’accent, les parties divisées, vers le principe de partition lui-même » et dont la « hiérarchie est un aspect constitutif » », le féminisme, l’historicité de tous les rapports sociaux, le principe espérance, l’écriture de l’histoire, la démocratie en devenir…



Je termine par deux citations extraites du dernier texte proposé :

« Fonder une démocratie suppose des mandats électifs, en rotation permanente, représentatifs d’une réalité sociale au devenir beaucoup plus égalitaire »

« Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’u autre, quelle que soit sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré le sien » (Condorcet en 1790 cité par l’autrice.




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De la catastrophe : L'homme en question du ..

La part humaine dans des événements inouïs



Dans son introduction, Michèle Riot-Sarcey parle, entre autres, des fragments, des moments historiques restés en mémoire, « nous abordons ces événements d’exception, ou pensé tels, à travers le regard des hommes qui l’interprètent en termes de catastrophe », de la multiplicité des regards et des analyses caractérisant ce livre, de Walter Benjamin et de Günther Anders…



« Toujours, le point de vue des contemporains est toujours privilégié afin de restituer au mieux la réception d’une catastrophe en prenant en compte l’initiative et la responsabilité humaine – une responsabilité qui peut-être collective, mais qui souvent, particulièrement dans les temps contemporains, incombe à des hommes de pouvoir – économique ou politique. Il nous a semblé nécessaire de faire face à la réalité d’une déshumanisation qui menace la planète et les populations dont la lutte pour la survie peut désespérer le reste d’une humanité qui s’estimeimpuissante face à l’énormité des défis actuels ».



Sommaire :



Michèle Riot-Sarcey : Introduction



Pierre-Antoine Fabre : Le Déluge



Michel Kaplan : 1204, la prise et le sac de Constantinople



Marilyn Nicoud : La Grande Peste de 1347



Gwladys Le Cuff et Karen Dutrech : Signes apocalyptiques, Florence 1500 et Naples 1631



Alejandro Madrid Zan : La conquête de l’Amérique, utopie et catastrophe



Paola Giacomoni : Lisbonne, 1755, les philosophes et la catastrophe,



Djiguatte Amédé Bassène : Traite et esclavage en Sénégambie, le marché d’esclaves de Marsassoum



Ibrahima Thioub : Stigmates et mémoires de l’esclavage en Afrique de l’Ouest



Jay Winter : La Grande Guerre ou la révolution de la violence



Christophe David : La requalification du progrès en catastrophe



Eva Weil : Traces psychiques, mémoires cryptées et catastrophes historiques



Paul Guillibert : L’effondrement, la catastrophe et la rédemption, réflexion sur la crise écologique



Jean-Paul Deléage : Fukushima ou la banalisation de la catastrophe nucléaire



Michèle Riot-Sarcey : Conclusion



Je ne vais pas aborder l’ensemble des articles. Je choisis quelques uns des thèmes traités. La notion même de « catastrophe » souligne la charge politique du regard et de la réflexion.



La prise et la mise sac de la plus importante ville de la chrétienté par des soldats chrétiens, 1204, Constantinople. Michel Kaplan revient sur la richesse de cette ville, son rôle, la place des vénitiens, les croisades… Constantinople prise et mise à sac par les croisés, une catastrophe matérielle et humaine pour les Byzantin·es, une transformation géopolitique (l’extension d’un nouvel empire, celui des Turcs ottomans), une catastrophe à l’échelle de la chrétienté (« les soldats du Christ prennent et pillent la plus grande ville de la chrétienté, y violent et massacres leurs sœurset leurs frères »). La chrétienté certes, mais comme le souligne l’auteur, cette catastrophe « est le fruit d’une logique économique implacable, celle de l’expansion de l’Occident et tout particulièrement de Venise » et le rôle de la religion dans le déclenchement de cette catastrophe est « infime, sinon nulle »…



Marylin Nicod aborde le milieu du XIVe siècle en Europe, la peste, la mort de plus d’un tiers de la population, un événement et « sa construction sociale et culturelle », les grilles de lecture, la longue conjoncture de crises, la recherche d’explications rationnelles, les discours médicaux et les réflexions sur la maladie (le bacille ne fut identifié qu’à la fin du XIXème siècle)…



