Ce tome est le premier d'une nouvelle série se déroulant dans le domaine de Morphée. Une connaissance superficielle de la série Sandman de Neil Gaiman permet de mieux situer les personnages. Il comprend le numéro spécial The Sandman Universe 1, et les épisodes 1 à 6 de la série, initialement parus en 2018/2019, coécrits par Nalo Hopkinson & Dan Watters, dessinés et encrés par Dominike (Domo) Stanton, mis en couleurs par John Rauch, avec des couvertures de Sean Andrew Murray. Le numéro spécial est une création collaborative, sur la base d'un récit imaginé par Neil Gaiman, écrit par Simon Spurrier, Kat Howard, Nalo Hopkinson, Dan Watters, et dessiné par Bilquis Evely, Tom Fowler, Dominike Stanton, Max Fiumara, Sebastian Fiumara, avec une mise en couleurs réalisée par Mat Lopes.
The Sandman Universe 1 - Au cœur du royaume du rêve se trouve le château de Sandman. Au cœur de ce château se trouve la bibliothèque. Entre les hauts rayonnages, Lucien est en train de parler tout haut, comme s'il racontait sa propre histoire. Il s'arrête devant une place vide sur une étagère, incapable de se souvenir quel ouvrage jamais écrit occupait cette place. Il est interrompu par Mervyn Tête-de-citrouille qui l'attire à l'extérieur pour lui montrer une énorme faille dans le ciel. Ils sont rejoints par quelques autres dont Cain, Abel et Ève qui demandent à Lucien de faire appel au seigneur Dream (Daniel) absent pour le moment. Il touche son sigil (son masque) dans la galerie des Éternels mais rien ne se produit. Il dépêche donc le corbeau Matthew pour aller trouver le maître. Ce dernier traverse d'abord un rêve où il croise Dora. Puis il assiste au réveil de Timothy Hunter. À la Nouvelle Orléans, il observe le couple dLatoya et son amie Maggie, et les 2 filles Habibi et Lumi. Enfin, il discute avec un corbeau, resté seul dans le bar de Lucifer.
En 1989, Neil Gaiman entame une série titrée Sandman, et apporte une nouvelle manière d'envisager les comics mensuels. En 1993, l'éditeur DC Comics crée sa branche Vertigo et Sandman en devient le représentant emblématique. Plusieurs miniséries en découleront, dont celle de Death écrite par Gaiman, ainsi que des séries plus longues comme Lucifer, une première série The Dreaming (1996-2001, 60 épisodes). La série Sandman s'arrête au numéro 75 en 1996, l'auteur étant arrivé au bout de son histoire. Après quelques histoires éparses (dont l'extraordinaire The Sandman: Ouverture en 2013-2015, avec JH Williams III), les responsables éditoriaux de Vertigo/DC convainquent Neil Gaiman de collaborer à un numéro spécial pour lancer 4 nouvelles séries : celle-ci, Books of Magic Vol. 1: Moveable Type (The Sandman Universe) par Kat Howard & Tom Fowler, The Dreaming Vol. 1: Pathways and Emanations (The Sandman Universe) par Simon Spurrier & Bilquis Evely, Lucifer Vol. 1: The Infernal Comedy (The Sandman Universe) par Dan Waters et Max & Sebastian Fiumara. Ce premier épisode (présent dans chacun des 4 premiers recueils) sert donc à poser les bases, avec un chapitre de 7 pages réalisé par chacune des équipes créatrices de ces nouvelles séries. Le lecteur découvre le phénomène déclencheur : l'absence de Dream dans son royaume. Il reprend contact ou découvre les personnages emblématiques du royaume des rêves, avec des dessins se différenciant des conventions visuelles des comics de superhéros, la colorisation de Mat Lopes assurant une continuité d'une séquence à l'autre, avec une magnifique couverture de Jae Lee et June Chung.
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Épisodes 1 à 6 - La fissure est toujours bien présente dans le ciel du royaume des rêves. Oncle Monday se présente à la Maison des Murmures. Il a apporté un présent qu'il remet à Alter Boi, l'homme qui l'accueille. Maîtresse Erzulie Freda de Dahomey a organisé une réception avec des danseurs et il y a de nombreux convives. Elle reçoit des rêveurs qui viennent lui demander des faveurs. À la Nouvelle Orléans, Habibi et Lumi jouent avec leur téléphone et la tablette sous les yeux de leur grande sœur Latoya et sa compagne Maggie. Cette dernière leur a amené un livre qu'elle a feuilleté sans rien y comprendre. Sur l'écran de la télé, apparaît le spectre de Shakpana (la divinité de la variole, dans la mythologie du Dahomey). Il est alarmé à l'idée que ses mots couchés dans le livre soient utilisés et déformés. Sur le bateau de la Maison des Murmures, Oncle Monday se délecte d'un homard qu'il éventre vivant sous le regard horrifié d'Alter Boi. Dans la salle de balle, règne une ambiance à la fête. Erzulie se rend compte que le signal est brouillé. Sur son miroir, elle observe les quatre demoiselles (Habibi, Lumi, Latoya et Maggie) qui se livrent à un jeu de téléphone sans fil, répétant et déformant à chaque fois une phrase du livre de Shakpana. Suite à un concours de circonstance étrange, la Maison des Murmures se trouve transportée dans le Royaume du Rêves, au pied de la demeure de Caïn et Abel.
