AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Nikos Kavvadias (41)


Parallélismes

J'ai vu trois choses qui se ressemblent en ce monde.
Les écoles rutilantes, mais sinistres, des pays occidentaux,
l'obscurité et la crasse des avant-postes sur les cargos,
et les hôtels de passe avec leurs filles perdues.

Ces trois choses évidemment différentes
ont une étrange parenté :
à toutes manquent
le mouvement, le confort et la gaieté.
Commenter  J’apprécie          400
Il y eut un bourdonnement. Puis ce fut comme si un nuage descendait. Le grand oiseau tomba devant eux, les ailes ouvertes.
- Salut, enfoiré, dit Cocky.(1)
- Tu es bien tombé, dit la guenon.
- Un épervier, je suis fait.
Le serpent se débina.
- D'où viens-tu ?
- De la terre ferme.
- Comment es-tu tombé ?
- Je voyageais vers le îles.
- Migrateur ?
- Je ne connais pas ce mot. Je m'en allais. On m'avait blessé. C'est la guerre là-bas.
- Il y a des noix ? - Cocky se mit à descendre. - Des mangues, des ananas ? J'ai décidé de filer.
- Si vous mangez les morts, restez. Vous vous lasserez d'en manger. C'est encore la nourriture la plus saine. L'eau, les vignes, le riz, les arbres sont empoisonnés.
- Qui répand le poison ?
- Les Blancs.
- Qui fait la guerre ?
- Les Jaunes.
- Pourquoi font-ils la guerre ?
- Comment savoir ? Paraît qu'ils sont trop nombreux. Le pays est devenu trop petit pour eux.
- Mais puisqu'ils meurent ?
- Ils naissent aussi.
- Ils n'ont qu'à se couper les choses.
- C'est leur raison de vivre.
Commenter  J’apprécie          393
Ils ont repris le large. Ils l'ont immergé en haute mer. Voilà ce qu'il est devenu, l'autre. Des milliers d'autres. Un fond rempli d'ossements et de parures. Des poissons sans yeux, sans couleur. Il y a aussi un coffret de fer pleins de lettres, et au-dessus quelque chose d'effacé, une vague forme de main. Celle qui les a écrites dort maintenant dans le lit d'un autre. Elle halète sous le souffle d'un autre. Rien ne trouble son sommeil. Pas même la mer, qui vient de très loin et bat le seuil de la maison de pêcheurs. Si c'est une mère, elle cloue ses volets, les peint en noir au dehors et ne cuisine jamais de poisson. Si c'est une soeur... Un jour on s'arrête de pleurer. Il n'y a que la mère qui ne se lasse pas de pleurer, jusqu'à ce qu'elle ferme les yeux.
Commenter  J’apprécie          363
Je veux revoir Port-Saïd. Le bureau du Canal, le magasin de Simon Arzt, les arbres. Voir les cargos qui reviennent du sud et jettent l'ancre un instant. Les marins nordiques, nus, le corps blessé, accoudés au bastingage. Ils sont heureux de revenir une fois encore. M'en tirerai-je ? Reviendrai-je ? C'est un autre Port-Saïd que l'on voit quand on descend vers le sud. Il n'y a pour le marin rien d'autre que prickly heat powder, fruit salt et quinine. Bloody quinine, et des citrons qui pourriront au milieu de la mer Rouge. Des crabes qui sentent la vase. Est-ce la dernière femme avec qui je vais ? Combien ont connu cette peur. Je ne suis pas seul à avoir peur. D'autres aussi ont peur, mais ils ne veulent pas l'avouer. Je l'ai lu dans leurs yeux. Si tu crois que les marins vont te parler, t'ouvrir leur coeur, tu te goures. La vérité porte malheur. Nous la disons de temps en temps, dans le secret de notre coeur, et même ainsi elle nous fait peur.
Commenter  J’apprécie          360
Toute ma vie je resterai l'amoureux, idéal et abject,
des voyages lointains et des étendues bleues,
et je mourrai un soir pareil à d'autres soirs
sans avoir dépassé l'horizon vaporeux.