Alejandro Madrid Zan analyse la conquête de l’Amérique, les rapports entre utopie et catastrophe ou entre rencontre et génocide (pour utiliser un terme actuel), les (non)-lieux d’énonciation, la domination en acte et l’invention d’un nouveau « discours de vérité », ce qui se cache derrière le terme « nouveau monde », l’espace abstrait de la mondialisation et les formes de déterritorialisation, la dénégation de la totale humanité à certain·es êtres humains, la singularité… « Repenser la colonialité dans ses effets ante- et postcoloniaux, permettrait de penser autrement l’histoire des vaincus, qui fut inaugurée par une des grandes catastrophes du monde – celle de la conquête dudit Nouveau Monde ».



Paola Giacomoni discute des philosophes et de la catastrophe, de la désintégration d’un élément porteur de sens, de désagrégation du monde, du tremblement de terre à Lisbonne en 1755, de caractères discontinus et irréversibles, du meilleur des mondes espéré, de regard universel et cosmopolite, du désordre, de scepticisme, « La catastrophe n’est pas un destin », du possible et non de l’inéluctable… « La catastrophe est avant tout un élément dynamique, transformateur, malgré sa dimension inquiétante de discontinuité destructive ».



Djiguatte Amédé Bassène revient sur la traite esclavagiste « une catastrophe globale » et plus particulièrement sur Marsassoum, « le rendez-vous des marchands du cheptel humain », la revivification et la portée à un stade jusque-là jamais atteint de la pratique servile par les puissances européennes et les autorités locales africaines… « La barbarie, l’horreur de la traite et de l’esclavage ont semé en Afrique, et notamment en Sénégambie, les germes du chaos, de la souffrance et du désordre, tant au niveau des communautés familiales, locales qu’au niveau politique des Etats, provoquant des expropriations, des famines et l’effondrement moral des populations touchées ». L’auteur souligne qu’un siècle plus tard, aujourd’hui, « l’idéologie de l’esclavage est toujours prégnante dans les sociétés sénégambiennes ».



Le travail de mémoire autour des catastrophes est politiquement important. Il reste insuffisant face aux inscriptions au présent des effets des catastrophes passées. Il convient d’interroger l’ensemble des constructions, des relations, des acteurs dans leur complexité.



J’ai particulièrement été intéressé par l’article d’Ibrahima Thioub sur les « Stigmates et mémoires de l’esclavage en Afrique de l’Ouest ». L’auteur souligne que l’esclavage n’est pas une simple privation de liberté, mais vise « intentionnellement à dépersonnaliser, désocialiser et déshumaniser la victime pour en faire d’abord une marchandise ». Une institution sociale, une construction d’une altérité identitaire radicale des victimes, une fabrication de marqueurs identitaires comme la couleur de la peau ou le sang. Il ajoute que les mémoires dominantes de la traite et de l’esclavage ont réussi à rendre inaudible les voix des victimes d’hier ainsi que celles de leurs descendant·es aujourd’hui, que les sociétés bénéficiaires des traites exportatrices africaines ont construit une « politique du silence ». L’auteur aborde, entre autres, les légitimations européennes de la colonisation, le mode de production esclavagiste, la prégnance contemporaine des pratiques esclavagistes dans « le monde arabe », la difficulté à étudier l’esclavage interne aux sociétés africaines, la persistance de l’esclavage actif ou passif dans beaucoup de sociétés africaines, la naturalisation des processus esclavagistes dans les écritures de l’histoire par les « vainqueurs » et le refus de penser l’historicité de ces processus. Il traite particulièrement de l’ambiguïté des politiques abolitionnistes de l’ère coloniale à l’Afrique contemporaine, de l’institution servile et des enjeux économiques, de l’« esclavage de case », des pratiques esclavagistes inscrites dans la durée, du déni de l’esclavage domestique, des régions où sévit l’esclavage actif, de la transmission « par voie d’hérédité biologique » du statut servile, de la « place » des descendant·es d’esclaves et de leur stigmatisation, de l’efficacité des bases idéologiques de l’esclavage, de la notion de « pureté de sang », du poids de la généalogie, des discours négationnistes, de la réduction de l’esclavage à la traite atlantique, des mutations induites par la domination coloniale, des trafics d’enfants, de la « production de mémoires victimaires ciblant les traites exportatrices qui ont servi à mettre un voile efficace sur les réalités contemporaines »…



