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Critiques de Peter Bagge (38)
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Secondes vies

Club N°53 : BD non sélectionnée

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Doubles Vies, c'est l'histoire de 4 personnages qui se fréquentent pour des raisons différentes et qui ont tous une deuxième identité.



Réelle pour cacher une précédente, imaginaire pour syndrome médical, ou bien en avatar dans un "Second World" copie de l'existant Second Life.



Un tracé noir et blanc particulier, des personnages un peu paumés du quotidien, ça respire le comics indé Américain à plein nez mais malheureusement ça ne fait pas vraiment parti du haut du panier.



Peter Bagge, l'auteur, a semble-t-il collaboré avec Robert Crumb, notamment sur Weirdo.



Ça manquera de la fougue et de la qualité du dessin de ce dernier.



Greg

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Le concept est intéressant mais rapidement, les dialogues sans fin, les discours imaginaire bousculent la vie réelle mais pas forcément pour notre plus grand plaisir...



Vincent

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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

Je connaissais Peter Bagge pour ses B.D mettant en scène le personnage de Buddy Bradley, sorte d’alter ego de l’auteur. Bagge est une figure de la B.D underground américaine (il a notamment un temps dirigé « Weirdo », la revue créée par Crumb) et il se démarque des autres grands noms de ce courant, Charles Burns et Daniel Clowes en tête, par un ton plus humoristique (qui le rapproche d’avantage d’un Joe Matt par exemple). J’étais donc étonnée de découvrir qu’il avait consacré une B.D à Margaret Sanger, créatrice du planning familial américain. Bagge délaisse donc ici les petites histoires quotidiennes d’américains moyens pour s’intéresser à un destin exceptionnel et qui a une portée universelle. Registre inédit pour l’auteur qui s’en sort remarquablement bien.



L’exercice de la biographie n’est jamais aisé. Le risque est grand de proposer un récit très scolaire, plat et impersonnel. Avec « Femme rebelle » Bagge évite cet écueil et parvient à raconter la vie d’une femme hors-norme sans s’effacer derrière son sujet. Il garde intacts son style et son ton. Et c’est tant mieux. En choisissant de raconter l’histoire de Sanger sous forme de courts épisodes de quelques pages, Bagge insuffle énormément de dynamisme à son récit. Les ellipses sont bien pensées et tout s’enchaîne avec une grande fluidité.



L’histoire de Margaret Sanger, qui a été témoin de nombre de drames et a connu son lot de malheurs, aurait pu sombrer dans le larmoyant. Il n’en est rien. « Femme rebelle » est souvent très drôle, et cela sans édulcorer le propos. « Femme rebelle » reste une B.D engagée, même si Bagge a la subtilité de ne pas verser dans un militantisme caricatural. D’ailleurs, il ne cherche jamais à faire de Sanger une héroïne lisse et parfaite. On ressent bien des contradictions, et par certains côtés elle est parfois un peu antipathique. C’est surtout son combat, son courage et sa liberté qui suscitent l’admiration de l’auteur et du lecteur.



J’ai retrouvé avec plaisir le dessin si particulier de Bagge. Et bizarrement j’ai trouvé que sa façon de dessiner les personnages, toujours un peu caricaturale, collait très bien avec l’exercice de la biographie. Il en va de même pour la colorisation pleine d’énergie.



Même si je crois que je préfère tout de même Bagge dans son registre habituel, j’ai beaucoup aimé cette B.D biographique. Drôle, intelligente et personnelle, « Femme rebelle » permet de découvrir un personnage important dans l’Histoire des droits des femmes, droits qu’il est toujours aussi important de défendre, l’actualité ne cesse de le démontrer.

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Tous des idiots sauf moi et autres considérat..

Je ne partage pas du tout les idées libertariennes de Peter Bagge, c’est même un penchant politique que je trouve assez dégueulasse puisqu’il prend prétexte des libertés individuelles pour verser dans un individualisme forcené qui ne m’inspire guère de sympathie. Du coup, ce recueil de B.D-éditos écrites pour le magazine libertarien Reason avait tout pour me faire fuir. Oui mais voilà, ces B.D sont signées Peter Bagge, un de mes bédéastes favoris. Alors, je me suis laissée tenter. Et j’ai bien fait, et ce pour plusieurs raisons.



Tout d’abord, j’ai retrouvé avec plaisir le trait outrancier de Bagge, un style volontairement exagéré qui apporte dynamisme et expressivité. Et il manie parfaitement l’art de composer une case. Tout est toujours totalement lisible malgré un foisonnement et une richesse de détails.



C’est aussi le propos que j’ai apprécié. Certains éditos m’ont fait bondir d’horreur, par exemple celui qui s’apparente à une déclaration d’amour envers les centres commerciaux, et j’ai été très agacée par les régulières pleurnicheries au sujet des impôts. Mais, dans chacun des éditos, même ceux qui m’ont dérangée, il y a quelque chose d’intéressant. S’il a des opinions marquées, il prend toujours la peine d’écouter et de relayer les arguments avant de les critiquer. Ces éditos apportent un éclairage très intéressant sur certains sujets, invitant le lecteur à interroger ses propres convictions à l’aune de ces nouveaux éléments. A mon avis, c’est d’autant plus vrai pour les lecteurs non-américains qui n’ont pas forcément les connaissances permettant d’appréhender totalement certains sujets. Je pense notamment à l’édito qui porte sur la législation relative aux armes à feu. Je me rends compte qu’ici en France nous en avons une vision très partielle et nous ne disposons pas de tous les éléments. Je n’ai pas changé d’opinion à ce sujet mais la B.D de Bagge m’a permis de comprendre quelles étaient les origines de cette législation et c’est bien moins idiot que la façon dont on nous présente les choses ici. Je reste persuadée que c’est une législation dangereuse mais ça ne sort pas du nulle part, il y a des raisons qui y ont mené et elles ne sont pas absurdes. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Quasiment chaque édito amène une réflexion, ou au moins un élément qui vient l’enrichir.



Et puis, c’est souvent très drôle. Peter Bagge a, comme dans ses œuvres de fiction, un regard corrosif et acide sur ses contemporains avec un sens de l’humour ravageur. Certains strips sont irrésistibles de drôlerie, tout particulièrement celui où il évoque l’art contemporain ou encore celui qui raconte la nerdification de la société.





J’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvé enrichissante et drôle même si je regrette qu’un type aussi talentueux que Bagge adhère à cette idéologie pourrie qu’est le libertarianisme (à ne pas confondre avec ce qu’en France on appelle idéologie libertaire). Mais bon, ce serait trop simple si on ne trouvait du talent qu’aux gens qui pensent comme nous. L’avantage, c’est que ça permet de ne pas s’encroûter et d’ouvrir son esprit à d’autres arguments.



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Apocalypse Nerd

Début des années 2000, Kim Jong-Il balance une bombe sur Seattle alors que Perry et son pote Gordo étaient partis en virée en forêt. S’il a la chance d’avoir échappé à la bombe, Perry, trentenaire informaticien, mec normal sans talent particulier, pas du tout le mâle alpha, n’est pas vraiment taillé pour la survie en milieu hostile et le petit talent de Gordo pour la chasse n’est pas vraiment suffisant pour leur assurer une vie décente.



Dans la préface, Bagge raconte avoir eu l’idée de cette histoire en 2003 lorsqu’il entend un jour à la radio le dictateur dégénéré déclarer que son pays disposait de la bombe atomique et qu’il était en mesure de détruire Seattle s’il le voulait. Cette déclaration a tout de suite enflammé l’imaginaire de Bagge. Il faut dire que lui-même habite Seattle. Il imagine donc comment se débrouillerait un type lambda confronté à la nécessité de survivre après une telle catastrophe.



Pour mon plus grand plaisir, Bagge traite ce sujet en faisant du Bagge. Comme dans ses autres B.D, le ton est donc férocement drôle, l’humour est corrosif, parfois trash. Pour pointer les travers humains de ses contemporains, l’auteur pousse son propos à l’extrême. Ainsi, dans « apocalypse nerd » on s’entretue pour… une cannette de soda. Et lorsqu’il veut évoquer un certain retour à l’état sauvage, il va jusqu’à imaginer des raids de pillage menés par des hordes d’indiens montés à cheval. Malgré le propos très sombre, très pessimiste et la brutalité à laquelle cèdent les personnages, la B.D est vraiment très drôle.

Quant au dessin, j’ai retrouvé avec plaisir le style Bagge que j’apprécie tellement, un trait à la fois simple et outrancier plein de dynamisme et à l’impact visuel vraiment fort.





Sans jamais édulcorer son portrait au vitriol de nos sociétés modernes et sans atténuer le pessimisme de son propos, avec « Apocalypse nerd » Bagge parvient à faire rire tout au long de la lecture. Jouissif !

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Buddy Bradley, Tome 1 : En route pour Seattle

Il y a quelques années, avant d’être inscrite sur Babelio, j’avais lu le 2ème tome de la série de Peter Bagge mettant en scène Buddy Bradley « En route vers le New-Jersey ». Lire ce second volet sans avoir lu le 1er n’était pas vraiment gênant mais j’avais toujours regretté de ne pas avoir fait les choses dans l’ordre. Les années passant, les souvenirs se sont effacés et c’est donc quasiment en néophyte que je me suis attaquée à ce 1er tome intitulé « En route vers Seattle ».

Par rapport à d’autres auteurs de B.D américaine underground Peter Bagge n’est pas très connu en France, ce que je trouve assez injuste tant j’apprécie son univers et son ton, dosage parfait entre humour corrosif et tendresse.



De quoi parle « En route pour Seattle » ? Buddy Bradley est un mec de 25 piges, un peu toujours en galère, qui ne sait pas trop quoi faire de sa vie. En attendant il bosse chez un bouquiniste et il partage un appartement avec deux zigotos assez particuliers : Stinky, un séducteur punk de pacotille qui attire les emmerdes avec une belle régularité et George, un type étrange, pas mal geek et surtout très introverti et totalement névrosé. Névrosées également les femmes dans la vie de Buddy, que ce soit la colérique Val ou la barjo Lisa. Autour de cette petite « bande » gravite tout un tas de personnages plus mou moins sympathiques, en tout cas toujours savoureux.