- Extrait 'Mal du départ" dans Marabout -
Commenter  J’apprécie          352
La main a remonté les couvertures sur ma tête et m'a enveloppé dedans. Une odeur chaude m'a caressé. Un corps de femme. Cela chasse la peur, cela vous calme, vous protège. À côté de lui, sur lui, on oublie qu'un jour on agonisera. Elle m'a caressé le front.
Commenter  J’apprécie          320
Mais nom d'un chien... J'ai des hallucinations, c'est pire que si j'avais pris de la neige. Si quelqu'un pouvait venir me jeter un seau d'eau sur la figure. Si une vague pouvait entrer me tremper, et faire taire ce grillon qui comme un marteau-piqueur électrique déchire la tôle de ma tête. Par où est-il entré ? J'ai fouillé tous les coins de la cabine radio, le plafond, les trous, l'étagère aux livres. Il est venu avec les provisions du bord, caché quelque part dans les légumes. Avec les scorpions, à Colombo. Nous avons tué les scorpions, mais ce monstre invisible je ne peux ni le voir ni le saisir, et pourtant il est près de moi, à côté de moi, sur moi, en moi. Au début il me divertissait. Il me rappelait une nuit d'été. Les meules de foin, le thym et l'origan. L'herbe fauchée. Les étables où dorment les bêtes de somme. Le premier jour. Mais à présent j'ai compris que je peux perdre la tête. Idiot ! Qui est né fou n'a rien à craindre. Ah...
Commenter  J’apprécie          312
- Lame de fond -

Soleil ardent, côtes plates et palmiers,
un oiseau tournevire dans les haubans ;
gestes confus de bras tannés et gravés,
rongés par les maux des Tropiques.

Pavillon de quarantaine et signal d'avarie.
On mouille les ancres à pic vers le fond,
on met les feux de nuit. Le Pisanello
est estompé par le gros temps.

La grande lame...La grande lame va nous frapper.
Coque pourrie, ciment rouillé.
Depuis l'aurore, à tribord de l'étrave,
notre repère est un requin qui dort.

Sur la vigie le perroquet donne les ordres
comme jadis sur ma couchette à Colombo.
Depuis longtemps j'attends que tu délaisses le loch,
depuis longtemps j'attends la terre et ses folies.

Des indigènes allument des feux sur le sable,
des rives nous parviennent leur boucan.
Régnant sur la mer et ses morts,
je veux te voir surgir sur l'échelle de coupée.

Algues mêlées à tes cheveux, dans ta bouche des algues.
Tu reposes pour toujours, recluse,
figées dans les grands fonds, à coups d'épée laminée,
parée d'anneaux des Incas.
Commenter  J’apprécie          260
La cloche sonna deux coups. Midi moins vingt. Dans le poste de proue, sur une table de bois brut, couverte de taches, Linatséros mangeait hâtivement. Polychronis mâchait un bois d'origan et Yakoumos, le charpentier, nettoyait son assiette de zinc avec un morceau de mie de pain. Quatre couchettes sur la muraille tribord et deux à la proue, en deux rangées superposées, défaites. L'homme de la mer Noire, assis sur une couchette haute était en train de se faire les ongles des pieds.
Commenter  J’apprécie          140
"Quand pourrais-je me reposer un petit moment? Un plat de choux. Creuser un peu, planter, les voir pousser. Toujours la mer. Le quart sans arrêt. C'est pas naturel. On est pas des poissons. Merde alors. Et pour finir on vous emballe, on vous roule dans une toile à voile et hop par la poupe. Sans un prêtre. Quand je mourrai, ça m'est bien égal d'être dévoré par les requins, puisque je ne sentirai rien. Qu'en savez-vous?"
Commenter  J’apprécie          130
Je boirai encore un verre à la santé de la mer. A la santé de la sirène qui est tatouée sur mon bras. Qui saute à la mer chaque nuit et me trompe avec Poseïdon. Elle revient le matin quand je dors encore, couverte d’algues et d’orties de mer. Quand nous restons longtemps à terre elle se fletrit et perd ses couleurs.
Commenter  J’apprécie          110
Le souvenir n'a de valeur que quand on sait que l'on repartira pour un nouveau voyage. Le pire des reniements, le plus grand désespoir est de jeter l'ancre dans son pays et de vivre de souvenirs.
Commenter  J’apprécie          100
Marabout
Les prières des marins
  
  
  
  
Juste avant le coucher, les marins japonais
vont se trouver un coin tranquille à la proue
et en silence prient très longtemps à genoux
devant un gros Bouddha doré à la tête penchée.

Vêtus de longues tuniques qui leur tombent jusqu’aux pieds,
mâchant des boules de riz, les petits Chinois jaunes
font leurs prières d’une voix haut perchée,
tournés vers un autel en bronze d’où monte une fumée.