La Grande Guerre. Comment ne pas interroger l’image persistante de l’Angelus Novus de Paul Klee, l’ange de l’histoire de Walter Benjamin. Jay Winter parle de la « révolution de la violence », la submersion des digues cantonnant l’exercice de la violence militaire, l’artillerie et les meurtres de masse, l’atteinte mortifère des populations civiles, « la fin de la distinction entre cibles militaires et cibles civiles », la guerre comme instrument de disparition, le front comme « lieu de tuerie, mais aussi de disparition », les effets de l’industrialisation de la violence, l’épidémie de « grippe espagnole », les millions de morts dans l’oubli, le vocabulaire nouveau de la criminalité d’Etat (je m’interroge toujours sur la glorification de ces généraux, criminels en chef, responsables des tueries, sans oublier les milliers de fusillés pour l’exemple et les bombardements de « leurs » propres lignes de front – de « leurs » tranchées » pour obliger les soldats à mourir), les déplacements massifs de population et la recherche de la « cinquième colonne » ou de l’ennemi intérieur (dont la version « turque » se traduisit par le génocide des populations arméniennes), la naissance de la guerre chimique, la boucherie humaine à Verdun. L’auteur analyse aussi les liens entre la guerre, la révolution et la violence, l’irruption des civil·es, le continuum entre guerre et guerre civile, les politiques d’anéantissement, la violence contre la révolution, les paroles des foules… Il termine sur les sites commémoratifs, les cimetières, les sites de bataille, les musées de la guerre, la sélectivité et la censure des musées mémoriaux, la non-neutralité de la mémoire construite par les institutions…



Pause, relire Walter Benjamin. Thèse IX



« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule «Angelus Novus ». Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe de son regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel.Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »



Réfléchir sur le « progrès » et la catastrophe, l’horizon limité de chaque époque, les effets de la révolution industrielle, Hiroshima, « L’étranger ne peut rien voir à Hiroshima parce que, justement, il n’y a rien à voir à Hiroshima », ce qui lie les catastrophes entre elles, la destruction industrielle des populations juives en Europe et la destruction atomique de populations japonaises, les sites industriels capables de produire des cadavres par millions, « nous ne sommes pas aujourd’hui d’abord des êtres mortels », mais des êtres « tuables » » (Günther Anders).



Des mort·es et des survivant·es, des « descendant·es » de survivant·es des catastrophes, des individu·es et les dimensions collectives, les débats et les intrications des traces, le refoulement et les traumatismes, les générations amputées, les généalogies à trous, « ressaisir la place de l’Histoire dans sa filiation brisée pour les survivants et leurs descendants »…



La dépolitisation par la notion d’« effondrement », la survalorisation de choix techniques, les conceptions téléologiques de l’histoire, celles et ceux qui s’arrogent le droit de « juger des pratiques sociales » d’un point de vue non situé – comme hors de l’histoire, les nostalgies réactionnaires d’un passé, magnifié, la « nature » naturalisée et le refus de la dispute politique, la prégnance apocalyptique jusqu’au cœurde la sécularisation…



Jean-Paul Deléage revient sur Fukushima et la banalisation de la catastrophe nucléaire, les mensonges atomiques, la construction industrielle de la privatisation énergétique, les recours aux chaines de sous-traitance, les campagnes de désinformation, les migrations forcées de population, « nous sommes tenus à un travail de vérité car il en va de notre survie et de notre dignité d’êtres humains »…



En conclusion, Michèle Riot-Sarcey parle, entre autres, de l’actualité de la catastrophe, de l’insaisissable temps pourtant si proche des survivant·es des camps de la mort, de relectures du passé, de l’ère des techniques et du progrès pensés hors de la politique, de l’enfouissement de l’idée d’émancipation, des autres voies possibles, du retour du commun, « S’efforcer de retrouver le goût de la liberté de tous et de l’action critique publique, à condition toutefois de puiser dans les expériences en cours, dont le renouveau est riche d’un potentiel concret, la substance d’une élaboration théorique vers la construction d’un autre monde en devenir ».