On suit donc le quotidien de Buddy et les autres à travers des histoires de quelques pages. A l’image de son trait caricatural et dynamique à la fois très personnel et très ancré dans l’underground américain, Bagge joue beaucoup sur le registre de l’outrance et de l’exagération. Le résultat est très drôle, on se marre vraiment souvent lors de la lecture. Si ces situations sont outrancières, si Bagge force le trait, l’auteur ne se départit jamais d’une forme de tendresse envers ses personnages, et en premier lieu envers Buddy. Et pourtant, ce n’était pas évident. Buddy est finalement un type assez médiocre, il n’est pas séduisant ni brillant, parfois il se montre antipathique, voire odieux. Et pourtant, on s’attache à ce personnage qui n’a pas grand-chose pour lui. Peut-être parce qu’on se reconnait un peu en lui.

« En route pour Seattle » constitue un formidable portrait de la jeunesse de la classe moyenne américaine des années 90. Période emblématique s’il en est : la Guerre du Golfe, le Grunge au sommet (ce n’est pas un hasard si la B.D se passe à Seattle, mère patrie du mouvement musical), contexte social plutôt défavorable (les petits boulots, les galères de logement…). Ces jeunes n’adhèrent pas vraiment au modèle social américain mais ils ne croient pas en grand-chose, ils n’ont pas vraiment de rêves, ne s’attachent à aucune utopie. Il est loin le temps de l’idéal hippie et l’ère des yuppies et du fric-roi n’a pas fait illusion.



Cette peinture sociétale est un élément essentiel de la réussite que constitue « En route pour Seattle » mais il ne faudrait pas réduire la B.D à cet aspect. Si j’ai autant apprécié ma lecture c’est avant tout parce que j’ai beaucoup ri et que je ne me suis jamais ennuyée au cours des quelques 350 pages que compte le volume. Le ton de Bagge, acide, burlesque, parfois trash fonctionne parfaitement sur moi.

Bien entendu, je conseille vivement la lecture de cette B.D. Si vous avez envie de rigoler, foncez ! Moi, je compte bien redécouvrir prochainement le tome 2.

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Apocalypse Nerd

Un récit post apocalyptique cynique et drôle, un graphisme en noir et blanc expressif, le style de Peter Bagge est assez outrancier, politiquement incorrect, mais pas si irréaliste. Une bombe nucléaire à dévasté Seattle, de retour de weekend, Perry et Gordo font demi tour et retournent se cacher dans les montagnes. Leur vie et leur humanité vont éclater en lambeaux. C’est un récit sur le retour à la barbarie, la perte des valeurs, sans concessions sur la nature humaine, mais traité sur le ton de l’humour. Les personnages sont eux-mêmes effrayés par leur évolution, leur perte de valeurs. En réalité, plus cynique que drôle, le pessimisme de l’auteur semble pris lui-même dans l’engrenage de l’outrance et de l’horreur.
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

J'ai pris cet album sans trop savoir à quoi j'allais me confronter. le graphisme m'a induit en erreur, le style est rétro, proche de la BD underground américaine des années 70, inspiré de Robert Crumb, la colorisation, le papier, la mise en page confortent cet aspect. le ton est assez brut, cru, avec des personnages qui gesticulent avec leur bras tubulaires, et pourtant on est dans un récit biographique, publié en 2013 en VO, concernant la vie de Margaret Sanger, militante anarchiste qui fut à l'origine du Planning familial aux Etats-Unis. Ce ton détaché et ironique du récit s'accorde parfaitement avec le personnage au caractère bien trempé, c'est tout à fait le genre de personnages qu'on pourrait s'attendre à rencontrer dans un album “Culottées” de Pénélope Bagieu. La condition de la femme au cours du XXe siècle est évidemment au coeur du récit, certaines obstructions à son avancée prêtent à rire tout en faisant froid dans le dos, c'est un livre de révolte, profondément féministe, écrit par un homme (heureusement, il y a des hommes féministes !), c'est une page d'histoire qui est loin d'être fermée malheureusement... C'est un bel hommage, efficace et convaincant, très militant et nécessaire.

PS. Encore un auteur de BD undergroud américain conseillé par Foxfire, merci !
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

Mon compagnon est un fan invétéré de Peter Bagge, ce qui me permet d’avoir à disposition la quasi-totalité de ses œuvres publiées en France. Malgré cette porte grande ouverte sur cet auteur reconnu de la BD underground américaine, je n’avais pas encore osé aller à sa découverte, jusqu’à cette couverture : une femme toute de rouge vêtue sur une scène, bâillonnée, pendant que deux hommes à la mine patibulaire discourent à sa gauche et à sa droite... Mais quelle est donc cette femme rebelle ? Quelle est donc l’histoire de Margaret Sanger ?



En une série de brefs épisodes d’une ou deux pages, Bagge nous dresse le portrait d’une pionnière du droit des femmes, née dans la campagne de l’État de New-York, et dans les années 1880. Une jeune femme brillante qui aura sans doute trouvé la motivation des combats de sa vie dans son enfance, avec une maman mère de 11 enfants mais surtout enceinte 18 fois, morte de la tuberculose à l’âge de 49 ans.

Cette vie n’est pas faite pour Margaret qui, même mariée et mère de trois enfants, choisit de mener de front sa vie professionnelle d’infirmière et sa vie militante. Ses prises de position radicales publiées dans le mensuel ‘The woman rebel’ l’amènent à s’exiler loin de sa famille, en Angleterre et en Espagne, où elle fera la rencontre de militants et d’intellectuels défendant des causes identiques aux siennes. De retour en Amérique, et désormais séparée de son mari, elle fonde à Brooklyn la première clinique de contrôle des naissances aux États-Unis avec sa sœur Ethel, en octobre 1916. De livre en livre, de conférence en conférence, elle continue de se battre et d’argumenter pour son combat qui finit par être reconnu, malgré les polémiques et les procès. Grâce à elle enfin, la ligue américaine pour le contrôle des naissances se dénommera planning familial et la légalisation de la pilule sera actée et légalisée un an avant qu’elle ne décède, en 1966.



Quelle femme et quelle biographie-hommage offerte par Peter Bagge ! Ce comics se lit tout seul et reste très rythmé et dynamique, à l’image du personnage. Même si le style de l’auteur m’a surprise dès les premières pages, avec ces corps courbés et souples, parfois élastiques, ces visages très expressifs et quelquefois distordus, cela ne vient à aucun moment dénaturer le propos, bien au contraire. Il donne vie au récit, sort du conformisme de l’exercice et offre à cette femme impossible, survoltée et indomptable un visage humaniste et séduisant, drôle aussi.



Un portrait fascinant, admirablement documenté, et intègre sur cette femme controversée, qui mérite que l’on s’y arrête longuement. Une belle découverte...

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Buddy Bradley, Tome 1 : En route pour Seattle

J'ai eu un peu de mal avec ce roman graphique très dense en noir et blanc au début, qui nous plonge dans la ville de Seattle dans le quotidien d'un jeune garçon issu de la classe moyenne.



Il y est question de musique, d'amitié, d'amour, de colocation mais une fois fait connaissance avec tout ce petit monde les personnages sont intéressants à suivre. Mention spécial pour Lisa et Bradley qui sont complétement déjantés.



Une lecture que j'ai découvert totalement par hasard mais celle-ci est quand même plutôt longue à lire car elle fait 350 pages.
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Tous des idiots sauf moi et autres considérat..

Lecture ultra-compliquée pour qui ne maîtrise pas toutes les subtilités de la politique aux Etats Unis. Les références aux hommes politiques et aux lois (trop nombreuses !) sont assez obscures et rendent la compréhension des propos de Peter Bagge très compliquée... J'ai été obligée de relire certaines pages à plusieurs reprises pour suivre le fil de ses idées, et quelles pages ! Bourrées de texte, avec des dessins minuscules casés entre deux commentaires, deux bulles et deux renvois. C'est encore de la BD ça ?



Marrant aussi de voir que cet auteur de la génération grunge qui a contribué à plusieurs revues de punk est devenu aujourd'hui plutôt réactionnaire. On le voit méfiant, arrogant, craintif. Il avoue s'éclater dans les galeries marchandes et autres lieux de grande consommation... Surprenant de sa part ! Mais pourquoi pas après tout. J'aime autant cela qu'un auteur qui se croit obligé de garder les mêmes opinions toute sa vie pour rester conforme à l'image qu'il avait donné de lui au début de sa carrière.



Heureusement, certaines parties de ce recueil sont un peu plus légères lorsque Peter Bagge se met à parler d'art, de sciences ou de divertissement. Peut-être parce que moins de prérequis sont nécessaires, le lecteur peut enfin profiter de la verve caustique de Peter Bagge et rire avec lui de la crasse ambiante des Etats-Unis de nos jours...
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

C’est la première bd de Bagge que je lis et, si je comprend bien, elle est un peu particulière dans l’univers de cette auteur.

Quoi qu’il en soit, c’est une histoire très intéressante et bien documentée qui nous est proposée ici, celle de Margaret Sanger, militante américaine, a l’origine du planning familial.

La narration est bonne et l’histoire intéressante. Comme souvent dans ce genre de récit le rythme est parfois inégal mais ça ne pose pas de problème tant le propos est riche.

Le tout est teinté d’un cynisme et d’un humour parfaitement dosés.

Le trait, souple, est assez chouette même si il ne correspond pas trop ace que j’affectionne.
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Peter Bagge's Other Stuff

Ce tome est une anthologie regroupant 66 histoires courtes de quelques cases à 8 pages, parues dans divers comics et diverses revues, dans les années 1990 et 2000, écrites et dessinées par Peter Bagge. 14 d'entre elles sont le fruit d'une collaboration avec un autre créateur (scénariste, dessinateur ou encreur). Le tome commence avec une introduction de 2 pages de texte écrite par Peter Bagge en 2013, et restituant le contexte d'une partie de ces histoires. Ces histoires sont regroupées en 5 parties.



