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Citations de Pascal Quignard (1539)


Face à la beauté si contagieuse de la sexualité, face à la passion
si impétueuse et intraitable de l’amour, ces mots si savants « éros,
érotisme, érotique », est-ce que cela existe substantiellement ?
Est-ce que cette garniture, ces jeux, ces détours, ces rubans,
ces ruses sont au niveau aussi bien de l’épiphanie génitale que
de la nostalgie originaire ?
Je ne crus jamais une seconde, une moitié de seconde, à la
sublimation.
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Au fond du milieu – au cœur de ce subit paradis atmo sphérique où jadis s’est déployée la nature – règne sans fin cette
obscurité liquide, aphone, glissante, insaisissable, luisante,
obscure, maritime, odorante, nourrissante, palpitante, vivante
qui précède les îlots qui crevèrent la surface de la mer primitive.

Bosquet sauvage, bleuté, verdâtre, brunâtre, inconnaissable.
Là, les algues sont des arbres.
Là, les poissons volent.
Là, plongent les oiseaux.
L’immense paradis continu irrigué par les sens.
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. Le paradis de l’Éden à l’orient du monde

Nous autres, les enfants, les femmes, les hommes, les vieillards, les aïeux, nous venons vraiment du paradis, poche de forêt
égarée dans le Rift. Et nous n’avons jamais complètement quitté,
en naissant, en pulmonant brusquement, en rugissant tout à
coup, même en écarquillant les yeux dans la couche d’atmosphère aussi bleue qu’éblouie qui entoure le monde terrestre, la
pénombre qui nous précède et qui reste dans l’eau de nos yeux.
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Le retour de l’autre corps, animal, entièrement dépouillé
de ses vêtements, nu comme jadis dans le ventre de sa mère,
tout à coup apparaissant à l’intérieur du réel, dans l’ombre de
la chambre, est peut-être la seule grande chose bouleversante
qui vaille dans les jours.

Ce réel maudit est la merveille même.
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Tous ceux qui subordonnent leur abandon à la bénédiction de
la religion, tous ceux qui le verrouillent dans les liens du mariage,
de l’intérêt, de la généalogie, de l’héritage, de la communauté, de l’État, lancent des injures contre la passion insubordonnée
de l’amour.

