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Citations de Paulina Dalmayer (20)


Konrad était plus que mon chant du cygne. Il était le regard d'un homme qui me donnait une existence autre que celle d'une mère ou d'une épouse. Dans mon enivrement, je m'étais convaincue que mes filles en profitaient à leur manière. N'aimaient-elles pas se montrer à côté de cette mère qui enfilait un jean et des escarpins à talons? Toujours ouverte à leurs amis, la maison grouillait d’ados qui raffolaient de pizzas congelées. Non parce qu'elles étaient bonnes, mais parce qu'elles étaient jugées indignes de la table familiale par leurs mères dévouées. Autant dire que mon pathologique manque de temps, d'investissement et de patience, produisait l'effet que ne parvenaient pas à obtenir les femmes héroïques d’abnégation que je croisais aux réunions de parents d'élèves. Enfin, en apparence. Car leurs enfants avaient beau les détester, ils ne cherchaient pas à se suicider. p. 149
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Cent. Quatre-vingt-dix-neuf. Quatre-vingt-dix-huit. Quatre-vingt-dix-sept. Quatre-vingt-seize. Quatre-vingt-quinze. Quatre-vingt-quatorze. Soixante-huit. Soixante-huit… Comment se fait-il qu’à soixante-huit ans, mon corps refuse de m’obéir ? Je compte à rebours, comme c’est recommandé, en expirant très lentement. Parfois je parviens jusqu’à quatre-vingt-dix, avant de sombrer. Que faire pour résister ? Je me laisse fléchir, perds complètement le fil, dors profondément. Enfin, je n’en sais trop rien. Parfois, l’impression troublante de me promener dans mes propres vaisseaux sanguins m’accompagne jusqu’au réveil. Égarée dans l’artère plantaire médiale de mon pied gauche, je peine à remonter vers l’artère tibiale et le haut de mon corps. Par où suis-je sortie pour me retrouver soudain en lévitation sous le plafond ? Mystère. Je plane au-dessus de mon effigie que je sais pourtant être ma chair vivante. Je l’observe d’en haut, fébrile, toute en moiteur, parcourue de légers tressaillements. Embarrassée à l’idée d’être surprise à flotter ainsi dans l’air, je me précipite – ou plutôt, comment dire ? –, je me hâte de descendre, de revenir en moi. C’est par le patch de morphine que je me réintègre. Ensuite, tout se passe de manière ordinaire. J’ouvre les yeux, fixe le lustre, et sens l’odeur des œufs brouillés au bacon qu’Edward carbonise dans la cuisine en écoutant les informations sur Radio Zet. Prise de nausées, je manque de temps pour reconstituer le voyage entre le moi d’ici-bas, immobilisé par la lourde couette d’hiver, et cet autre moi, libre de se balader à travers mon système sanguin ou de le quitter, de s’envoler vers un monde conjectural, spéculatif, sinon chimérique. Ai-je été empêchée de me déplacer au-delà du plafond ou n’ai-je simplement pas gardé en mémoire la suite de mon odyssée ?
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Après des années, je me dis que l𠆚mour naît au moment où l’on est prêt à porter du crédit aux propos les plus insensés de l𠆚utre.
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Un des maîtres-mots de Grotowski, « essence », est ainsi entré dans mon vocabulaire. Dès lors je n’ai cessé de me demander : qui suis-je ? Comment savoir en effet ce qu’est notre « essence », et quel est notre « rôle », si le « rôle » pénètre l' »essence » au point qu’elle en devient l’entité constituante, à l’exemple de ce qui est arrivé au païen Genès ? La question a pris une tout autre dimension depuis que je compte les jours qui me séparent de ma mort : quelle forme donner à ce point concluant ma vie ? Quant à son sens, je ne le cherche pas. Mais la manière précise dont se déroulera mon agonie, la mise en bière, la cérémonie funéraire, et jusqu’au choix du cercueil, me préoccupent beaucoup. Je refuse qu’on improvise avec mon cadavre, comme ce fut le cas avec celui de ma mère, même s’il faut reconnaître une certaine corrélation entre les excentricités dont elle était sporadiquement capable et le rite funèbre que lui a réservé mon frère. Peut-être même, et vraisemblablement malgré lui, à travers son acte d’apparence insensée, sinon profanateur, Wladek aurait-il saisi l' »essence » de notre mère.