Groupe 1 : Lovey (26 pages, 4 histoires) - Lovey est une jeune adulte, qui fréquente des copains : André, Natalie, Knuckles. Successivement, elle demande à son copain André de se travestir avant l'acte sexuel, elle se prend de pitié pour un professeur en fauteuil roulant et ses copines aussi. Elle demande à Knuckles de faire boire André au bar pour ramener des ragots. Elle organise une soirée chez elle avec des invités choisis pour de mauvaises raisons.



S'il n'a jamais lu de bande dessinée de Peter Bagge, le lecteur se prend un grand choc. Il découvre des personnages dessinés comme s'ils sont en caoutchouc, avec des membres sans articulations, tout en arrondis, des bouches distordues pour un effet comique, habités par une forme d'hystérie comme s'ils ressentaient chaque émotion comme des enfants, avec une esthétique de dessin animé pour enfant, mais des comportements d'adultes irresponsables, sans compter que Lovey vomit régulièrement, sous l'effet de l'alcool, mais aussi sous l'effet d'une forte répulsion. Il en découle des séquences où l'hystérie règne en maître, ainsi que l'absence de retenue. Une fois habitué à cette direction d'acteurs très particulière, le lecteur peut à la fois se moquer sans retenue d'individus aussi vulgaires et pas très futés, et se reconnaître dans certaines réactions émotionnelles. Il sourit quand Lovey s'attache un harnais pénien et se jette nue sur son amant, tout en ressentant l'intensité émotionnelle qui s'empare de soi lorsqu'on brise un interdit, ici à caractère sexuel. Il comprend que ces jeunes femmes soient hésitantes entre la pitié que leur inspire le professeur en fauteuil roulant, et l'impression de se faire avoir par un pervers. Il partage leur envie de s'intégrer à un groupe de jeunes à la mode, tout en regrettant de les avoir favorisés aux dépens de leurs vrais amis. Ces 26 pages passent très vite, avec des rires bien gras mêlés à des moments de gêne en se reconnaissant dans ces attitudes.



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Groupe 2 : Rock'n'roll (10 pages, 13 histoires) - Au cours d'anecdotes en 1 page ou moins, sont évoqués l'effet des champignons hallucinogènes, Bon Scott, Malcolm et Angus Young en train de composer une chanson, Brian Wilson se faisant offrir un diner aux dépens de ses invités, l'admiration que Melissa Etheridge voue à David Crosby, la relation amoureuse entre Dennie Wilson et Christine McVie, une partie de jambe en l'air à 3 avec Buddy Holly et Little Richard, l'irruption de Sly Stone dans un studio d'enregistrement, le mauvais caractère de Frank Sinatra, etc.



Pensant s'être bien adapté aux idiosyncrasies de l'auteur, le lecteur se lance avec confiance dans le groupe d'histoires suivant. Il prend vite conscience qu'il est passé à un niveau supérieur. Les histoires font en moyenne une page et comptent de 9 à 12 cases, avec des dialogues concis et consistants, pour évoquer des anecdotes dont il est plus facile de saisir le sel si l'on est un peu familier des artistes mis en scène. Il faut deux fois plus de temps pour lire une de ces pages que celle d'un comics traditionnel, voire 3 fois plus. Les personnages présentent une allure toujours aussi caoutchouteuse, mais un peu moins hystérique. Passée la blague sur l'effet des psilocybes, Peter Kupper dépeint les musiciens sous leur pire jour ; que ce soit Bon Scott qui demande à Angus et Malcolm Young de composer sur 3 cordes, ou Brian Wilson en musicien aigri jouant les pique-assiettes ingrats. Le lecteur voit ces artistes qu'il a pu aduler sous une autre facette, débarrassés de toute forme d'admiration, ramenés à ce qu'ils peuvent avoir de plus mesquin, ou de plus banal, à commencer par leur bêtise. L'auteur s'amuse également beaucoup à opposer des individus animés de valeurs inconciliables, par exemple le père de Brian Wilson et les membres du groupe des Beach Boys.



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Groupe 3 : Collaborations (44 pages, 14 histoires) - Entre autres, Peter Bagge collabore avec Gilbert Hernandez pour un galerie de portrait d'individus égocentrés, avec Alice Cooper pour une anecdote de scène, Avec Adrian Tomine pour une caricature du créateur de comics débutant, avec Alan Moore pour l'histoire personnelle de Jughead, avec Daniel Clowes pour une soirée entre 2 couples dont chaque personne est rongée par sa culpabilité, avec Johnny Ryan pour une parodie de Dilbert, avec Danny Hellman pour mettre en scène Harvey Kurtzman, avec Robert Crumb pour une femme trouvant qu'elle a un trop gros postérieur, etc.



Associer deux fortes personnalités créatrices n'est pas toujours un gage d'une œuvre encore plus percutante. La première collaboration donne lieu à des portraits irrésistibles faisant ressortir la mesquinerie et l'égocentrisme de chacun individus épinglés, pour une vision acerbe et percutante. Au contraire, l'anecdote d'Alice Cooper (une blessure sur scène) manque à la fois de verve et d'humour. Les revers essuyés par l'auteur de comics débutant constituent une parodie acide et pointue du petit milieu des comics indépendant à tendance biographique, avec les dessins propres et cliniques d'Adrian Tomine, pour une satire inégalable. La collaboration entre Alan Moore et Peer Bagge est tout aussi acide et savoureuse, une parodie de déchéance d'une célébrité, mais il s'agit d'un pichet anthropoïde. Il faut le lire pour croire que les 2 créateurs réussissent une histoire aussi poignante et sarcastique avec un tel personnage aussi improbable. Les 4 collaborations suivantes sont tout aussi réussies : le malaise existentiel doublé d'un mépris de soi exacerbé par les dessins secs et sans pitié de Daniel Clowes, la parodie de Dilbert cassante et méchante, aussi drôle que l'original en plus acerbe, l'hommage vachard à Harvey Kurtzman, et l'étroite collaboration entre Bagge et Crumb dans laquelle ce dernier s'autoparodie avec un humour référentiel (son obsession pour les gros postérieurs) sans pitié envers lui-même.



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Groupe 4 : True facts (20 pages ,14 histoires) - Peter Bagge évoque quelques scientifiques par le petit bout de la lorgnette : Robert Brown (1773-1858, théoricien du mouvement brownien), Wallace Hume Carothers (1896-1937, inventeur du nylon), Dimitri Mendeleïev (1834-1907, concepteur du tableau périodique des éléments), Joseph Priestley (1733-1804, découvreur de l'oxygène), le major Walter Reed (1851-1902, découvreur du rôle des moustiques dans la transmission de la fièvre jaune), Taqi al-Din (1526-1585, astronome et astrologue). Il met en scène quelques considérations sur les débuts des humoristes sur scène, sur le choix d'habiter sur la côte Est ou sur la côte Ouest des États-Unis, sur ce qu'il sait de la Belgique, etc.



D'une certaine manière, cette façon d'évoquer des scientifiques majeurs au travers d'une anecdote pince-sans-rire rappelle Founding Fathers Funnies: Non-Stop Historical Hilarity consacré aux pères fondateurs des États-Unis à qui il appliquait le même traitement. Il vaut donc mieux savoir pour quelle invention ou découverte chacun de ces savants est connu pour pouvoir apprécier l'ironie du gag. À nouveau, les cases sont remplies à ras bord, à la fois par des détails sur les lieux, par des personnages habités par de fortes émotions et surjouant comme des adolescents avec les doigts dans la prise et la lecture de chaque page demande du temps pour tout assimiler.



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Groupe 5 : The shut-ins (20 pages, 19 histoires) - Chet et Bunny Leeway sont un jeune couple sans enfants vivant dans une banlieue indéterminée. Chet se lance dans la création de son site internet, mais n'arrive pas à comprendre le langage de programmation. Chet devient accro à internet au point de ne plus sortir de chez eux et de vivre en peignoir dans le sous-sol devant l'ordinateur. Le chat de Bunny et Chet est malade et a besoin d'aide pour excréter. Le quartier où ils sortent a beaucoup changé depuis la dernière fois où ils y ont passé une soirée. Leur voisine se lance dans la vente de semence de fleurs par correspondance.



Retour à des jeunes adultes au comportement obsessionnel ou irrationnel, mais cette fois-ci, ils sont installés dans leur propre pavillon et gagnent leur vie, enfin plus ou moins pour Chet. À nouveau l'exagération des acteurs est irrésistible, couplé avec des dessins en apparence tout public, et des comportements crétins, mais très humains. Le lecteur éprouve la sensation d'avoir lui aussi les doigts dans la prise du réseau branché sur la quintessence de l'humanité, dans ce qu'elle a de plus faillible et de plus touchante.



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Ce tome ne constitue pas forcément un bon moyen de découvrir les œuvres de Peter Bagge car chaque groupe relève d'une thématique différente, ce qui peut donner l'impression de sauter du coq à l'âne. Pour autant, c'est un excellent exemple de la verve visuelle de Peter Bagge, de ses dessins sans concession qui n'appartiennent qu'à lui, de la puissance comique de sa dérision, de son esprit critique qui sait mettre en évidence le ridicule de tout à chacun, y compris lui.
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Tous des idiots sauf moi et autres considérat..

Ce tome regroupe des bandes dessinées politiques et satiriques réalisées par Peter Bagge pour le magazine Reason (créé en 1968), de tendance politique libertaire. Il contient 50 éditoriaux réalisées sous forme de comics de 1 à 4 pages, entre 2001 et 2010, et été publié pour la première fois en 2013. La majeure partie de ces éditoriaux sont en couleurs. Le tome s'ouvre avec une courte introduction rédigée par Nick Gillepsie, le rédacteur en chef du magazine Reason, indiquant qu'en tant que dessinateur de presse et satiriste, Peter Bagge se montre cruel, mais il est aussi capable de reconnaître quand il s'est trompé. Indépendamment des orientations politiques du lecteur et de ses convictions, il peut être assuré que ces éditoriaux auront au moins 2 effets : le faire réfléchir et le faire rire.