Les catastrophes sont inscrites dans l’histoire, leurs effets sociaux peuvent être analysés, aussi inouïs paraissent-ils. La sidération ne saurait justifier le désarmement de la pensée. L’industrialisation de la guerre – la catastrophe écologique aussi – a bien quelque chose à voir avec l’accumulation du capital ; la notion de « pureté de sang » avec la biologisation des relations sociales ; les « dérèglements naturels » ou les « punitions divines » avec le refus de s’affronter aux constructions sociales et aux dominations. Reste aussi à interroger le « sexe » de la catastrophe ou, pour le dire autrement, sur ses effets genrés.




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Le procès de la liberté

L’insurrection ouvre le devenir social vers un possible inimaginable jusqu’alors



Pour commencer, un petit pas de coté. Cette note aurait pu avoir comme titre « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », phrase de René Char citée par l’auteure. Et totalement adéquat à son propos.



Mais j’ai récemment utilisé cette phrase dans une note de lecture, Florence Johsua : anticapitalistes. une sociologie historique de l’engagement.



Je souligne aussi, la forte référence des deux auteures à Walter Benjamin. Les rêves/aspirations du passé sont bien présents dans la recherche d’alternatives radicales à l’ordre/désordre de notre monde…



Dans une belle introduction, « Pour une histoire discontinue », Michèle Riot-Sarcey parle, entre autres, du devenir du passé, de se départir « du récit linéaire et de l’enchaînement des faits », de l’histoire des dominé-e-s, du « chaos événementiel » et de ce qui subsiste, de fragments de vies oubliés, de celles et ceux qui n’ont pas accédé « au statut de sujets de l’histoire » sous la plume des historien-ne-s « officiel-le-s »…



« Il ne s ‘agit plus d’effectuer un pas de coté ou d’examiner des pans du passé oublié, mais de sortir de la continuité historique qui estompe, efface, écarte l’essentiel des événements non advenus ou encore inaccomplis. Des actions et des idées de toutes sortes, foisonnantes, ont surgi au cours de l’histoire puis ont disparu, non seulement de la connaissance du passé mais également des mémoires. Il serait certes totalement présomptueux d’imaginer pouvoir, un jour, les récupérer toutes dans leur diversité. Mais quelques pistes peuvent être ouvertes. »



Emergence du mouvement ouvrier, utopies, idéal démocratique, liberté « au sens où l’entendaient les insurgés du XIXe siècle », idées en actes, liberté individuelle inséparable de la liberté collective et non son rabougrissement libéral…



« J’ai souhaité, dans cet ouvrage, suivre les traces des pratiques éphémères de la liberté dans l’histoire du XIXe français, en découvrant les échos dont elles étaient porteuses dans le reste du monde – autant d’histoires oubliées, dans tous les continents, et qui restent aussi largement à écrire. »



Il s’agit donc d’emprunter, les yeux ouverts, les « chemins de la liberté », revenir sur cette révolution oubliée de 1848, remonter le temps de 1848 à 1789, réfléchir sur la façon dont l’histoire se fabrique, restituer « les significations en usage » dans leur historicité…



Première partie : L’esprit révolutionnaire de 1848 ou le temps des possibles



Deuxième partie : Les promesses de la liberté



Troisième partie : La liberté exclusive



Postface. Le procès de la liberté, questions de méthode



Sous le signe du « principe espérance » et comme en admirant un tableau de Paul Klee…



L’événement de 1848. La souveraineté populaire en acte, la campagne des banquets, l’idée de république, l’indéfectible liaison entre social et politique, la « république démocratique et sociale », les ouvriers libres de s’associer, la singularité de cet « universel masculin » obtenu en1848…