Même, ils nous maudissent
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Ceux qui diminuent l’amour soit dans la sublimation, soit
dans la vulgarité, blasphèment et nous blessent.
Celles ou ceux qui engloutissent leurs corps sous les mots du
langage, ceux ou celles qui enfouissent et dissimulent leur désir
sous les mots abstraits et les phrases infinies, sont indignes de
notre affection.
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On part en vacances : on découvre un site de la nature vierge
bousillé, bafoué, cimenté, frappé à mort, disparu sans retour de
la surface de la terre.
Un glacier tout à coup asséché dans la montagne.
Les sources de l’Ain immergées au fond du barrage de Génissiat
au-dessus de Bellegarde.
Le sac du palais d’Été pillé et incendié en 1860 par les sapeurs
de l’armée française.
On ouvrait le Quichotte : c’était une tristesse sans nom devant
une splendeur massacrée.
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Les milliers de dessins sublimes et indécents de Füssli que
son épouse, Sophia Rawlins, dans la maison de campagne, à
Putney Hill, à peine est-il mort, devant son cadavre qui ne s’est
pas encore raidi, et dont le ventre grogne encore dans la pièce
sombre, s’empresse de déchirer et d’enfourner dans le poêle
de la chambre, faisant un feu d’enfer, s’exclamant : « Pour lui
toutes les femmes étaient des putains. Pour lui tous les hommes
étaient des bandits. » Ce n’était même plus une censure : c’est
encore un auto da fe que la religion inspire. Il ne resta rien de ce
trésor qu’il avait constitué et mis de côté. Emily Brontë adorait
Füssli dont elle notait le nom, au bout de sa plume d’oie, à
l’encre brune, sur sa petite table au premier étage du presbytère
de Haworth, Sir Fusely.
Ce fut Seurat.
Ce fut Jouve.
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Il y a une tristesse d’enfance devant le corps bafoué. Il y
a un terrible étourdissement, et même un engourdissement,
qui a lieu au cours de la violence du viol. Une atonie qui est
irrémissible. Il y a une passivité abyssale qui fait le propre
de l’abîme. Un chagrin inconsolable. Une stupeur devant un
trésor détruit.
Les parties génitales systématiquement mutilées et martelées
par les Chrétiens sur les marbres si lisses de la Rome païenne,
cela laisse, à chaque fois qu’on les contemple, l’âme désemparée.
Une toile qu’on aime plus que toutes – soustraite à la vue de
tous –, on est plein de douleur et on écrit cette page que je suis
en train d’écrire.
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Tout le monde croyait que ce qui nous liait, Dominique Aury
et moi, c’était Maurice Scève. Elle l’avait fait renaître – avant
Thierry Maulnier, avant Pierre-André Boutang. À la fin des
années 1960 j’établis la première édition complète de ces œuvres
que Dominique avait commencé de réhabiliter dans deux de ses anthologies avant la guerre et pendant la guerre. En vérité, ce qui
nous liait, ce n’était pas Maurice Scève, ce n’était pas non plus
Janine Aeply, c’était Cervantès. Ce qui nous liait était notre détestation commune et absolue du Don Quichotte. Il y a des amitiés
même profondes, même sexuelles, qui se nouent simplement à
partir de haines mortelles : je pense maintenant que ces révulsions étaient de véritables valeurs. Nous détestions la dérision,
la parodie, le rabaissement de la passion, l’humiliation de la
fragilité et de l’inquiétude et de la pusillanimité des amants,
le persiflage de l’amour. Nous écœuraient toutes les pièces de
boulevard, tout le théâtre de vaudeville. Nous aimions l’amour
fou, la passion aveugle, Tristan, Lancelot, la châtelaine de Vergy,
toute la matière de Bretagne, Les Mille et Une Nuits, Thérèse d’Avila,
Jean de la Croix, l’Arioste, Pétrarque, Scève, Fénelon, Les Torrents
de Madame Guyon.
Et nous étions meurtris.
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L’image
n’est carente qu’à ceux qui lancent cet étrange aqueduc des
semences entre les postures infamantes des aïeux et leurs
portraits crachés sur les faces de leurs petits neuf mois, dix
lunes, deux mains plus tard, le temps de ce mystérieux transit
des morphologies et de cette féerique embryogenèse de la
figuration elle-même. D’une certaine manière nous sommes
la seule espèce qui se reproduise à l’intérieur de la sexualité, au sein de
cette énigmatique prescience qui se transforme en difficile
conscience. Entre l’image impétueuse et le nom propre. Et
cette pudeur linguistique concerne beaucoup plus la nature
de la reproduction sociale que l’embrassement génital, hâtif,
délicieux, ombreux, liquoreux, extatique, furtif.
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Pour les animaux et les oiseaux la sexualité et la reproduction
ne sont pas inhérentes. Ils n’ont ni mots qui les discernent les uns par rapport aux autres, ni syntaxe qui les relie entre
eux. L’image qui manque ne manque qu’à ceux qui font un
lien entre les étreintes et les accouchements. Ce pont entre
l’éjaculation et la parturition, seule l’humanité, parmi les
autres mammifères, le dévisage. Elle le considère avec une
espèce de gêne ou d’effarement. Ce pont à deux arches relie
deux scènes particulièrement vivantes et violentes. Puis elle
décompte sur les doigts des deux mains la durée qui sépare
ces deux secousses si vigoureuses : ces deux ébranlements du
monde. Elle compte sur ses doigts jusqu’à neuf mois si ce sont
des mois. Elle compte jusqu’à dix si ce sont des lunes.
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Parce que le fait de lier le coït et la parturition est seulement
humain, cette scène qui manque à l’amont de chaque corps
– et qui s’y suppose naturaliter – l’obsède en retour.
Cette boucle peut alors devenir ou bien rêve (c’est-à-dire
image, qui montre, qui exhibe), ou bien honte (c’est-à-dire signe,
qui cache, qui invisibilise, qui recèle).
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Un rêve n’est jamais dérisoire. Il est né de la terre, il est
toujours indemne du monde.

L’amour libère l’origine.
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Aussitôt l’image qui jaillit inopinément fait ce qu’elle figure.
Le mouvement de l’imagination érige. Leur élan écarquille
deux yeux, chacun unique : d’un côté l’œil fascinant, de l’autre
l’œil médusant.