Les différents éditoriaux sont regroupés en 9 chapitres thématiques : (1) la guerre, (2), le sexe), (3) les arts, (4), le business, (5) les cafouillages, (6) les drames, (7) la politique, (8) la nation, (9) une biographie. Chaque chapitre comporte un nombre d'éditoriaux différents, de 2 pour le sexe, à 14 pour celui sur la nation. Chapitre 1 - En 2003 à Seattle, en tant que journaliste, Peter Bagge se rend à une manifestation contre la guerre en Irak, c’est-à-dire la seconde guerre du Golfe (2003-2011). Il écoute les différentes interventions dont celle d'un membre du Congrès ayant traité le président Bush de menteur. Il recueille aussi l'avis et les arguments de différents manifestants. En 2006, il met en scène différents élus à Washington réfléchissant aux nouvelles mesures anti-terrorisme pouvant être mises en œuvre. En 2007, il évoque l'évolution de la législation sur les armes à feu, jusqu'à la possession d'un bazooka. Dans le chapitre consacré au sexe, il assiste en tant que journaliste à une convention sur les genres de vie alternatifs, toujours avec une opinion très critique sur les raisonnements utilisés pour légitimer ces modes de vie aux yeux de la loi. Puis il passe en revue les arguments contre l'avortement et la pilule.



Dans le chapitre consacré aux arts, Peter Bagge ridiculise aussi bien les solos de clarinette dans les concerts de jazz, que les artistes évoquant hypocritement des causes sociales pendant les cérémonies de remise de prix, les financements gouvernementaux à l'art moderne, le rock chrétien, les créateurs au comportement artistique allant à l'encontre de ce qu'ils défendent, et les humoristiques à contretemps et changeant d'opinion en fonction du sens du vent politique. Dans le chapitre sur le commerce, il retrace l'évolution de son appréciation des centres commerciaux géants (mall), l'avis de l'artiste sur la propriété intellectuelle, les casinos implantés dans les réserves indiennes, son expérience d'une convention de comics espagnole, la stratégie des grands commerces entre généralisme ou hyperspécialisation. Les cafouillages concernent aussi bien les transports en commun que les stades municipaux, les trains ou la faillite économique de Detroit. Par la suite il aborde des sujets aussi divers que l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques, les sans-abris, une prison pour femmes, l'hypocrisie inhérente aux présidents des États-Unis, l'immigration clandestine, les idées reçues idiotes… Le tome se termine avec une biographie en 12 pages d'Isabel Mary Paterson (1886-1961), et enfin les réactions extrêmes que suscitent les ouvrages de Ayn Rand (1905-1982).



S'il a eu la curiosité d'ouvrir cet ouvrage, le lecteur en connaît déjà la nature : une anthologie d'éditoriaux de nature politique (au sens large) de Peter Bagge. En outre, il sait vraisemblablement aussi que cet auteur revendique être un libertaire, un individu souhaitant une liberté totale dans une société débarrassée des formes institutionnelles de l'autorité. Enfin, Bagge est américain : ses chroniques se basent donc sur des particularités de la société américaine et du peuple américain. Il est également probable qu'il ait été attiré par l'exubérance des dessins marqués par des exagérations caricaturales qui leur donnent une saveur à nulle autre pareille. Effectivement, c'est du Peter Bagge pur jus. Dès la couverture, le lecteur retrouve les bouches dessinées en fer à cheval, avec une dentition soit toute blanche, sans séparation de dents, soit avec des dents de type dent de scie ou une dentition à trou, à chaque fois exagérée pour un effet comique. Le dessinateur s'amuse toujours autant avec les expressions des visages : les yeux à moitié exorbités veinés de rouge sous l'effet d'une émotion intense, parfois les yeux comme des billes de loto pour un louchage irrésistible, la bouche grande ouverte pour hurler à plein poumon d'énervement, les sourcils très froncés pour une colère intense, etc. Il est impossible de rester de marbre devant ces individus surexcités, réagissant avec des émotions non filtrées.



Les morphologies des individus sont elles aussi malmenées : les corps deviennent caoutchouteux, en particulier les bras dont les coudes disparaissent souvent pour ne plus laisser qu'une forme arrondie de l'épaule au poignet. L'artiste accentue encore cet effet donnant une impression de souplesse enfantine, avec des têtes parfois plus grosses que la normale (ou des corps plus petits). Les dos peuvent également s'arrondir avec des troncs donnant alors une impression de ballon. Ces caractéristiques confèrent une vitalité remarquable aux personnages, et fait s'exprimer leurs émotions avec force. D'éditorial en éditorial, le lecteur est impressionné par la diversité des individus représentés que ce soit leur morphologie, leur âge, leur coiffure, leur corpulence, leur tenue vestimentaire, leur maintien, leur langage corporel. De la même manière, Bagge sait évoquer des lieux très variés, parfois en quelques traits, parfois avec de nombreux détails : la scène d'un rassemblement, les rayonnages d'une vente privée d'armes, les allées d'un supermarché, le comptoir d'une pharmacie, la chambre d'un adolescent, le salon d'une maison avec canapé et télé, un plateau de tournage de la passion du Christ, les allées d'un complexe commercial, le casino d'une réserve indienne, un stade sportif flambant neuf, un wagon de l'Amtrack, etc. Dans d'autres séquences, il se focalise uniquement sur les personnages et leurs mouvements, avec des fonds vides. Dans tous les cas, il s'agit d'une lecture dense.



S'il a déjà lu des comics de cet auteur, le lecteur sait que son écriture est dense et qu'il faut compter 2 à 3 fois plus de temps pour une lire page de Bagge que pour un comics normal. Il retrouve cette particularité ici, non pas du fait de pavés de texte copieux, mais bien du fait de la concision. Cette caractéristique de son écriture est manifeste dans la biographie d'Isabel Mary Paterson, écrivaine, philosophe, ayant publié un essai sur le libertarisme. Chaque vignette est à la fois concise et dense, le tout intégrant un nombre impressionnant d'éléments de sa vie, sans rien sacrifier aux émotions de chaque moment. Le principe des éditoriaux est que Peter Bagge effectue un reportage, ou donne simplement son avis sur un aspect de la société américaine. Il vaut mieux être un peu familier de la forme bipartisane de la vie politique, et de quelques caractéristiques de la société américaine et de sa vie urbaine pour tout saisir, mais cela ne requiert pas un niveau expert, ou une connaissance pointue du contexte sociopolitique des années 2000. Le lecteur sait pertinemment que Peter Bagge exprime son avis partial et son point de vue de libertaire sur ce qu'il commente. D'ailleurs il affiche clairement ses convictions dans ses jugements de valeur. Chaque éditorial s'avère très drôle, et même cocasse du fait des capacités d'observation pénétrante de l'auteur, de son point de vue tranché ne s'interdisant pas d'être de mauvaise foi, et de ses jugements critiques à l'emporte-pièce. Le lecteur peut très bien ne pas être d'accord, tout en savourant la verve comique de l'auteur.



Peter Bagge n'est pas tendre avec ses concitoyens, encore moins avec les élus, et il n'hésite pas à se mettre en scène avec un regard tout aussi critique pour pointer ses propres incohérences ou lâchetés. Par exemple dans les 4 pages consacrées aux complexes commerciaux (malls), il se met en scène d'abord comme un adolescent fustigeant ces temples de la consommation, pour ensuite dire tout le bien qu'il en pense une fois devenu parent. Il en va de même pour sa position sur la guerre en Iraq, reconnaissant que son premier éditorial était orienté au point d'en devenir idiot. En fonction de sa sensibilité, le lecteur est plus ou moins intéressé par tel sujet. Mais à la lecture, le degré d'implication viscérale de Peter Bagge pour chaque sujet fait qu'il s'y intéresse ne serait-ce que pour les réactions comiques. Il finit par se rendre compte que certaines opinions de l'auteur trahissent parfois un manque d'information (par exemple sur les OGM). Toutefois, comme le commentaire de Bagge est toujours très tranché et presque toujours porteur d'informations, la force émotionnelle de son discours fait que chaque éditorial provoque une réaction chez le lecteur, que ce soit sur la posture faussement pacifiste des États-Unis, sur les conséquences liberticides de la loi anti-terroriste, sur le port d'armes et sa restriction, et même sur les trains et les transports en commun. En effet, ces éditoriaux offrent une vision d'une culture différente de celle du lecteur, lui donnant des points de comparaison, pour une réflexion sur l'organisation de son propre pays. En plus, Peter Bagge est à chaque fois irrésistible quand il s'en prend aux postures hypocrites des politiques comme des consommateurs, un vrai jeu de massacre.



À l'opposé d'éditoriaux austères ou cliniques, ceux de Peter Bagge sont partiaux et habités par une verve comique énorme qui fait que le lecteur ne s'ennuie jamais et se rend compte qu'ils provoquent une réaction irrépressible en lui, l'obligeant à considérer ses propres convictions, pas toujours beaucoup plus brillantes que celle de l'américain moyen.
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Everybody is stupid except for me

Ce tome regroupe des bandes dessinées politiques et satiriques réalisées par Peter Bagge pour le magazine Reason (créé en 1968), de tendance politique libertaire. Il contient 50 éditoriaux réalisées sous forme de comics de 1 à 4 pages, entre 2001 et 2010, et été publié pour la première fois en 2013. La majeure partie de ces éditoriaux sont en couleurs. Le tome s'ouvre avec une courte introduction rédigée par Nick Gillepsie, le rédacteur en chef du magazine Reason, indiquant qu'en tant que dessinateur de presse et satiriste, Peter Bagge se montre cruel, mais il est aussi capable de reconnaître quand il s'est trompé. Indépendamment des orientations politiques du lecteur et de ses convictions, il peut être assuré que ces éditoriaux auront au moins 2 effets : le faire réfléchir et le faire rire.