La plainte publique se transformant en pouvoir de s’exprimer librement, le renouveau de 1789, la solidarité entre travailleurs, le mot « communisme », les embrasements européens, « chaque portion du continent se mobilise à tour de rôle, avec pour revendication centrale l’accès à la liberté », le premier quotidien français féministe, la mise en œuvre d’une souveraineté pleine et entière, la réalité de l’égalité…



Le temps des associations, organisation du travail et organisation des travailleurs, les ouvriers associés, autonomie ouvrière, la liberté en acte, le mot fraternité « indissociable de la pratique coopérative qui réunit des individus égaux. Il qualifie alors une expérience inédite d’organisation des travailleurs libres », Pauline Roland, l’organisation sociale à venir, « des remémorations puisées aux temps immémoriaux d’une liberté promise »…



1848, les conflits d’interprétation, un héritage réellement « sans testament », Victor Considérant, « La question de la liberté, au cœur de l’événement, participe du mouvement même des associations », leur histoire et la notre, découvrir « des formes d’espérances inouïes dont on a négligé l’importance puisqu’il n’en reste rien », une république vidée de son contenu social, « une république pâle, aux accents démocratiques si ténus qu’ils sont à peine lisibles », l’ordre règne, la mort de la « république démocratique et sociale », l’importance de l’expérience émancipatrice des travailleurs insurgés, encore de l’historicité…



Les promesses de la liberté. Qu’est-ce qu’être libre ? « La capacité d’exister intellectuellement, socialement et politiquement », une constellation d’interventions et d’expériences, « Dans ces moments d’appropriation des principes émancipateurs – dans le temps actif, il est vrai très court, des révolutions dont il est à la fois l’acteur et le sujet -, l’homme libéré des entraves de la loi et des hiérarchies sociales, réconcilie le citoyen avec le souverain ; il reprend ses droits sans plus de distinction entre la société civile et la société politique », Pierre Leroux, « L’origine de la liberté universelle, pour tous et pour toutes, est sans cesse recherchée, mais n’est mise en œuvre que dans les interstices de l’histoire linéaire dans des moments d’exception, au temps des insurrections ou dans des périodes de déstabilisation du pouvoir établi comme entre 1830 et 1835 », l’individu humain « à la fois personne, travailleur, citoyen et souverain », la liberté exclusive, la spécificité des réclamations des « laissés-pour-compte de la Révolution », encore Walter Benjamin, les résonances actuelles…



Réminiscences, la liberté en éclats de 1789 à 1840, cette « renaissance des espérances si longtemps retardées », la défense des possédants, « le droit d’association découle directement de l’exercice conscient de la liberté »…



Les visages multiples du « peuple », le passé recomposé, l’irruption des prolétaires et les révoltes des canuts, droit à l’insurrection et souveraineté pleine et entière, les pratiques concrètes des ouvriers réunis, « séparer les revendications sociales des revendications politiques ne fait sens qu’aux yeux de ceux qui, avant et depuis la Révolution française, étaient ou sont devenus des hommes vraiment libres », les droits politiques et le pouvoir de les exercer dans l’espace social et politique…



George Sand, Daniel Stern, deux femmes au pseudonyme masculin, l’insurrection comme « juste protestation contre la violation d’un droit », Henri de Saint-Simon, le droit de propriété, les saint-simoniennes, « il n’y a pas d’émancipation du peuple sans les femmes », Adolphe Thiers et la fabrique de l’histoire, les dénégations des sujet-te-s révolutionnaires, le gommage des aspérités, « La distance apparaît béante, car un temps infini s’est écoulé entre février 1848 et mai 1949 »…



La liberté exclusive. La « dangerosité » des classes laborieuses, Baudelaire, Flaubert, Courbet. Victor Hugo, l’effacement de la liberté émancipatrice, « les blancs du grand écrivain », toujours une fabrique de l’histoire, « L’idée républicaine s’est délitée en perdant ses formes populaires et n’est plus qu’un simple moyen de gouvernement », la transformation du mot « fraternité », Anthime Corbon, l’association ouvrière, la confusion entre liberté concrète et libéralisme, « La domination sociale, séparée du politique, sera réalisée en toute impunité d’autant mieux que le sens du mot liberté sera confisqué par les seuls détenteurs de la souveraineté dans l’exercice du gouvernement des hommes »…