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Quitte à contredire une partie de la presse et à décevoir l’opinion publique, les mercenaires d’aujourd’hui comme les « affreux » d’hier ne sont pas tous des tueurs à gages dégoulinants de sang. Il y a chez eux un côté petit-bourgeois, ou bourgeois tout court, assez paradoxal. Je m’en suis aperçue sur le tard, sous-estimant de nouveau les apparences et cherchant à tout prix à accorder les faits à mes idées préconçues.
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Quoi de mieux que de déguster un verre de bordeaux, voire une bouteille, savourer une belle pièce de bœuf sauce au poivre, se délecter d’un morceau de camembert et enfin desserrer sa ceinture à la vue des crêpes Suzette ou d’une tarte aux pommes. Quitte à y laisser leur solde, les gars ne résistaient pas longtemps.
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Passé un certain seuil, la douleur devient salvatrice. On s'y enlise avec résignation jusqu’à à atteindre une forme d'unité bienfaisante de l'être. L’intellect et les sens, le corps et l'âme, ne font plus qu'un. Les interrogations perdent leur sens. Tout est douleur. Le cancer au stade 4 a quelque chose de religieux - il relie sa proie à l'essence, ce que les uns identifient à Dieu et les autres à son absence. Le passage dans la sphère exclusive de la douleur équivaut à l'enfermement dans un quartier d'isolement. Edward ne pourrait m'y rendre visite, même s'il le souhaitait. Il me tient la tête contre son épaule d'une main, tandis qu'il me frotte les genoux de l'autre. Un vrai supplice contre lequel je ne proteste pas, […]. p.101
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Le gros de mon boulot consiste à rencontrer des gens. Et parfois j’ai la chance de rencontrer des gens qui ne m’ennuient pas, des gens qui m’apprennent des choses, des gens qui m’invitent dans un monde autre…
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Si notre vie avait été un film en phase de montage, je ne crois pas que j’aurais coupé la scène de la première rencontre avec Bastien. Ce fut une scène capitale. Si elle n’avait pas existé, tout aurait pu se dérouler autrement et, qui sait, peut-être aurions-nous trouvé, Robert et moi, un autre aboutissement à notre histoire. Je n’aurais pas été là où je suis, à Bamiyan, et lui ne serait pas devenu ce qu’il est maintenant pour moi, un étranger. Mais cette scène, déterminante pour nos existences à lui et à moi, de même que pour notre vie à deux, devait se produire car sans elle nous n’aurions jamais découvert le point de rupture que chaque homme porte en lui.
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lles étaient coquettes, petites mais plutôt bien faites, maquillées comme seules les Orientales peuvent l’être sans perdre pour autant le statut de femmes respectables. D’évidence, si je suis en mesure d’en donner une description précise c’est parce qu’aucune d’entre elles ne portait la burqa. Une capitale ça reste une capitale, même sans signalisation routière, sans éclairage public ni service d’éboueurs.
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Quelle connerie ! Acheter du linge blanc pour la brousse ! Mais va chercher du fluo, tant que t’y es, on sera encore plus visibles ! Imbécile ! Quand je dis « kaki », ça ne veut pas dire « rouge » ni « jaune » ni « orange » ni, nom de Dieu !, « blanc », mais ça veut dire KA-KI !
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Il y avait belle lurette que les filles aux seins nus n’y sautaient plus dans la piscine et que les journalistes de la BBC n’y accouraient plus à la recherche de bons tuyaux. Le milieu des expatriés s’était atomisé. Les fêtes avaient été délocalisées vers les salons privés ou les ambassades. L’alcool, de plus en plus rare au marché noir, avait atteint des sommes faramineuses. Une ambiance capricieuse et mesquine avait fini par s’imposer.