Les différents éditoriaux sont regroupés en 9 chapitres thématiques : (1) la guerre, (2), le sexe), (3) les arts, (4), le business, (5) les cafouillages, (6) les drames, (7) la politique, (8) la nation, (9) une biographie. Chaque chapitre comporte un nombre d'éditoriaux différents, de 2 pour le sexe, à 14 pour celui sur la nation. Chapitre 1 - En 2003 à Seattle, en tant que journaliste, Peter Bagge se rend à une manifestation contre la guerre en Irak, c’est-à-dire la seconde guerre du Golfe (2003-2011). Il écoute les différentes interventions dont celle d'un membre du Congrès ayant traité le président Bush de menteur. Il recueille aussi l'avis et les arguments de différents manifestants. En 2006, il met en scène différents élus à Washington réfléchissant aux nouvelles mesures anti-terrorisme pouvant être mises en œuvre. En 2007, il évoque l'évolution de la législation sur les armes à feu, jusqu'à la possession d'un bazooka. Dans le chapitre consacré au sexe, il assiste en tant que journaliste à une convention sur les genres de vie alternatifs, toujours avec une opinion très critique sur les raisonnements utilisés pour légitimer ces modes de vie aux yeux de la loi. Puis il passe en revue les arguments contre l'avortement et la pilule.



Dans le chapitre consacré aux arts, Peter Bagge ridiculise aussi bien les solos de clarinette dans les concerts de jazz, que les artistes évoquant hypocritement des causes sociales pendant les cérémonies de remise de prix, les financements gouvernementaux à l'art moderne, le rock chrétien, les créateurs au comportement artistique allant à l'encontre de ce qu'ils défendent, et les humoristiques à contretemps et changeant d'opinion en fonction du sens du vent politique. Dans le chapitre sur le commerce, il retrace l'évolution de son appréciation des centres commerciaux géants (mall), l'avis de l'artiste sur la propriété intellectuelle, les casinos implantés dans les réserves indiennes, son expérience d'une convention de comics espagnole, la stratégie des grands commerces entre généralisme ou hyperspécialisation. Les cafouillages concernent aussi bien les transports en commun que les stades municipaux, les trains ou la faillite économique de Detroit. Par la suite il aborde des sujets aussi divers que l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques, les sans-abris, une prison pour femmes, l'hypocrisie inhérente aux présidents des États-Unis, l'immigration clandestine, les idées reçues idiotes… Le tome se termine avec une biographie en 12 pages d'Isabel Mary Paterson (1886-1961), et enfin les réactions extrêmes que suscitent les ouvrages de Ayn Rand (1905-1982).



S'il a eu la curiosité d'ouvrir cet ouvrage, le lecteur en connaît déjà la nature : une anthologie d'éditoriaux de nature politique (au sens large) de Peter Bagge. En outre, il sait vraisemblablement aussi que cet auteur revendique être un libertaire, un individu souhaitant une liberté totale dans une société débarrassée des formes institutionnelles de l'autorité. Enfin, Bagge est américain : ses chroniques se basent donc sur des particularités de la société américaine et du peuple américain. Il est également probable qu'il ait été attiré par l'exubérance des dessins marqués par des exagérations caricaturales qui leur donnent une saveur à nulle autre pareille. Effectivement, c'est du Peter Bagge pur jus. Dès la couverture, le lecteur retrouve les bouches dessinées en fer à cheval, avec une dentition soit toute blanche, sans séparation de dents, soit avec des dents de type dent de scie ou une dentition à trou, à chaque fois exagérée pour un effet comique. Le dessinateur s'amuse toujours autant avec les expressions des visages : les yeux à moitié exorbités veinés de rouge sous l'effet d'une émotion intense, parfois les yeux comme des billes de loto pour un louchage irrésistible, la bouche grande ouverte pour hurler à plein poumon d'énervement, les sourcils très froncés pour une colère intense, etc. Il est impossible de rester de marbre devant ces individus surexcités, réagissant avec des émotions non filtrées.



Les morphologies des individus sont elles aussi malmenées : les corps deviennent caoutchouteux, en particulier les bras dont les coudes disparaissent souvent pour ne plus laisser qu'une forme arrondie de l'épaule au poignet. L'artiste accentue encore cet effet donnant une impression de souplesse enfantine, avec des têtes parfois plus grosses que la normale (ou des corps plus petits). Les dos peuvent également s'arrondir avec des troncs donnant alors une impression de ballon. Ces caractéristiques confèrent une vitalité remarquable aux personnages, et fait s'exprimer leurs émotions avec force. D'éditorial en éditorial, le lecteur est impressionné par la diversité des individus représentés que ce soit leur morphologie, leur âge, leur coiffure, leur corpulence, leur tenue vestimentaire, leur maintien, leur langage corporel. De la même manière, Bagge sait évoquer des lieux très variés, parfois en quelques traits, parfois avec de nombreux détails : la scène d'un rassemblement, les rayonnages d'une vente privée d'armes, les allées d'un supermarché, le comptoir d'une pharmacie, la chambre d'un adolescent, le salon d'une maison avec canapé et télé, un plateau de tournage de la passion du Christ, les allées d'un complexe commercial, le casino d'une réserve indienne, un stade sportif flambant neuf, un wagon de l'Amtrack, etc. Dans d'autres séquences, il se focalise uniquement sur les personnages et leurs mouvements, avec des fonds vides. Dans tous les cas, il s'agit d'une lecture dense.



S'il a déjà lu des comics de cet auteur, le lecteur sait que son écriture est dense et qu'il faut compter 2 à 3 fois plus de temps pour une lire page de Bagge que pour un comics normal. Il retrouve cette particularité ici, non pas du fait de pavés de texte copieux, mais bien du fait de la concision. Cette caractéristique de son écriture est manifeste dans la biographie d'Isabel Mary Paterson, écrivaine, philosophe, ayant publié un essai sur le libertarisme. Chaque vignette est à la fois concise et dense, le tout intégrant un nombre impressionnant d'éléments de sa vie, sans rien sacrifier aux émotions de chaque moment. Le principe des éditoriaux est que Peter Bagge effectue un reportage, ou donne simplement son avis sur un aspect de la société américaine. Il vaut mieux être un peu familier de la forme bipartisane de la vie politique, et de quelques caractéristiques de la société américaine et de sa vie urbaine pour tout saisir, mais cela ne requiert pas un niveau expert, ou une connaissance pointue du contexte sociopolitique des années 2000. Le lecteur sait pertinemment que Peter Bagge exprime son avis partial et son point de vue de libertaire sur ce qu'il commente. D'ailleurs il affiche clairement ses convictions dans ses jugements de valeur. Chaque éditorial s'avère très drôle, et même cocasse du fait des capacités d'observation pénétrante de l'auteur, de son point de vue tranché ne s'interdisant pas d'être de mauvaise foi, et de ses jugements critiques à l'emporte-pièce. Le lecteur peut très bien ne pas être d'accord, tout en savourant la verve comique de l'auteur.



Peter Bagge n'est pas tendre avec ses concitoyens, encore moins avec les élus, et il n'hésite pas à se mettre en scène avec un regard tout aussi critique pour pointer ses propres incohérences ou lâchetés. Par exemple dans les 4 pages consacrées aux complexes commerciaux (malls), il se met en scène d'abord comme un adolescent fustigeant ces temples de la consommation, pour ensuite dire tout le bien qu'il en pense une fois devenu parent. Il en va de même pour sa position sur la guerre en Iraq, reconnaissant que son premier éditorial était orienté au point d'en devenir idiot. En fonction de sa sensibilité, le lecteur est plus ou moins intéressé par tel sujet. Mais à la lecture, le degré d'implication viscérale de Peter Bagge pour chaque sujet fait qu'il s'y intéresse ne serait-ce que pour les réactions comiques. Il finit par se rendre compte que certaines opinions de l'auteur trahissent parfois un manque d'information (par exemple sur les OGM). Toutefois, comme le commentaire de Bagge est toujours très tranché et presque toujours porteur d'informations, la force émotionnelle de son discours fait que chaque éditorial provoque une réaction chez le lecteur, que ce soit sur la posture faussement pacifiste des États-Unis, sur les conséquences liberticides de la loi anti-terroriste, sur le port d'armes et sa restriction, et même sur les trains et les transports en commun. En effet, ces éditoriaux offrent une vision d'une culture différente de celle du lecteur, lui donnant des points de comparaison, pour une réflexion sur l'organisation de son propre pays. En plus, Peter Bagge est à chaque fois irrésistible quand il s'en prend aux postures hypocrites des politiques comme des consommateurs, un vrai jeu de massacre.



À l'opposé d'éditoriaux austères ou cliniques, ceux de Peter Bagge sont partiaux et habités par une verve comique énorme qui fait que le lecteur ne s'ennuie jamais et se rend compte qu'ils provoquent une réaction irrépressible en lui, l'obligeant à considérer ses propres convictions, pas toujours beaucoup plus brillantes que celle de l'américain moyen.
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

Il s'agit d'un récit complet, indépendant de tout autre, publié sans sérialisation. Sa première édition date de 2013. Il est écrit, dessiné, encré et mis en couleurs par Peter Bagge (plus connu pour sa série sur Buddy Bradley, voir Buddy Bradley, Tome 1 : En route pour Seattle). Il commence par une introduction de 2 pages rédigée par Tom Spurgeon, un spécialiste des comics. Il se termine par un texte de 2 pages dans lequel Bagge explique ce qui l'a motivé à réaliser une bande dessinée sur Margaret Sanger. Suivent 18 pages de texte en petits caractères, dans lesquelles il précise le contexte des événements évoqués dans cette biographie, ainsi que l'identité des différentes célébrités apparaissant. Il termine avec une brève biographie, précisant les textes à parti desquels il a conçu son ouvrage.



Cette histoire constitue une biographie de la vie de Margaret Sanger, en 72 pages de bandes dessinées. La première séquence se déroule dans les années 1880, alors que la jeune Margaret (née en 1879) va chercher son père en ville, en compagnie de ses frères, car un client le réclame à la maison, pour tailler une pierre tombale. Dans la séquence suivante, Margaret accompagne l'un de ses frères (d'une famille de 18 enfants) pour aller déterrer le cadavre d'un de leur frère mort jeune.