Fascinus, Medusa.
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Ces deux formes, à la fois informes et métamorphosantes,
constituent les deux portes battantes du rêve.
L’une est douce et lisse comme l’ivoire.
L’autre est dure comme la corne.
Aux bêtes, aux oiseaux, aux femmes, aux hommes les songes
imposent des images qui ne sont pas à la merci des carcasses
somnolentes, vautrées de tout leur long, couvertes des chairs,
qui soupirent, qui bourdonnent, qui ronflent, qui dorment, qui
se retournent, agrippant leurs serres teintes et rognées, mêlant
leurs doigts aux mèches de leurs cheveux, entrouvrant leurs
crocs d’ivoire, arquant leur corne de licorne.
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Alors les deux sexes de l’homme et de la femme réapparaissent
au cours de la nuit. Alors qu’ils rêvent, cela se dresse au milieu d’eux. Alors qu’elles rêvent, cela se love et s’embue au cœur
d’elles, au plus profond du sommeil et de son amnésie.
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La femme de Samuel Pepys tâtait le pénis de son mari plusieurs
fois la nuit pour s’assurer qu’il n’était pas en train de la tromper
avec un rêve.
Chez les oiseaux, chez les fauves, chez les humains, les rêves
sont des lambeaux de la vie qui sont aussi impressionnants qu’ils
sont inapprivoisables ; et aussi parce qu’ils sont demeurés
indéchiffrables.
Les images oniriques sont hors contrôle.
Elles sont plus qu’humaines. Elles sont antérieures à l’huma nité.
Elles sont toujours non productives, gratuites, instinctuelles,
jamais tout à fait formées, toujours indomptées.
Leur apparition ne peut être ni prescrite, ni interdite.
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Il est possible enfin que l’érotisme lui-même, par rapport à
la source, soit une manière de fraude. C’est au moins un accoutrement qui fait pitié. Le bandeau, le carquois, les flèches acérées,
les ailes emplumées : pauvres objets de dérision. Les anneaux,
les colliers, les bracelets : tous des dérivés du servage. La langue
fait disparaître alors qu’elle prétend suppléer ce qui différencie
l’animalité vivante des corps qui sont en train de s’accoupler
pour jouir ou pour se reproduire. Et s’ils ne sont plus ni femmes,
ni hommes, ni glabres, ni barbus, ni devancés de mamelles,
ni dotés de pommes d’Adam, ni vulves rencoignées, ni pénis
exhibés, ni soprano, ni ténor, les Je et les Tu qui parlent entre
eux, alors il semble que, dans l’humanité, les deux battants de
la porte originaire se sont refermés à jamais.
Sauf dans les rêves.
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Le sommeil façonne au cours de la durée de la nuit, à trois ou
quatre reprises, des successions d’images qui fascinent comme
des féeries. Or, il est possible que la seule féerie qui règne de
manière tyrannique au fond de la psychè soit la pornographie la
plus crue, la moins sublimée, la plus animale, la plus indomesticable, la plus fière, la plus sincère, la plus indemne, la plus sainte,
la plus pure. Elle est plus archaïque que l’Antiquité même et ses
premières cultures. Elle est végétale, elle est bestiale, elle est
féroce, elle est vivante. Tout le reste est rationalisation, dénomination, symbolisation, décoration, déguisement. Verbalisation
c’est-à-dire mise à distance, dédain, discrédit moral, édulcoration
sentimentale, oubli ou plutôt obliviscence. C’est un étrange
miroir que celui que l’ombre, puis le reflet, puis le songe, puis
l’image incontrôlable tendent au désir : l’aube elle-même, au
terme de chaque nuit, le ternit en moins d’une seconde. Les
paupières se relèvent. La psychè, la conscience, le langage, le
sujet, même la re-présentation articulée qui dédouble la présence,
même la signification qui virtualise la sensation, tout le monde
structuré et conventionnel et arbitraire des signes linguistiques,
toute la vantardise des directions et des causes les anéantissent
comme s’ils n’avaient jamais présidé à l’émergence de notre
corps. Comme s’ils ne contribuaient pas sans cesse à la résurrection de notre désir.
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