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Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.
Nicolas Bouvier
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"Vient le moment où il faut que j'enlève ma chemise d'hôpital, avec sa fermeture à pression dans le dos. Edward l'ouvre délicatement, à croire qu'il déboutonne une robe de soirée. Nous avons peut-être survécu à la chute du communisme, mais mon espérance de vie est inférieure à celle de mon tube de dentifrice. Je préfère ne pas infliger la vue de ce corps étranger, auquel je ne parviens pas à m'habituer, squelettique, jaunâtre, dépecé comme celui du cochon destiné à une marinade, à l'homme avec qui j'ai partagé quarante ans de ma vie. "
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Gabriela, ma fille aux mains d’enfant rongées par l’essence de térébenthine, dirait « trip », imaginant que je ne connais pas le mot. Elle me croit dépassée, fossilisée même, dans un préjugé formaliste contre tous ces anglicismes qui nous racontent le meilleur des mondes depuis la chute du Mur.
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Depuis le déclenchement de ma maladie, mon essence m’est devenue inaccessible. Je compte, je respire, je radote, je divague, tantôt j'oublie l'esprit, tantôt le corps, c'est toujours l'un ou l'autre, jamais les deux à la fois. Mes métastases me tiennent en laisse, chaque jour plus courte. P.40
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Edward est un homme qui ne s'est jamais battu. Pourtant, quand je le vois chaque matin s’acharner contre sa tranche de bacon collée à la poêle, je suis forcée de constater que, s’il le voulait, il pourrait éradiquer à lui tout seul les nationalistes russes, ukrainiens et, tant qu'à faire, libérer la Crimée. Sans doute croit-il que d’autres s'en chargeront, pendant qu'il est occupé à remplir des tâches autrement plus importantes. C’est l’héroïsme des gens ordinaires, dont Edward a fait la preuve insigne en s’investissant corps et âme dans la culture industrielle de champignons de Paris, au moment où les chars soviétiques stationnaient à la frontière du pays et où les ouvriers des chantiers navals de Gdansk se dépensaient à combattre le régime oppresseur. p. 70
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Sans m'avouer que quelqu'un était fou dans notre lignée, je subodorais qu'une souche contaminée dès son origine, une phrase insensée, délirante, sinon monstrueuse, se promenait dans notre génome. Parmi ces millions d'êtres humains qui avaient résisté tant bien que mal à la machine de guerre, pourquoi semblions-nous avoir souffert davantage que les autres? N’avions-nous pas trop aimé notre souffrance? Lequel de ces êtres figurant sur Les tirages argentiques en sépia s’étiolait-il avec délice dans la mélancolie? Un de ces trois bambins alignés sur un sofa, en caftans brodés et petits bonnets de dentelle? Ou plutôt cette jeune femme serrée dans un corset sous sa robe élaborée, poitrine pigeonnante, les hanches et les fesses projetées en arrière, saisie en profil perdu, silhouette cambrée, un sourire de tristesse sur les lèvres? p. 51
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Wladek s’effondre sur les genoux. Sa tignasse couleur miel, héritée de notre père, son corps parfaitement racé, étiré et sportif, bouge au rythme des contractions qui lui parcourent le corps.
« Je me suis enfui dans la forêt et quand je suis rentré hier soir, elle était là, dans l’enclos, étalée par terre. Elle a dû faire une attaque… je ne sais pas… une crise cardiaque… Cette folle a fait une crise, elle s’est rompue… son cœur a éclaté. »
Je ne sais quoi faire. Le visage couvert de morve, Wladek me jette un regard perdu. Je lui administre une claque pour le réveiller.
« Debout ! Aide-moi à la mettre par terre. »
Il obtempère. Nous débarrassons le lit des fleurs et du lapin mort, puis nous déplumons littéralement notre mère pour la débarrasser de sa « couronne ». Je la saisis par les chevilles, Wladek par les épaules. J’ordonne alors qu’on la remette avec le lit dans la chambre, à sa place.