Dans les pages suivantes, le lecteur suit ainsi la vie de Margaret Sanger, jusqu'en septembre 1966. Chaque séquence est assez courte (entre 1 et 3 pages) et revient sur une anecdote ou un événement dans la vie exceptionnelle de cette femme. Elle a consacré sa vie à la promotion des moyens contraceptifs aux États-Unis, allant du lobbying pour leur légalisation, à l'aide au développement de nouveaux moyens. Elle a croisé la route de personnages célèbres comme Herbert George Wells, John D. Rockefeller, Pearl Buck, et des hommes d'état éminents comme le Mahatma Mohandas Karamchand Gandhi.



Lorsque que le lecteur découvre cet ouvrage, il s'interroge sur le bienfondé d'une biographie réalisée par Peter Bagge. Cet artiste réalise des dessins incluant une forte dimension caricaturale qui ne semble pas adaptée à une évocation historique. Dans la postface, il évoque ses difficultés à trouver des références photographiques pour que ses personnages soient ressemblants. Le lecteur est en droit de s'interroger sur la nature de cette ressemblance. Bagge ne dessine pas du tout de manière photographique ou même réaliste.



Bagge dessine les décors et les environnements de manière simplifiée, comme dans un dessin animé pour enfants. Il s'inscrit dans un registre qui tire les objets vers des épures, à l'opposé d'une forme descriptive souhaitant recréer l'objet en question. Il suffit de regarder comment il représente un lit ou un bat-flanc dans une cellule de prison : les traits sont droits et assurés, mais il délimite la forme de manière générique, sans se préoccuper des détails du modèle représenté. Il serait vain de tenter d'identifier une façade ou un détail architectural dans la représentation des immeubles d'un quartier défavorisé de New York en 1912 (page 13).



Cela ne veut pas dire que ses dessins sont banals ou insipides. L'artiste les épure pour les rendre le plus facilement lisibles. Toutefois, le lecteur peut aussi constater que les tenues vestimentaires évoluent au fil des années qui passent, par exemple les robes laissant par la place aux pantalons pour les femmes, ou le port des chapeaux venant à disparaître. Le lecteur peut donc regretter que les images ne transmettent pas plus d'informations visuelles sur l'époque et les lieux.



La façon dont Peter Bagge dessine les personnages est beaucoup plus remarquable. Il exagère de manière prononcée les arrondis pour certaines parties du corps (surtout les bras) et pour les visages. Majoritairement Bagge représente les bras sous forme d'arc de cercle, sans marquer l'angle que fait le coude. Cela confère une apparence de bras en caoutchouc, une modélisation de l'anatomie qui fait penser à l'enfance, alors qu'il l'applique à tous les âges.



Les visages présentent une apparence tout aussi remarquable, avec des formes de bouche très exagérées, des dents représentées comme des rectangles plats et blancs de taille uniforme. Les yeux ont souvent la forme de cercle, et régulièrement la forme d'amande. Contre toute attente les personnages arborent des expressions très parlantes, car ces représentations ont pour effet de les exagérer plutôt que de les affadir. L'artiste n'hésite à emprunter des codes visuels appartenant au registre de l'enfance, tel un adulte qui tire la langue quand il s'applique.



Peter Bagge utilise donc son mode de représentation habituel, dans l'exagération comique, avec un effet étrange sur la narration de cette biographie. Ce registre graphique lui permet de représenter les événements les plus atroces, sans donner l'impression de voyeurisme ou de dramatisation sensationnaliste (même quand il s'agit d'une femme perdant son fœtus au cours d'une manifestation où elle a été rouée de coups par les forces de l'ordre). Il a aussi pour effet de focaliser l'attention du lecteur plus sur le ressenti des personnages (exprimé par ses visages aux traits exagérés) que sur le fond de ce qui est en train de se jouer (la cause de la contraception).



Le choix du découpage en courte séquence éloigne encore plus cette BD d'une biographie académique. De temps à autre, le lecteur éprouve l'impression que Bagge conçoit une séquence (de 1 à 3 pages) comme une forme de tranche de vie, avec une chute en fin de séquence. Cela insiste sur le caractère immédiat de la scène, en la détachant artificiellement de son contexte, c’est-à-dire la vie de Margaret Sanger.



Le lecteur plonge donc dans une narration très personnelle au service d'une personnalité très controversée. Dans la postface, Peter Bagge explique qu'à ses yeux Mararet Sanger est la personne grâce à qui la contraception a été légalisée aux États-Unis, et qui a permis aux recherches sur la pilule d'aboutir. Il la voit donc comme la femme ayant permis le contrôle des naissances, ayant permis aux femmes de s'émanciper de leur rôle de reproductrice, et d'avoir un choix. En bon américain, il estime que ses actions ont eu un retentissement à l'échelle de la planète.



Pourtant à lire cette biographie, le lecteur ne ressent pas ce parti pris de manière si affirmée. Bagge explique qu'il a dû choisir parmi les moments incroyables qui abondent dans la vie de cette dame exceptionnelle, qu'il a dû transiger sur la vérité historique à quelques reprises pour que cette BD conserve une taille raisonnable et qu'il s'est attaché à donner des éléments de contexte.



Le lecteur peut effectivement suivre le parcours de vie de Margaret Sanger au travers d'épisodes sortant tous de l'ordinaire sans exception. Il se fait une idée approximative des difficultés auxquelles elles se heurtent (procès, exil loin de ses enfants, instrumentalisation, etc., un vrai roman). Il comprend dans les grandes lignes comment elle-même se révèle excellente manipulatrice des médias, et pour quelles raison elle acquiert une mauvaise réputation (même au-delà des ligues de vertus opposées à la contraception).



Peter Bagge réussit à faire ressortir à la fois la raison pour laquelle Margaret Sanger prend des décisions équivoques, comment elle les justifie, et pour quelles raison elles apparaissent contre-productives. Ainsi il décrit une intervention de Sanger devant une assemblée féminine du Ku Klux Klan où elle a été invitée. Il souligne que déjà à l'époque (1926) cette organisation était plus que tendancieuse, pourquoi Sanger estime qu'elle doit faire son discours, et comment il est récupéré par la suite.



Au final, le lecteur ressort très satisfait d'avoir découvert la vie (en accéléré) de cette militante pour la contraception, sous une forme divertissante (les dessins, les émotions) qui s'avère pédagogique sans être académique. Il attaque donc les 18 pages de la postface en souhaitant en apprendre plus. Il s'agit d'annotations explicatives de chaque séquence, un peu indigestes, oscillant entre justification de l'auteur et anecdotes pas toujours judicieuses.
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Buddy Buys A Dump

Ce tome est le troisième à raconter la vie de Buddy Bradley après Buddy Does Seattle et Buddy Does Jersey. Il regroupe les numéros 1 à 9 du magazine Hate Annual, parus de 2000 à 2013, écrits, dessins et encrés par Peter Bagge. La mise en couleurs a été réalisée par Joanne et Peter Bagge. Il comprend 11 histoires courtes.



Jay Spano propose à son pote Buddy Bradley d'acheter un aquabus (un bateau à fond plat avec des roues) pour organiser des visites guidées. L'enthousiasme fait défaut à Buddy : non seulement l'aquabus en question est sur des parpaings et n'a plus de roues, mais en plus le port de Newark n'a rien d'un site touristique. Il rentre chez lui et évoque l'association commerciale à son épouse Lisa Leavenworth qui estime qu'il n'est pas possible d'avoir une idée plus stupide, ou plus certaine de conduire à un échec assuré. Elle prend leur nourrisson Harold dans les bras tout en continuant de pourrir son mari pour cette idée crétine. Cette nuit-là, il rêve qu'il pilote l'aquabus pour une visite guidée qui enchantent les clients et que leur affaire leur rapporte de sacs remplis de dollars. Le lendemain matin, il en reparle à Lisa qui s'énerve direct en lui rappelant qu'il est responsable d'une famille, tout en donnant le biberon à Harold. Buddy répond qu'ils ne sont pas en faillite, que sa boutique tourne quasiment toute seule et qu'il a besoin d'un nouveau défi. Dès qu'il est parti voir Jay Spano, Lisa s'agenouille devant une statuette de Bouddha en de lui jurant de lui préparer une tarte s'il fait en sorte d'éviter que Buddy ne s'engage dans cette affaire. Le test de l'aquabus ne se déroule pas aussi bien que prévu car il coule peu de temps après avoir été remis à l'eau, et Buddy manque de se noyer car il ne sait pas nager. En plus le propriétaire exige un dédommagement pour avoir coulé son aquabus. Buddy rentre chez lui, se sert une bière, et demande à Lisa de lui tirer dessus si jamais il n'envisage ne serait-ce que de reparler à Jay. Celle-ci retrouve sa bonne humeur et regarde la statuette en lui rappelant qu'elle n'a pas oublié pour la tarte.



Lisa va passer un week-end avec Babs une copine, et Buddy est chargé de s'occuper d'Harold pendant ce temps-là, ainsi que de Tyler et sa grande sœur Alexis. Dès que les deux mères sont sorties, Buddy s'installe devant la télé pour un marathon de rediffusion d'une série télévision, en indiquant à Tyler et Alexis qu'il ne veut plus les entendre et qu'ils doivent s'occuper d'Harold. Lisa regarde les émissions télé de décoration intérieure et indique à Buddy qu'elle souhaite déménager pour pouvoir décorer de plus grandes pièces dans leur foyer. Buddy s'ennuie à vendre des objets dérivés de collection vintage dans son magasin, et il décide de trouver un emploi avec un vrai métier : employé pour une entreprise de livraison à domicile dont l'uniforme évoque fort celui d'UPS. Il retrouve d'anciens potes et découvre les petites magouilles. Buddy s'est pris un des objets de collection qu'il vend dans l'œil et il doit porter un bandeau sur l'œil en attendant qu'il guérisse. Il décide de se raser les cheveux et de porter aussi une casquette de marin. En outre, il est à nouveau question de déménager, et Jay Spano a une autre proposition d'affaires en vue : la reprise d'une décharge de ferraille. Lisa et Buddy se sont installés avec Harold dans un pavillon qui jouxte le dépôt de ferraille de Jay Spano. Ce dernier explique à Buddy que Butch Bradley, le frère de Buddy, lui a dit pour Leonard Brown.



