Le monde est fait de choses dures ou souples, chaudes ou froides, mais le corps d'une femme est dans un matériau encore différent. Il a une température, une souplesse, une douceur au toucher, une odeur tout autres. Une consistance, une chaleur particulière.
Son mari n’avait jamais la gueule de bois. Tant mieux pour lui. Non parce qu’il supportait bien l’alcool, mais, selon sa théorie personnelle, parce qu’il savait « bien boire », et elle était prête à le croire. Quand il sentait l’ivresse pointer, il réduisait aussitôt la cadence d’ingurgitation. C’est comme quand on remplit d’eau un récipient dont le fond est percé d’un petit trou, affirmait-il, si on ne verse pas plus de liquide qu’il n’en disparaît par le trou, le récipient ne déborde pas. Et c’est sans doute grâce à cette méthode que, ce matin-là encore, il se réveilla en forme.
Moi qui m'en vais me dispersant dans les eaux de l'océan, emporté par les courants, j'entame bel et bien ma traversée. Où suis-je, et sous quelle forme ? Je n'en ai plus aucune conscience. Maintenant, ma personne a totalement disparu.
Mais peu à peu le monde s'emplissait de ce son de flûte, qui se mêlait au rythme donné par la frappe de l'homme gris sur le rocher et au bruit de verre répandu par la jeune fille heurtant le soleil. Alors, la mer, les îles, les poissons s'ébattant au milieu des vagues, les douces courbes des montagnes, les activités quotidiennes des hommes, les fumées des lointains volcans, la course des étoiles, les amours des baleines, tout ce qui fait le monde que nous connaissons, n'a plus été qu'une musique sous le charme de laquelle je me trouvais envoûté.
Elle tenta de penser à autre chose : ses amis au Japon, sa vie plutôt satisfaisante avec son mari, son cours hebdomadaire sur les arts premiers à Harvard et d'autres choses encore, mais en vain. Toutes ces pensées ne faisaient que l'effleurer et immédiatement elle se retrouvait à réfléchir sur elle-même, assise là, dans le salon.
La femme qui dort
- Tu vois cet arbre, il y a très longtemps, il soutenait le ciel, m'a-t-elle dit tout bas. Quand ces arbres-là étaient encore debout, le monde tournait bien. Les hommes n'avaient pas l'arrogance qu'ils ont maintenant, et les animaux avaient de nombreux endroits pour vivre à leur aise. C'est pour cela que cet arbre est si beau. Mais depuis qu'il a été abattu, beaucoup de choses vont mal. Les saisons traversaient les nervures que tu vois sur le tronc et reliaient la terre et le ciel.
A l'époque, tout le monde utilisait des pirogues, même les pêcheurs, et il y a encore plus longtemps, on allait en pirogue sur des îles distantes parfois de plusieurs centaines de kilomètres, alors, dans chaque village il y avait des constructeurs qualifiés. Et puis, les bateaux à moteur se sont peu à peu répandus et les pirogues ont été abandonnées.
Il eut le sentiment de comprendre très bien comment cette jeune femme seule dans une grande ville étrangère avait pu sentir peu à peu son cœur se fermer. Il lui était facile de lui apporter de l'aide en l'écoutant mais il savait aussi combien elle avait dû souffrir avant de pouvoir parler à quelqu'un comme elle le faisait à présent.
On ne comprenait pas vraiment ce qui se passait mais, en tout cas, aucun des deux n'a dit à l'autre qu'il l'aimait. Elle m'utilisait comme un outil et pour moi aussi elle était un instrument, quelque chose de cet ordre, il me semble. En même temps, pourtant, nous partagions notre plaisir. p58
Monsieur Hêhachiro est un grand oisif. Sur notre île, les seules personnes qui ont une activité précise sont celles qui travaillent dans l'administration, à l'école, au supermarché ou à la station émettrice. Les autres, selon l'humeur du moment, vont pêcher en mer ou cultiver les petites parcelles de terrain que chacun possède dans la montagne. Tout le monde est donc désœuvré mais Monsieur Hêhachiro, n'étant pas marié et n'ayant pas d'enfant, l'est encore plus que les autres.