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INCIPIT
Cent. Quatre-vingt-dix-neuf. Quatre-vingt-dix-huit. Quatre-vingt-dix-sept. Quatre-vingt-seize. Quatre-vingt-quinze. Quatre-vingt-quatorze. Soixante-huit. Soixante-huit… Comment se fait-il qu’à soixante-huit ans, mon corps refuse de m’obéir ? Je compte à rebours, comme c’est recommandé, en expirant très lentement. Parfois je parviens jusqu’à quatre-vingt-dix, avant de sombrer. Que faire pour résister ? Je me laisse fléchir, perds complètement le fil, dors profondément. Enfin, je n’en sais trop rien. Parfois, l’impression troublante de me promener dans mes propres vaisseaux sanguins m’accompagne jusqu’au réveil. Égarée dans l’artère plantaire médiale de mon pied gauche, je peine à remonter vers l’artère tibiale et le haut de mon corps. Par où suis-je sortie pour me retrouver soudain en lévitation sous le plafond ? Mystère. Je plane au-dessus de mon effigie que je sais pourtant être ma chair vivante. Je l’observe d’en haut, fébrile, toute en moiteur, parcourue de légers tressaillements. Embarrassée à l’idée d’être surprise à flotter ainsi dans l’air, je me précipite – ou plutôt, comment dire ? –, je me hâte de descendre, de revenir en moi. C’est par le patch de morphine que je me réintègre. Ensuite, tout se passe de manière ordinaire. J’ouvre les yeux, fixe le lustre, et sens l’odeur des œufs brouillés au bacon qu’Edward carbonise dans la cuisine en écoutant les informations sur Radio Zet. Prise de nausées, je manque de temps pour reconstituer le voyage entre le moi d’ici-bas, immobilisé par la lourde couette d’hiver, et cet autre moi, libre de se balader à travers mon système sanguin ou de le quitter, de s’envoler vers un monde conjectural, spéculatif, sinon chimérique. Ai-je été empêchée de me déplacer au-delà du plafond ou n’ai-je simplement pas gardé en mémoire la suite de mon odyssée ?
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Gabriela, ma fille aux mains d’enfant rongées par l’essence de térébenthine, dirait « trip », imaginant que je ne connais pas le mot. Elle me croit dépassée, fossilisée même, dans un préjugé formaliste contre tous ces anglicismes qui nous racontent le meilleur des mondes depuis la chute du Mur. Je ne lui en veux pas. Que l’on me montre un enfant qui sache discerner un être humain derrière la figure parentale ! Ma présumée méconnaissance de la novlangue n’est d’ailleurs qu’un détail, parmi les anachronismes que m’attribuent l’une ou l’autre de mes filles. Car, selon Marta, la cadette, ma démission de la faculté de médecine aurait été motivée par mon incapacité à nouer le dialogue avec les étudiants. Je l’ai entendue dérouler toute une analyse érudite et habile à ce sujet, au téléphone avec son père. Au bout de quarante ans de vie commune, Edward a la nonchalance de mener les conversations téléphoniques le haut-parleur enclenché. Quant à Marta, pas une seconde elle n’a imaginé que je puisse être lasse. En vérité, l’année où Konrad venait en cours aura sans doute été la dernière où j’ai eu le sentiment d’avoir transmis un savoir. C’était il y a vingt ans. Depuis, rien. Que des imbéciles qui m’ont demandé s’ils devaient prendre des notes quand j’ai introduit Kant dans un cours sur le syndrome néphrotique. Au moins se doutaient-ils qu’il ne s’agissait pas de l’inventeur d’un quelconque vaccin. À présent, alors que mon cancer se généralise, je ne les juge pas aussi sévèrement. Avec ou sans Kant, on a peur, on a mal, et généralement cela suffit pour qu’on ne se préoccupe pas de questions qui relèvent de philosophie pratique. « Que dois-je faire ? »
Je n’en sais fichtrement rien.
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