Olivier Roy: «Le fondamentalisme ne suffit pas à produire de la violence» .
Olivier Roy explicite, dans son dernier livre, sa lecture du djihadisme en termes « d?islamisation de la radicalité », pour saisir à la fois les effets boomerang de la « déculturation du religieux » et l?impact d?une terreur très moderne qui prospère sur la peur de l?islam.
...le multiculturalisme est en fait une illusion, car il vise des communautés où la déconnexion des marqueurs religieux et culturels s'est déjà effectuée : il est une manière artificielle de redéfinir comme culturel ce qui ne relève plus de la culture.

Mais dire qu'il y a un héritage commun, c'est autoriser tout un chacun à se l'approprier, y compris dans la dérision, ou malheureusement pour des raisons commerciales. La protestation contre la mercantilisation va bien sûr au-delà des groupes activistes catholiques. Mais si la publicité s'est emparée de la Cène, c'est que la Cène nous parle. Ce détournement n'est qu'un hommage à la familiarité des références religieuses. Interdire l'usage ironique, voire blasphématoire, d'un paradigme religieux revient à l'exclure du champ de la culture pour le situer dans le seul champ du sacré. Il est alors le bien de la seule communauté des croyants, qui demande à être reconnue comme telle. Ce n'est plus la culture qui fonde l'identité, c'est la seule foi. La "pure " religion est celle qui se détache de toute référence culturelle. En se réservant le contrôle de la gestion des symboles religieux, l'Eglise affirme le contraire de ce qu'elle a voulu dire en insistant sur l'importance de la culture chrétienne en Europe : elle défend non plus une universalité ( même si bien sûr elle pense que son particularisme a valeur universelle ), mais une communauté fermée sur elle-même, minoritaire et qui demande à la loi de protéger la sensibilité de ses membres. (...) Son action est cohérente avec ce que l'on observe dans le champ religieux, à commencer par celui de l'islam : les revivalismes religieux prospèrent en découplant la religion de la culture, en isolant les marqueurs religieux de tout contexte social et en établissant une e coupure définitive entre croyants et incroyants.
Interdire l’usage ironique, voire blasphématoire, d’un paradigme religieux, revient à l’exclure du champs de la culture pour le situer dans le seul champs du sacré. Il est alors le bien de la seule communauté des croyants, qui demande à être reconnue comme telle. Ce n’est plus la culture qui fonde l’identité, c’est la seule foi.
L'intégrisme religieux n'est pas une protestation identitaire et encore moins l'expression d'une culture traditionnelle, c'est au contraire une conséquence de la crise de la culture, c'est une quête du "pur" religieux.
(...)
Nous n'avons pas affaire à un communautarisme identitaire mais à des communautés de foi qui se sentent rejetées par la culture laïque dominante, comme on le voit dans le front religieux qui s'oppose au mariage pour tous.
Le Front national essaie de réinventer le communautarisme culturel autour du folklore et de l'apéro saucisson-vin rouge. Cette identité "laïque" ne se reconstruit pas sur la culture profonde mais sur des marqueurs folkloriques. L'identité, c'est quand on a perdu la culture.

Porté à son extrême, ce refus de la culture profane se transforme aussi en méfiance envers le savoir religieux lui-même, avec l'idée que, premièrement, il n'est pas besoin de savoir pour être sauvé, et deuxièmement que le savoir peut détourner de la vraie foi. La parole de Dieu peut passer directement, sans médiation du savoir : c'est exactement la fonction du Saint-Esprit chez les protestants. Ce n'est pas l'érudition qui permet de trouver sous le texte biblique la vérité, c'est parce que ce texte est la parole vivante de Dieu qu'il dit le vrai. Il faut se laisser habiter par la parole. Portée à son paroxysme, cette vision est incarnée par le fameux "parler en langues" ( glossolalie ) des pentecôtistes ( ...). Il n'y a ici ni savoir théologique, ni savoir linguistique, ni savoir culturel, il s'agit au contraire d'une présence non médiée par les savoirs. C'est le cas le plus typique de l'annulation de la lettre au service d'une parole qui pénètre directement, sans médiation de la langue. Or, par définition, la langue est à la fois porteuse de culture, objet de savoir et outil de savoir. L'annulation de la langue au profit de la parole est sans doute l'exemple le plus achevé de la sainte ignorance.
Contrairement à des représentations répandues, l'Afghanistan est aussi un pays où on rit souvent, où le tragique et le comique, le sublime et le sordide, l'hospitalité et la cruauté, se mêlent constamment.

Les religions qui marchent ont toutes une formule pour l'exportation. Elles sont fondées sur la déconnexion complète du marqueur religieux et du marqueur culturel et sur le formatage qui leur permet d'apparaître justement comme une religion universelle adaptée aux nouvelles formes de religiosité, comme par exemple le thème de la réalisation de soi. Ce qui ne veut pas dire qu'elles rejettent le marqueur culturel : elles peuvent au contraire en exhiber certains comme produits d'appel, mais détachés de toute société réelle (...)
…le shalwar kamiz ( longue chemise blanche et pantalon bouffant ) des salafistes fonctionnent comme des référents imaginaires. La déculturation ne signifie pas le renoncement aux marqueurs culturels, mais leur maniement en dehors de toute réalité sociale. L’affirmation de l’autonomie de la communauté de foi ne va pas sans un certain exhibitionnisme, comme le voile. Cela ne veut pas dire que tout signe religieux est signe d’exhibitionnisme, mais qu’il est interprété comme tel. La visibilité est caractéristique du religieux contemporain.
Nos dirigeants pensent "à droite" et pas seulement en économie.
le Coran dit ce que les musulmans disent qu’il dit
En fait pour beaucoup de gens, de gauche en particulier, la critique de l’islam comme religion permet de reprendre un discours anti-immigration en le « déracialisant ». Au lieu de critiquer les immigrés ou les Arabes, on se réfère aux « musulmans », mais il s’agit bien sûr de la même population. (mai 2005)