Les coolies au corps lourd et grotesque
se tiennent à genoux, les yeux rivés au sol,
et les Arabes, en rythme, se balancent lentement
et maudissent la mort en grommelant.

Les gars d’Europe se tiennent bras écartés,
récitent des flots d’oraisons extatiques
et marmonnent des chants, des hymnes catholiques
qu’ils ont appris tout petits quand ils allaient à l’église.

Les Grecs, eux, prennent un air douloureux,
se signent par habitude avant de s’affaler,
et commencent à voix basse un “Notre Père…”
et font un signe de croix sur leurs coussins crasseux.


/traduction du grec de Pierre Guéry
Commenter  J’apprécie          80
Le matin à sept heures une sonnerie se déclenchait au dessus de votre tête et ne s’arrêtait que quand on sortait. Ça carillonnait partout dans l’hôtel. A sept heures dix il fallait être devant la porte. Alors un autre monde commençait à monter l’escalier. Tu vois : c’était les travailleurs de nuit qui allaient dormir.
Commenter  J’apprécie          80
J’ai vu leurs femmes venir sur le quai avant que le bateau accoste et attendre debout sous le soleil ou sous la pluie. Je les ai vues dire adieu au moment où ils levaient l’ancre, tourmentées, estropiées par les avortements, avec une bande d’enfants qui se cramponnaient à leur jupe. Frustrées tu comprends; le mari est absent. Quand elles tombent sur un malin, il les a du premier coup. Pendant ce temps, les cocus se battent avec la mer et le vent. J’en connais un tas qui se sont fait coller des maladies par leur femme.
Commenter  J’apprécie          80
Mon âme a bien des secrets…
  
  
  
  
Mon âme a bien des secrets qu’elle garde cachés
en ses obscures profondeurs ; si sombres
que la mer elle-même échoue à les masquer ; que le corail
craint de les voir et qu’ils soient dévoilés.


/traduction du grec de Pierre Guéry
Commenter  J’apprécie          50
J’aime tout ce qui est triste sur terre…
  
  
  
  
J’aime tout ce qui est triste sur terre,
les yeux voilés de douleur, les gens malades,
les arbres nus et les jardins déserts,
les cités mortes et les lieux sans lumière.

[…]
J’aime dans ce monde tout ce qui pleure,
parce que ça me ressemble.


/traduction du grec de Pierre Guéry
Commenter  J’apprécie          50
- Remercier est une façon commune de rembourser. Quand deux personnes respirent à l'unisson, il n'y a pas lieu de rembourser.
Commenter  J’apprécie          50
La petite se tenait sur une banquette, le bébé dormait sur ses genoux. Elle se leva et le mit sur son dos.
- Il y a beaucoup de livres, dit-elle, ils sont à toi?
- Oui.
- Et tu les as lus?
- Tous.
- Tu dois savoir beaucoup de choses.
Pas plus que toi, pensai-je, et ce que je ne sais pas, c'est toi qui me l'apprends, maintenant que j'ai quarante ans.
(Li)
Commenter  J’apprécie          50
(DÉBUT) Le lieu : la passerelle d’un vieux cargo. Mirador sur l’immensité. Le jour, les 360 degrés de l’horizon, « le vase sans défaut de la mer » (Saint-John Perse), seule expérience sensible que nous puissions avoir de la rotondité de la terre. Parfois au loin une cote basse qu’annoncent des odeurs, des oiseaux, des amoncellements de nuages. La nuit, l’horizon a disparu, on est dans le noir cosmique………………………….
…………………………………………………………………………………………………………………………………….
_ (FIN) oui, dit mollement le commandant. Mais maintenant qui va décapeler les aussières ?
_On s’est entendus avec deux types à terre. Montons. Le télégraphe sonnait comme la clochette d’une chèvre.
-Lève l’ancre.
-Déborde devant,
La proue du Pythéas déborda à bâbord.
Sur le quai les aussières furent décapelées par deux femmes en robe de soie. Quand elles eurent fini, elles agitèrent leur mouchoir en signe d’adieu.
Commenter  J’apprécie          40



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Nikos Kavvadias (152)Voir plus

Quiz Voir plus

Autobiographies de l'enfance

C’est un roman autobiographique publié en 1894 par Jules Renard, qui raconte l'enfance et les déboires d'un garçon roux mal aimé.

Confession d’un enfant du siècle
La mare au diable
Poil de Carotte

12 questions
39 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}