Citations de Nadia Galy (40)
En Corse, on dit que la femme fait l'homme et qu'après elle le ronge.
Le fuir, en finir avec sa puissance, sa rigueur, sa tribu, sa famille et sa Corse qui exsudaient de tous ses pores, cela lui avait paru à ce tournant de sa jeune vie le seul moyen de sauver sa peau.
La Corse ressemblait à un énorme animal endormi, [...]
Et son dilemme serait réduit à un titre de Corse-Machin : "Le coq de la Corse vend son frère aux poulets !"
Entre la peste et le choléra, il avait choisi la peste, à moins que ce ne fût le choléra.
A la sortie de la vallée de l'Ostriconi, au moment où on se demande si le ciel n'a pas coulé dans la mer, elle s'émerveilla comme elle s'émerveillait précisément à cet endroit depuis toujours.
Il avait fait un aveu, un énorme aveu, un aveu respectable, alors son frère devait l'absoudre.
Comment avait-elle pu ignorer sa propre condition de sgio, qui avait reproduit, quel qu'ait pu être son altruisme, le système qu'elle avait prétendu vouloir annihiler ?
Le corse se mêlait d'autant plus à la conversation, la crochetant, la pimentant, quand il ne la précisait pas. La langue ancestrale leur revenait naturellement, ils la parlaient chacun à sa façon, d'un -pieve ["canton"]- à l'autre, d'une région à l'autre et plus ou moins bien. Elle ressuscitait les émois, les frissons de la veillée (...) Le corse ouvrait les greniers, les caches dans les arbres et les sentiers des châtaigneraies où flottaient encore des odeurs qui n'appartiennent qu'au pays de sa naissance. Il était assorti aux maisons des villages jaillissant en émergences rugueuses et élémentaires. L'air, l'eau, le vent étaient faits des mêmes sonorités, et on ne fait pas disparaître l'air, l'eau, le vent. (p. 105)
Naître là où il était né imposait des devoirs envers les siens dès le premier souffle. (p. 142)
Dans son pays, la mort sublimait les paysages, des tombeaux olympiens parsemaient les coteaux dévalant jusqu'aux roches vertes qui lacéraient la mer. (...) la mort était un drame plus magnifié qu'ailleurs. (p. 143)
Il était pétri d'une Corse à l'ancienne qui donnait du poids à sa parole. (p. 154)
Les bars corses ayant dérivé outre-Corse ont de de tout temps permis au voyageur natif de survivre hors de l'Ile. (...)Ces antres où se retrouvent les îliens à la dérive sont le lieu du retour, le refuge où l'on prend du repos et le cabinet noir où se tissent les alliances et les empêchements. C'est dans la confrérie des comptoirs que les Corses du monde s'emplissent la bouche de montagnes, de rivières et de baies somptueuses. Rien ne les rebute, pas même l'amertume de cette île qu'ils quittent par milliers depuis que le monde est ce qu'il est, ni l'austérité des places de village. Ils n'ont pas peur de sa pauvreté éternelle. Ils n'ont peur de rien, même pas de sa sublimité, indispensable douceur flottant sur leurs incertitudes. C'st ainsi qu'en eux il n'y a plus de place pour quoi que ce soit d'autre, à part leur mère et un coin de ciel pur. (p. 223)
C'était surtout par sa plastique, son intelligence et sa vitalité qu'elle avait été mordue. Le fuir, en finir avec sa puissance, sa rigueur, sa tribu, sa famille et sa Corse qui exsudaient de tous ses pores, cela lui avait paru à ce tournant de sa jeune vie le seul moyen de sauver sa peau. Jamais elle n'aurait pu tout épouser à la fois. (p. 175)
Tout le monde savait ou allait savoir qu'il s'était exclu de son propre univers, qu'il était sorti de l'indivis familial. Il n'était plus sous le monolithe corse qui abrite et écrase à la fois. (p. 198)
Communiste enflammée, républicaine jusqu'à la racine, elle [ Toussainte] les a pourtant toujours combattus [ les nationalistes]. Toujours. Elle y a mis honneur, ferveur et détermination, ce qui ne l'a jamais empêchée d'en soigner certains, d'en protéger d'autres ou de fermer les yeux à des troisièmes. Elle a eu beau militer contre eux toute sa vie, elle était issue de la même agitation, faite du même roc, et leur appartenance à la Corse était supérieure à tout ce qui était terrestre . (p. 14)
On ne vient pas représenter le peuple français en Corse par hasard. Il faut le demander. Qu’elle n’ait pas su qu’il briguait la présidence de la collectivité territoriale au moment où elle avait fait sa demande était inconcevable. Peut-être était-il même déjà élu lorsqu’elle avait été traversée par cette idée confondante ! L’ambition, il ne voyait rien d’autre pour expliquer sa présence sur l’île. La cour d’appel de Bastia, la Corse, sa réputation de mauvaise fille de la République étaient un tremplin, on y prenait du galon après avoir requis avec fermeté contre de superbes voyous et de petites frappes, contre des assassins, des chapardeurs et de gentils fistons qui mettent leurs biens au nom de maman, la pauvre ! Sinon, pourquoi ? Pourquoi revenir ici, où elle savait à quel point elle serait observée ?
On va encore devoir se chamailler vous et moi, s’écria-t-il affectueusement tout en coulant un regard à ses cartes suivi d’un clin d’œil à Patrick. Ça va être le moment de sortir vos médailles ! L’indépendance, monsieur Perfettini, l’in-dé-pen-dance, on va la gagner ! martela-t-il, bras plié pour montrer la puissance de son biceps.
Bien sûr, la Corse avait été pillée de ses hommes, abandonnée, négligée, cachée comme on dissimule un membre cagneux, mais elle n’avait pas été colonisée comme l’Algérie ou l’Indochine. À ces authentiques par leur sensibilité et leurs convictions, même le marxisme n’avait pas été suffisant pour établir des fondements, une colonne vertébrale. Ils avaient aimé des chimères, des idées désordonnées, et cet amour s’était souvent achevé sur l’asphalte, dans le mouchoir moite d’une mère qui n’était faite ni pour pleurer, ni pour traverser la mer en direction des Baumettes, de Fresnes, de la Santé ou d’ailleurs.
Tout le monde se souvient encore de son fameux : « Je suis pour tout prendre aux bourgeois, à commencer par leur politesse ! » Tous les enfants autrefois entremêlés sur les bancs des écoles de Bastia s’agrègent maintenant sur les bancs de l’église. Coutumiers chacun de tous les autres, compères, amis ou ennemis pour autant que celle des enterrements furtifs aux confins déchiquetés de cette montagne surgie de la mer, ouverte à tous les vents.