S'il a lu les deux premiers tomes consacrés au personnage, le lecteur sait exactement ce qu'il va trouver : la vie d'un prolétaire pas très futé, pas très motivé par le capitalisme ni par les responsabilités, vivant près de Newark dans le New jersey, et propriétaire d'un magasin de produits dérivés culturels d'occasion. Il a maintenant 30 ans, une épouse tout aussi responsable que lui, et ils ont un enfant en bas âge. Même s'il n'est pas un foudre de guerre, il a plutôt bon fond, avec une forme réelle d'honnêteté. S'il a déjà lu un comics de l'auteur, le lecteur a également une bonne idée du registre pictural de cette bande dessinée. Des personnages caricaturaux donnant l'impression d'avoir un corps au caoutchouc, avec souvent une absence de marque des articulations au niveau des coudes et des genoux, ce qui leur donne une apparence encore plus dépourvue de tonus et de motivation. Il faut encore ajouter à ça une représentation très exagérée des visages : par exemple la patate qui fait office de nez pour Buddy, ou les expressions de visage à fleur de peau et sans filtre. En ayant ces caractéristiques en tête, le lecteur sait à quoi s'attendre : une caricature de jeunes trentenaires sans ambition, avec des motivations encore infantiles et ras les pâquerettes. En fonction de sa sensibilité, il peut estimer qu'il s'agit d'une ode sans intérêt à la médiocrité et à la vulgarité, ou la mise en scène vivante et drôle de comportements très humains qui ne lui pas étrangers.



Les 11 nouvelles font entre 8 et 24 pages et proposent une histoire complète, un chapitre à chaque fois différent dans la vie de Buddy Bradley. Indépendamment de l'intérêt qu'il peut porter à la vie en bas de l'échelle sociale dans une région peu attirante des États-Unis, le lecteur sait qu'il va régulièrement sourire à ces tranches de vie. Il y a bien sûr les réactions exagérées, parfois hystériques, des personnages avec des tronches pas possibles, sans oublier le langage corporel semi-désarticulé rendu possible par ces corps élastique. Il y a également ces situations improbables et ces petits détails visuels. Qui penserait à se lancer dans un commerce de visites guidées dans un aquabus ? En tout cas impossible de rester de marbre en voyant un cadavre dans l'eau du port, ou en voyant les grands gestes désespérés de Buddy en train de boire la tasse. Parfois le lecteur est pris au dépourvu par une action inattendue d'un personnage, mais pourtant plausible : bébé Harold ayant échappé à la surveillance de son paternel et essayant de récupérer un objet dans la cuvette des toilettes, Tyler lavant le chat dans l'évier, les potes de Buddy organisant un jeu de piñata avec les colis à livrer sous le regard ahuri de Buddy, le regard fuyant de Butch quand son frère lui met la pression, l'expression de Lisa qui craque à cause du bruit de la casse à côté de chez eux, le look de pirate de pacotille de Buddy, l'ingénuité de Lisa en train de s'entraîner sur un kit de batterie, l'allure inquiétante de Leroy le cousin de Lisa, ou encore l'absence de retenue du père de Lisa qui fait pipi sur le tapis du salon.



La verve visuelle de Peter Bagge est irrésistible et montre l'humanité dans tout ce qu'elle a de plus crasse, mais avec une forme d'humour partagé qui équivaut à une étrange forme de sollicitude, laissant à penser que l'auteur ne se place pas au-dessus de ses personnages, et a conscience d'être un humain semblable à eux. En fonction de son état d'esprit, le lecteur peut voir la crétinerie ordinaire du trentenaire encore adulescent dans les tentatives malhabiles de Buddy Bradley pour entreprendre quoi que ce soit, ou pour éviter de nouvelles responsabilités, et même des responsabilités déjà présentes. Il peut aussi y voir une critique sociale facile : le manque d'éducation conduisant Buddy à s'investir dans des entreprises sans lendemain, son absence de sens des responsabilités en faisant un père incompétent, ses mauvaises fréquentations de jeunesse continuant de le tirer vers le bas, son manque de force de caractère le faisant capituler dès que sa femme hausse le ton ou fait une crise. Il peut aussi remarquer que sous les dehors d'une grosse farce un peu grasse, il apparaît des thèmes adultes, et une critique de plusieurs facettes de la société relevant d'un regard pénétrant.



Certes, Buddy n'est pas très futé, ce qui le rend peu adapté au système capitaliste. D'un autre côté, son magasin de produits dérivés marche bien parce qu'il y a des individus encore plus adulescents que lui qui viennent acheter sa camelote. Effectivement, il ne peut pas s'épanouir dans le commerce pour générer des profits, mais ce n'est pas sûr que la faute n'en incombe pas au capitalisme lui-même qui exige de faire des affaires sur le dos des clients. De son côté, Lisa s'essaye à une carrière créative en devenant bassiste d'un duo, mais elle aussi est manipulée par Stacy la chanteuse et claviériste. Les deux dernières histoires continuent de s'aventurer sur des terrains délicats, comme la prise en charge de parents en perte d'autonomie, et sur l'usage des armes à feu. Ces histoires montrent bien que la bonne volonté de Lisa et Buddy se heurte à l'organisation d'une société qui ne semble pas avoir l'intérêt de ses citoyens comme priorité, et au fait que les êtres humains sont tous imparfaits. L'humour reste toujours aussi énorme et bien vu, et l'acuité du regard critique de l'auteur devient plus évidente.



Qui a besoin d'un nouveau chapitre dans la vie de Buddy Bradley ? Certainement pas les lecteurs allergiques à la narration visuelle de Peter Bagge qui peut effectivement en rebuter certains par ses idiosyncrasies affirmées. Pour les autres, c'est la promesse d'une narration visuelle comique alerte, et cette promesse est tenue. C'est le plaisir de pouvoir sympathiser avec un trentenaire sans ambition, tout en n'ayant pas à le supporter dans la vraie vie. C'est aussi la promesse, également tenue, d'un regard critique sur plusieurs facettes de la société, avec un point de vue intelligent et pénétrant.
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

Que faut-il penser de cet objet ? Déjà, le mot objet n’est pas choisi par hasard, parce que l’on hésite à parler de bande dessinée, que roman graphique ne s’applique pas davantage… Alors de quoi parle-t-on ?



C’est, en quelque sorte, une biographie en images. Dont l’auteur revendique d’avoir dû faire des choix. Qui est présenté comme un très sérieux travail journalistique, mais pas comme celui d’un(e) historien(ne).



Pour ma part, je n’avais jamais entendu parler de Margaret Sanger. Mais il n’y a ici rien d’étonnant, je le crains : quand l’histoire de l’esclavage est largement survolée dans les programme scolaire, l’histoire du féminisme et des conquêtes féminine est encore à faire, ou, du moins, à faire entrer dans les livres d’école. Et à l’étranger, qui plus est… Sauf a être un(e) militant(e), on connait essentiellement les noms de Lucien Neuwirth et de Simone Veil, on a entendu parler du « manifeste des 343 salopes », mais c’est à peu près tout. Bref, une vision franco-française de la question.



Alors, naturellement, il est passionnant de découvrir comment cette femme a pris à bras le corps ce problème dans une Amérique qui, finalement, ne semble pas avoir tant changé que cela – ou avoir beaucoup régressé ? -.



Et, en même temps, l’auteur n’hésite pas à dézinguer la statue… mais sans être dupe de la part de manipulation qu’il peut y avoir dans tout cela. Les faits sont là : Margaret Sanger est intervenue devant le Ku Klux Klan ; elle a, dans ses discours, employé des formules que plus personne n’oserait employer aujourd’hui – on se reportera, à ce sujet, à la citation qui ouvre cette chronique… -. Mais ses opposants – et notamment l’église catholique – ont également fait en sorte de sur-exposer ces faits pour la décrédibiliser. Elle a été de son époque, durant laquelle on parlait de nègres, durant laquelle les pauvres étaient d’abord considérés comme des faibles d’esprit.



On peut évidemment regretter qu’elle n’ait pas eu la fulgurance d’éviter cela. Mais nul n’est parfait, et il est toujours aisé de critiquer ceux qui agissent alors que nous restons dans le confort et la quiétude de notre inutilité… Toujours est-il que, avec ses défauts, avec ses manquements, avec ses insuffisances, Margaret Sanger a fait avancer l’humanité. En se trompant, en s’aveuglant sur la capacité de l’être humain à retourner en arrière, elle a osé. Et rien que cela est remarquable.



Cette femme est dure, intransigeante : il suffit de voir comment elle impose à son futur mari sa vision de l’amour libre – « résidences séparées, […] et je peux coucher avec d’autres hommes, si je veux et quand je veux » -, et à ses amants leur place respective – elle n’hésite pas à dire à H. G. Wells qu’il n’est pas le seul, et qu’il reste éminemment remplaçable… -.



Parmi les moments épiques, celui où Rockfeller, visiblement sur l’injonction de sa femme, vient visiter le centre mis en place, qu’il va soutenir de ses dollars, mais en exigeant de ne pas être cité, et qui demande, comme un petit garçon honteux, s’il n’y a pas une porte de derrière, comme s’il risquait d’être surpris à a sortie d’un sex-shop… Cette scène-là, en quelque sorte, résume tout de l’époque !



