Citations de Pat Barker (158)
Que dire ? Il n'a pas fait preuve de cruauté. Je m'attendais à des brutalités, j'y comptais même, mais il n'y a rien eu de tel, et au moins cela a été vite terminé. Il baisait aussi vite qu'il tuait, et pour moi cela revenait au même. Quelque chose en moi est mort cette nuit-là.
Par la suite, partout où je suis allée, j’ai toujours recherché les femmes de Troie qui avaient été dispersées à travers le monde grec. Cette vieille squelettique, aux mains couvertes de taches brunes, qui s’en va en traînant les pieds ouvrir la porte chez son maître, est-il possible que ce soit la reine Hécube qui, jeune et belle, mariée depuis peu, avait ouvert le bal dans le palais du roi Priam ? Cette fille vêtue d’une robe déchirée et minable, qui s’empresse d’aller remplir sa cruche au puits, est-il possible que ce soit l’une des filles de Priam ? Cette concubine vieillissante, dont le maquillage s’écaille par-dessus ses rides, est-il possible que ce soit réellement Andromaque, que l’on voyait jadis si fière sur les remparts de Troie, son nouveau-né dans les bras, quand elle était l’épouse d’Hector ?
À présent, il voit ce qu’il a essayé de faire : marchander avec son chagrin. Derrière toute cette activité frénétique, il y avait l’espoir que s’il tenait ses promesses, il ne souffrirait plus. Mais il commence à comprendre qu’on ne peut pas négocier avec le chagrin. Il est impossible d’éviter la torture, ni même de la faire aller plus vite. Elle le tient dans ses griffes et ne lâchera pas tant qu’il n’aura pas appris toutes les leçons qu’elle a à lui dispenser.
- Aurais tu vraiment épousé l’homme qui a tué tes frères ?
- Eh bien, premièrement, on ne m’aurait pas laissé le choix. Mais, oui, probablement. Oui, j’étais esclave, et une esclave ferait tout, absolument tout, pour ne plus être une chose et redevenir une personne.
-Je ne comprends pas comment tu pourrais faire ça.
- Bien sûr que vous ne comprenez pas. Vous n’avez jamais été esclave.
La peau guérit, pas l'esprit.
Parfois, la nuit, je reste éveillée et je me dispute avec les voix que j'entends dans ma tête.
Par la suite, partout où je suis allée, j'ai toujours recherché les femmes de Troie qui avaient été dispersées à travers le monde grec. Cette vieille squelettique, aux mains couvertes de taches brunes, qui s'en va en traînant les pieds ouvrir la porte chez son maître, est-il possible que ce soit la reine Hécube qui, jeune et belle, mariée depuis peu, avait ouvert le bal dans le palais du roi Priam ? Cette fille vêtue d'une robe déchirée et minable, qui s'empresse d'aller remplir sa cruche au puits, est-il possible que ce soit l'une des filles de Priam ? Cette concubine vieillissante, dont le maquillage s'écaille par-dessus ses rides, est-il possible que ce soit réellement Andromaque, que l'on voyait jadis si fière sur les remparts de Troie, son nouveau-né dans les bras, quand elle était l'épouse d'Hector ?
Il y a toujours eu des gens pour croire qu’Achille et Patrocle étaient amants. …. Peut être étaient ils amants, ou bien l’avaient ils été à une époque, mais ce que j’ai vu sur la plage ce soir-là allait bien au-delà du sexe, et peut-être même au-delà de l’amour. Sur le moment, je n’ai pas compris-et je ne suis pas sûre d’avoir compris depuis-, mais j’en ai reconnu la force.
Parfois, la nuit, je reste éveillée et je me dispute avec les voix que j’entends dans ma tête.
Le jour de la mort de Polyxène, devant le tumulus funéraire d’Achille, je m’étais raconté que l’histoire d’Achille avait pris fin sur sa tombe, et que ma propre histoire allait commencer. La vérité ? L’histoire d’Achille ne se termine jamais : chaque fois que des hommes se battent et meurent, on trouve Achille. Quant à moi, mon histoire et la sienne étaient inextricablement liées.
J'avais horreur de leur servir à boire, mais Achille ne se souciait évidemment pas de ce que j'aimais ou pas, et curieusement, j'ai bientôt cessé de m'en soucier moi-même. C'est ce que ne comprennent jamais les gens libres. Un esclave n'est pas un être humain traité comme une chose. Un esclave est une chose, autant à ses yeux qu'aux yeux d'autrui.
Il aurait été plus facile, par bien des côtés, de penser que nous étions tous pris au pièce, prisonniers de cette étroite bande de terre entre les dunes et la mer. Plus facile, mais faux. Eux étaient des hommes, et des hommes libres. J’étais une femme, et une esclave. Et c’est un abîme qu’il ne faut pas laisser masquer par tous les beaux discours sur l’emprisonnement partagé.
Et j'ai hurlé avec elles, horrifiée par les sons que je produisais mais incapable de m'arrêter. Hécamède a hurlé, et Amina aussi, nous toutes, pour la perte de notre patrie _ pour la perte de nos pères, nos maris, nos frères, nos fils, pour ceux que nous avions aimés. Pour tous les hommes qu'emportait cette marée noircie par le sang.
Ce qui n’est pas partagé cesse de sembler tout à fait réel, cesse même peut-être d’être réel.
Nous sommes des créatures étranges, nous autres femmes. Nous avons tendance à ne pas aimer ceux qui massacrent notre famille.
« Un jour, il n'y a pas si longtemps, j'ai tenté de sortir de l'histoire d'Achille, et je n'y suis pas parvenue. Maintenant, mon histoire à moi peut commencer. »
Comment séparer la beauté du tigre de sa férocité ? L’élégance du guépard de la vitesse de son attaque ? Achille était pareil :la beauté et la terreur étaient les deux faces d’une seule médaille.
Ils sont près l’un de l’autre, si près qu’ils se touchent presque, mais leurs douleurs sont parallèles et non partagées.
Certaines parvenaient à se convaincre que si jamais les Troyens gagnaient, ils nous salueraient comme leurs soeurs depuis longtemps perdues. Mais serait-ce le cas ? Ou bien nous verraient-ils comme les esclaves de l'ennemi, dont ils pourraient faire ce qu'ils voulaient ? Je savais ce qui me semblait le plus probable.
Il ne s'est rien passé. Bien sûr qu'il ne s'est rien passé. Quand on implore les dieux, il se passe rarement quelque chose, n'est ce pas ?