L’Association internationale des travailleurs, la République, la fabrique de la liberté républicaine, cette révolution sociale qui aurait été accomplie « une fois pour toutes » en 1789, comment la république évacue la « question sociale », le juste rappel que « l’émancipation se conquiert et s’accorde pas », la continuité fictionnelle de l’historiographie républicaine « dont la mise en œuvre repose sur le déni d’une historicité conflictuelle et d’une domination récurrente qui, infiniment, se renouvelle », la famille, les membres de l’Internationale majoritairement contre le travail des femmes (travail salarié faut-il le préciser !), la liberté… exclusive…



1871, la Commune de Paris ou la résurgence de l’esprit de liberté. Un récit non intégrable au récit républicain, Lyon, Marseille, Toulouse, « la revendication communale ne se distingue plus guère de l’organisation républicaine des quartiers parisiens », une réappropriation « des expériences du passé républicain dans l’accomplissement de ses promesses », souveraineté populaire et liberté en acte de chaque citoyen-ne, historicité d’un événement « insolite, voire inouï », le sens de la totalité des aspirations populaires, André Léo, l’oubli de la cause des femmes, la terrible répression des Kabyles insurgés…



J’ajoute, en contrepoint, l‘horrible Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, dont la construction fut décrétée par une loi votée par l’Assemblée nationale en juillet 1873 dans la cadre d’un nouvel « ordre moral » et pour « expier les crimes des communards » qui défigure toujours Paris et la mémoire des fusillé-e-s, des exilé-e-s, du peuple parisien.



Les années 1880 et 1890, la stricte séparation du politique et du social, l’association paniquée de la volonté populaire et de l’insurrection, la mise au second plan des pratiques ouvrières, l’autonomie, Fernand Pelloutier, la Fédération des bourses du travail, la grève générale, la Charte d’Amiens, le « ralliement socialiste à la république civilisatrice », l’Affaire Dreyfus, l’invisible… « il nous suffit de faire exploser la continuité historique qui trop souvent nous aveugle, pour retrouver ces « innombrables vérités latentes ». »



J’ai particulièrement été intéressé par la postface, « Le procès de la liberté, questions de méthode ». L’idée de souveraineté, les expériences fragmentaires et leur historicité, « le spectre de l’héritage sans le moindre testament historique », Walter Benjamin, la réhabilitation du contingent, « l’accès à la liberté, si rarement atteinte, constamment déniée, résiste cependant à l’ordre restauré », le foisonnement des idées et des pratiques conflictuelles…



Michèle Riot-Sarcey revient sur l’historicité, « penser l’historicité, c’est décrypter le processus de fabrique de l’histoire dans l’expérience conflictuelle des interprétations d’où émerge le sens commun, afin de retrouver le mouvement réel de l’histoire dans les conditions de son émergence », le possible après coup occulté, le passé enfoui, la résistance de la linéarité historique, celles et ceux qui sont le plus souvent parlé-e-s par d’autres, le mépris de la diversité du réel, le déni du conflit, le « progrès », les pensées de l’événement, le sens des mots, les traces des continuités invisibles, la « lucidité sans failles à l’égard des croyances et des pratiques totalitaires dont le XXe siècle a été le théâtre », la non-immuabilité de l’ordre…



« Le processus de remémoration fonctionne également comme moyen libérateur d’une longue histoire écrite à sens unique »






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Histoire du féminisme

Petit bouquin par le format, mais source compacte d'informations, un peu trop "manuel scolaire" sans doute pour certain.e.s.

J'ai regretté qu'on ne parle pas, même en quelques mots, des proto féministes antiques et médièvales. Mais sinon, trés complet, pour un livre de 111pages seulement! (Bon, d'accord, la police de caractére est trés petite...)

J'en recommande la lecture sans hésitations!
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