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Payot - Marque Page - Mohed Altrad - La Promesse d'Annah
" Tu es un Badawi. Comme ton père, et le père de ton père, et tout ceux qui, avant lui, ont traversé le désert. Si tu n'écoutes pas ton histoire, tu seras aussi léger qu'un nuage dans le ciel, tu ne pourras jamais te poser, aussi léger qu'une plume que le vent emporte au loin. "
Tandis qu'elle continuait de rappeler le passé, tout en faisant des projets d'avenir, il éprouva un malaise grandissant : l'impression confuse d'être un étranger chez lui.
Il découvrit alors, à sa grande surprise, que ce n'était pas Fadia, à proprement parler, qui s'était éloignée de son coeur, mais bien tout son passé et, avec lui, le pays qu'il avait sous les yeux, le désert dont il apercevait la lisière, au loin.
Sans regarder l'enfant, sans même s'en préoccuper, sans douces paroles, il avait délivré son message. Par sept fois il lui avait dit qu'il ne voulait plus d'elle pour épouse. Par sept fois il avait lancé une pierre sur la terre battue devant les témoins qu'il avait convoqué. il avait respecté les règles. Sa mère était répudiée, pour toujours. Comme cela, sans raison.
Il n’était plus à Raqqah, il n’était plus le petit Badawi dont on pouvait se moquer .C’est juste, la puissance le fascinait .Mais déjà, lorsqu’il était enfant, elle l’avait fasciné, et intimidé aussi, surtout parce qu’elle lui paraissait inaccessible
En France, il avait acquis, en quelque sorte, les manières d'être et de penser des Occidentaux, et de retour sur sa terre, c'est elles qui lui parlaient à l'oreille, lui murmuraient qu'il y était étranger. Il pensait à tous les immigrés qu'il avait rencontrés en France, aux illusions qu'ils avaient pu entretenir, à leurs rêves aussi.Il n'en connaissait pourtant pas beaucoup qui avaient envie de revenir dans leur pays d'origine.
A ses moments de doute, Qaher se demandait s'il trouverait jamais cette place qui lui échappait : Badawi à Raqqah, Syrien en France, travailleur étranger dans les Emirats, sans cesse, il était un étranger parmi les siens ! p.171
Il n'avait pas oublié mais il avait changé. Ou plutôt, il préférait dire qu'il avait grandit. Il savait, à présent, tout ce que vivre impliquait d'âpreté et d'efforts et que les rêves de jeunesse n'y avaient pas leur place.
Il était loin de la djellaba déchirée. Et pourtant, malgré les attributs qu'il arborait fièrement, le sentiment de revenir différent dans ce pays qui l'avait si souvent humilié et malmené, il gardait l'impression d'être écartelé entre sa culture d'origine et sa culture d'adoption. Il aurait voulu les garder ensemble, mais il ne réussissait pas à faire la jonction, il avait l'impression d'être spectateur de ses gestes comme s'il arrivait de nulle part, sans référence qui tienne, il était redevenu Maïouf, l'abandonné...
Au sud du fleuve vivait jadis de nombreuses tribus. Elles possédaient des chevaux, dressaient des tentes pour la nuit, et se déplaçaient au rythme des troupeaux en quête d'herbe rare. Parfois elles se regroupaient pour se protéger du froid cinglant de la nuit, ou de la violence de la pluie qui se déverse en quelques heures et fait reverdir les collines. Alors les tentes faisaient comme un village invisible au voyageur.