Ensuite, je ne peux pas ne pas signaler que c’est exactement le style de dessin que j’exècre. Sincèrement, jamais je n’aurais de moi-même acheté ce livre. Mais qu’importe ? Pour toutes celles et ceux qui prétendent se préoccuper de la place de la femme dans nos sociétés, c’est une lecture obligatoire. Et pour toutes et tous les autres, c’est une lecture fortement recommandée…
Lien : https://ogrimoire.com/2020/0..
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

Une fois habitué au dessin particulier de Peter Bagge, on se laisse porter par la fougue et la ténacité de Margaret Sanger. Fondatrice du Planning familial et fervente militante pour l’avortement et l’éducation sexuelle, ce personnage haut en couleurs de l’Amérique du début du 20ème siècle s’est attaqué de front aux bien-pensants et au puritanisme ambiant avec un caractère bien trempé et une langue pas toujours dans sa poche !

Au travers de cette bande-dessinée, Peter Bagge s’attaque à un monument de l’histoire de la femme aux Etats-Unis (et à travers le monde). Avec force de détails et d’humour, il dresse un portrait complet de cette militante radicale et croque avec brio la fresque qu’a été la vie de Margaret Sanger. « Pourquoi j’ai écrit ce livre ? Parce que Sanger a vécu dix vies en une… » Une vie remplie de mille combats, mille adversaires et mille idées…



« Aucune femme qui ne possède ni ne dispose de son propre corps ne peut prétendre être libre. Aucune femme ne peut prétendre être libre tant qu’elle ne peut choisir délibérément d’être mère ou non. » Margaret Sanger


Lien : https://plumeetpellicule.wor..
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

Peter Bagge assez fort dans l'humour par le passé nous revient ici avec un travail proche du documentaire et du journalisme sur Maragaret Sanger, femme libre ayant beaucoup combattu pour la démocratisation de la contraception. Issue d'une famille de 18 enfants assez pauvre elle fit des études puis exerça le travail d'infirmière avec un grand engagement et dans un sens plus ou moins socialiste afin d'informer au maximum face au puritanisme, aux forces de l'ordre, la censure, l'Eglise.

Dessins de très bonnes qualités, pas mal d'humour, un choix très pertinent des événements, c'est fort bien écrit et l'oeuvre étudie différentes facettes de Sanger (famille, amour, réseau...).

A mon sens c'est une grande réussite par la qualité du propos, la richesse du travail d'enquête et le respect pour chacun des personnages.

Une grande oeuvre en termes artistiques comme d'idées et un grand travail.
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Femme rebelle : L'histoire de Margaret Sanger

Il s'agit d'un récit complet, indépendant de tout autre, publié sans sérialisation. Sa première édition date de 2013. Il est écrit, dessiné, encré et mis en couleurs par Peter Bagge (plus connu pour sa série sur Buddy Bradley, voir Buddy does Seattle). Il commence par une introduction de 2 pages rédigée par Tom Spurgeon, un spécialiste des comics. Il se termine par un texte de 2 pages dans lequel Bagge explique ce qui l'a motivé à réaliser une bande dessinée sur Margaret Sanger. Suivent 18 pages de texte en petits caractères, dans lesquelles il précise le contexte des événements évoqués dans cette biographie, ainsi que l'identité des différentes célébrités apparaissant. Il termine avec une brève biographie, précisant les textes à parti desquels il a conçu son ouvrage.



Cette histoire constitue une biographie de la vie de Margaret Sanger, en 72 pages de bandes dessinées. La première séquence se déroule dans les années 1880, alors que la jeune Margaret (née en 1879) va chercher son père en ville, en compagnie de ses frères, car un client le réclame à la maison, pour tailler une pierre tombale. Dans la séquence suivante, Margaret accompagne l'un de ses frères (d'une famille de 18 enfants) pour aller déterrer le cadavre d'un de leur frère mort jeune.



Dans les pages suivantes, le lecteur suit ainsi la vie de Margaret Sanger, jusqu'en septembre 1966. Chaque séquence est assez courte (entre 1 et 3 pages) et revient sur une anecdote ou un événement dans la vie exceptionnelle de cette femme. Elle a consacré sa vie à la promotion des moyens contraceptifs aux États-Unis, allant du lobbying pour leur légalisation, à l'aide au développement de nouveaux moyens. Elle a croisé la route de personnages célèbres comme Herbert George Wells, John D. Rockefeller, Pearl Buck, et des hommes d'état éminents comme le Mahatma Mohandas Karamchand Gandhi.



Lorsque que le lecteur découvre cet ouvrage, il s'interroge sur le bienfondé d'une biographie réalisée par Peter Bagge. Cet artiste réalise des dessins incluant une forte dimension caricaturale qui ne semble pas adaptée à une évocation historique. Dans la postface, il évoque ses difficultés à trouver des références photographiques pour que ses personnages soient ressemblants. Le lecteur est en droit de s'interroger sur la nature de cette ressemblance. Bagge ne dessine pas du tout de manière photographique ou même réaliste.



Bagge dessine les décors et les environnements de manière simplifiée, comme dans un dessin animé pour enfants. Il s'inscrit dans un registre qui tire les objets vers des épures, à l'opposé d'une forme descriptive souhaitant recréer l'objet en question. Il suffit de regarder comment il représente un lit ou un bat-flanc dans une cellule de prison : les traits sont droits et assurés, mais il délimite la forme de manière générique, sans se préoccuper des détails du modèle représenté. Il serait vain de tenter d'identifier une façade ou un détail architectural dans la représentation des immeubles d'un quartier défavorisé de New York en 1912 (page 13).



Cela ne veut pas dire que ses dessins sont banals ou insipides. L'artiste les épure pour les rendre le plus facilement lisibles. Toutefois, le lecteur peut aussi constater que les tenues vestimentaires évoluent au fil des années qui passent, par exemple les robes laissant par la place aux pantalons pour les femmes, ou le port des chapeaux venant à disparaître. Le lecteur peut donc regretter que les images ne transmettent pas plus d'informations visuelles sur l'époque et les lieux.



La façon dont Peter Bagge dessine les personnages est beaucoup plus remarquable. Il exagère de manière prononcée les arrondis pour certaines parties du corps (surtout les bras) et pour les visages. Majoritairement Bagge représente les bras sous forme d'arc de cercle, sans marquer l'angle que fait le coude. Cela confère une apparence de bras en caoutchouc, une modélisation de l'anatomie qui fait penser à l'enfance, alors qu'il l'applique à tous les âges.



Les visages présentent une apparence tout aussi remarquable, avec des formes de bouche très exagérées, des dents représentées comme des rectangles plats et blancs de taille uniforme. Les yeux ont souvent la forme de cercle, et régulièrement la forme d'amande. Contre toute attente les personnages arborent des expressions très parlantes, car ces représentations ont pour effet de les exagérer plutôt que de les affadir. L'artiste n'hésite à emprunter des codes visuels appartenant au registre de l'enfance, tel un adulte qui tire la langue quand il s'applique.



Peter Bagge utilise donc son mode de représentation habituel, dans l'exagération comique, avec un effet étrange sur la narration de cette biographie. Ce registre graphique lui permet de représenter les événements les plus atroces, sans donner l'impression de voyeurisme ou de dramatisation sensationnaliste (même quand il s'agit d'une femme perdant son fœtus au cours d'une manifestation où elle a été rouée de coups par les forces de l'ordre). Il a aussi pour effet de focaliser l'attention du lecteur plus sur le ressenti des personnages (exprimé par ses visages aux traits exagérés) que sur le fond de ce qui est en train de se jouer (la cause de la contraception).



Le choix du découpage en courte séquence éloigne encore plus cette BD d'une biographie académique. De temps à autre, le lecteur éprouve l'impression que Bagge conçoit une séquence (de 1 à 3 pages) comme une forme de tranche de vie, avec une chute en fin de séquence. Cela insiste sur le caractère immédiat de la scène, en la détachant artificiellement de son contexte, c’est-à-dire la vie de Margaret Sanger.



Le lecteur plonge donc dans une narration très personnelle au service d'une personnalité très controversée. Dans la postface, Peter Bagge explique qu'à ses yeux Mararet Sanger est la personne grâce à qui la contraception a été légalisée aux États-Unis, et qui a permis aux recherches sur la pilule d'aboutir. Il la voit donc comme la femme ayant permis le contrôle des naissances, ayant permis aux femmes de s'émanciper de leur rôle de reproductrice, et d'avoir un choix. En bon américain, il estime que ses actions ont eu un retentissement à l'échelle de la planète.



Pourtant à lire cette biographie, le lecteur ne ressent pas ce parti pris de manière si affirmée. Bagge explique qu'il a dû choisir parmi les moments incroyables qui abondent dans la vie de cette dame exceptionnelle, qu'il a dû transiger sur la vérité historique à quelques reprises pour que cette BD conserve une taille raisonnable et qu'il s'est attaché à donner des éléments de contexte.



Le lecteur peut effectivement suivre le parcours de vie de Margaret Sanger au travers d'épisodes sortant tous de l'ordinaire sans exception. Il se fait une idée approximative des difficultés auxquelles elles se heurtent (procès, exil loin de ses enfants, instrumentalisation, etc., un vrai roman). Il comprend dans les grandes lignes comment elle-même se révèle excellente manipulatrice des médias, et pour quelles raison elle acquiert une mauvaise réputation (même au-delà des ligues de vertus opposées à la contraception).



Peter Bagge réussit à faire ressortir à la fois la raison pour laquelle Margaret Sanger prend des décisions équivoques, comment elle les justifie, et pour quelles raison elles apparaissent contre-productives. Ainsi il décrit une intervention de Sanger devant une assemblée féminine du Ku Klux Klan où elle a été invitée. Il souligne que déjà à l'époque (1926) cette organisation était plus que tendancieuse, pourquoi Sanger estime qu'elle doit faire son discours, et comment il est récupéré par la suite.



Au final, le lecteur ressort très satisfait d'avoir découvert la vie (en accéléré) de cette militante pour la contraception, sous une forme divertissante (les dessins, les émotions) qui s'avère pédagogique sans être académique. Il attaque donc les 18 pages de la postface en souhaitant en apprendre plus. Il s'agit d'annotations explicatives de chaque séquence, un peu indigestes, oscillant entre justification de l'auteur et anecdotes pas toujours judicieuses.
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