Citations de Nicolas Deleau (22)
Pourquoi cherche t-on toujours à voir les choses de plus près, alors que le recul est nécessaire à celui qui veut embrasser le monde?
« Il bruinait. La bruine est une grande maîtresse ; elle donne au monde la cohérence d’un crépuscule. Tout s’y floute, gris- bleu; on baigne dans un élément qui n’est ni l’air ni l’eau , qui fond l’aube et le couchant , et vous enveloppe plus sûrement encore que le malheur » .p. 95.
Il en est ainsi des ordres anciens: peu à peu ils deviennent tacites et leur nature exacte s'efface avec la raison premier de leur décret dans les brumes du temps. Ces ordres, chacun sait pourtant encore intimement qu'ils ne peuvent être transgressés
Il paraît qu’il y a des endroits de côte, ailleurs, qui donnent envie de voyager ; des ports riches, des ports prolongés par des routes qui s’enfoncent dans des territoires inconnus comme des cordons de vie frémissante. Il paraît que mon pays devient montagne, forêts, déserts, quand on s’y enfonce.
Ici, on regagne nos côtes comme on bute au fond d’un sac. Mais cela ne me rend pas malheureux : c’est ici que j’ai grandi et ce sac, est le mien
« Le jour mourait quand il avait traversé la Grand - Place jusqu’à la rue de la Cale.
C’était l’hiver: un vent glacial balayait l’eau du port et les flaques blafardes des quais ; de petits lambeaux de goémon dansaient , soulevés par les rafales . Autour, le village s’allumait de lueurs orange ; un néon verdâtre éclairait pour rien l’entrée de la coopérative maritime , les viviers et le silo à glace » .
Il n'y a rien de plus sérieux qu'un gosse, quand il joue.
L'idéal du journal est dans l'ordonnancement qui précède sa consommation. Avant lecture, le monde semble en ordre. Lecture faite, on s'aperçoit du chaos.
« À Job.
Au théâtre du monde.
À toute absence .
À tous ceux qui partent chercher Dimitri .
Aux partisans de la Langouste.
À l’Amour enfin : c’est bien , avec le rire , la seule chose qui vaille la peine qu’on lutte » .
Le train est à soi un voyage, aux autres incommensurable. Notre convoi s'arrête, repart, s'arrête encore, au milieu de rien, dans des stations improbables, hors du temps.
Celui qui ne veut rien faire trouve une excuse, celui qui veut faire quelque chose trouve un moyen.
Je me suis laissé prendre par l'épaule quand même, je n'avais aucun courage, aucune volonté, aucune raison de refuser cette main : posée sur mon épaule, près de la nuque, elle m'enveloppait le cœur.
Pour Job, c'était différent. J ne savais pas ce qu'il écrivait, personne ne le savait. Si ça se trouve, il écrivait de la poésie-et la poésie est à soi seule une sorte de vérité. On ne contredit pas de la poésie.
Ce n'était pas plus simple, cela dit, s'il écrivait de la poésie, parce que la poésie, elle doit avoir l'incandescence de l'acte-sinon, c'est rien qu'une sale manière, de la déco. La poésie, c'est un acte. Et pour que ce soit un acte-vraiment un acte, un truc incontestable- il faut y arriver, au point d'incandescence. Qui n'a jamais eu l'impression, en lisant un poème, qu'on a causé à sa place?
Et au final, ça fatigue beaucoup de sentir les choses : on s'aperçoit que rien n'est jamais exactement semblable. On note toutes les petites différences, toujours, à propos de tout.
- Tu te trompes, petit bonhomme, je ne m'appelle pas Gropatapouf, mais Barouf. Barouf, c'est mon nom.
Puis il partit d'un énorme rire, parce que Maskime avait une vraie tête d'ahuri en l'entendant parler, et aussi parce qu'il venait de dire "tu te trompes" et que, quand on est un éléphant, dire "tu te trompes", c'est très amusant.
[p24]
La mer est le chemin des fuites.
... parce que dans la vie, tout est toujours plus compliqué qu'on croit, pour les autres - et plus simple qu'on croit pour soi.
Jo était en marge. Il était de l'autre côté. Il voyait, à l'infini,s'étendre le théatre des hommes; et il l'observait en spectateur.
Rien à voir avec les passifs, ceux qui se laissent porter et choisissent que les autres agissent pour eux. Ce n'était pas non plus la sérénité des contemplatifs: il faut être bien planté, bien agrippé au monde, pour contempler vraiment.
C'était autre chose. un forme de renoncement , quelque chose comme une séparation; et il était impossible de savoir si elle était volontaire ou subie, sereine ou douloureuse.
On s'est dit au revoir sur le pas de sa porte, au revoir et à demain. Chacun savait que «demain» ne serait pas de l'autre côté du sommeil.
C'était comme si la lumière du jour, au lieu de rebondir sur sa peau, entrait dans son corps et y restait piégée, à peine plus dense qu'ailleurs.
Les regards se portent sur quatre voyageurs étonnants : nous sommes un spectacle. Pas la moindre animosité cependant. Le wagon est plein, les sacs envahissent les recoins, s'entassent sous les bancs de bois.