Il s'agit donc d'une série basée sur de nouveaux personnages, avec l'introduction d'une nouvelle maison en plus de la Maison des Secrets (celle de d'Abel) et de la Maison des Mystères (celle de Caïn), ces 2 dernières ayant chacune donné leur nom à une longue série anthologique. Ici il ne s'agit pas d'une anthologie mais d'une histoire continue. Lors de l'histoire, les coscénaristes font référence à des événements survenant dans la série The Dreaming, par exemple au personnage du Juge Gallows, sans qu'il n'apparaisse. Le lecteur en reste un peu dubitatif : il est légitime de le mentionner au vu de son impact sur le royaume du rêve, mais les personnages en disent trop peu pour qu'un lecteur ne lisant que la Maison des Murmures comprenne ce qu'il en est. De même, Mervyn Pumpkinhead passe le temps d'une page, sans réel impact sur le récit, si ce n'est que le lecteur a l'impression qu'il s'agit juste d'attester d'un univers partagé. Caïn et Abel jouent un rôle plus important, aidant régulièrement Erzulie, mais étant aux abandonnés absents pour le dernier épisode, sans raison apparente, sans explication. Par contre, la fissure dans le Royaume des Rêves est essentielle pour l'intrigue.
Le récit suit deux groupes de personnages : Erzulie coincée dans le Royaume du Rêve et coupée de sa source de pouvoirs, et Latoya avec son amoureuse, ainsi que ses 2 petites sœurs. Ces 2 fils narratifs sont reliés par Shakpana, le neveu d'Erzulie, qui fait des siennes, et se retrouve convoqué par sa tante, après avoir impacté les demoiselles. En cours de route, le lecteur en apprend un peu sur Erzulie, ses pouvoirs et sa fonction, ses relations (Alter Boi, Île Tortue, Oncle Monday), sur l'histoire personnelle d'Oncle Monday, et découvre l'autre facette d'Erzulie. Les coscénaristes ne se livrent pas à un exposé sur la mythologie ou les croyances vaudou, et n'évoquent ni Damballa, ni Ogoun ou Guédé Nibo.
Les couvertures de Sean Andrew Murray sont sympathiques, sans développer une imagerie mémorable pour la série. Dominike Stanton réalise des dessins descriptifs avec un bon niveau de densité d'information dans chaque case. Il trouve le bon point d'équilibre entre des tenues vestimentaires normales et adaptées au climat de la Nouvelle Orléans, et des éléments de costume folklorique, à la fois pour les habitants des quartiers touristiques, à la fois pour les divinités. À ces dernières, il donne une forme humanoïde, mêlée d'attributs divins, ou de caractéristiques animales, par exemple celles des crocodiles pour certaines transformations d'oncle Monday. Lorsqu'oncle Monday entre dans la salle de bal de la Maison des Murmures, le lecteur embrasse d'un regard la décoration évoquant la Louisiane, et les groupes de gens en train papoter, ainsi que les danseurs assurant le spectacle et le service. Il sait représenter l'aménagement banal de l'appartement de la famille de Latoya, ainsi que les rues caractéristiques de la Nouvelle Orléans. Par contre, le paysage du Royaume des Rêves reste très générique, avec peu de personnalité.
L'œil du lecteur est régulièrement attiré par une mise en page sortant de l'ordinaire : le pourtour irrégulier des cases séparées par l'énergie suppurant par la fissure dans le ciel du Royaume des Rêves, les cases séparées par les esprits des eaux, une disposition en cases rayonnant de l'apparition de Latoya dans le Royaume des Rêves, les cases enchâssées les unes dans les autres. Il ne s'agit pas de mises en page époustouflantes toutes les trois pages, mais de 2 à 3 occurrences par épisode. Les personnages présentent des expressions de visage nuancées assez régulièrement, et le langage corporel reste dans un registre naturaliste, sans une grande expressivité. L'artiste se montre inventif dans la représentation de la manifestation des pouvoirs des divinités, tout en restant à un niveau un peu littéral. Cela ne suffit donc pas toujours pour pallier le caractère poussif de la narration. Une fois l'enjeu réel établi, le lecteur se rend compte qu'il éprouve des difficultés à s'intéresser aux revirements et aux confrontations successives, ne ressentant pas d'empathie pour les différents personnages, qu'ils soient humains ou divins.
A priori, le lecteur éprouve une curiosité pour cette nouvelle série, peut-être pour son rattachement à l'univers de Sandman, vraisemblablement pour la nouveauté qu'elle représente. Il découvre un univers original, rattaché au Royaume des Rêves de manière artificielle pour la localisation, de manière plus organique pour le pouvoir d'Erzulie. Les auteurs se tiennent à l'écart d'une mythologie de pacotille, mais aussi de croyances vaudou. L'artiste fait preuve de personnalité sans réussir à prendre assez de recul. Le lecteur en ressort déçu, n'ayant pas réussi à s'attacher aux personnages, ou à s'impliquer dans les enjeux, les divinités n'étant ni assez littérales, ni assez métaphoriques, la notion de murmure brillant par son absence.
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